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Le datacenter confronté à tous les défis

Si les projets se multiplient, la vie de l’écosystème du datacenter n’est pas un long fleuve tranquille. Efficacité énergétique, urbanisation des salles informatiques, Edge computing… État des lieux de l’univers du datacenter.

 

Lorsque l’année 2022 débute, elle est encore marquée par les événements majeurs qui ont rythmé celle qui a précédé. A commencer par l’incendie du datacenter d’OVH à Strasbourg, qui a jeté le trouble dans l’esprit de nombreux clients quant à la protection de leurs infrastructures de données. Le marché, qui demeure très actif, tiré par l’explosion des données, du Cloud public et les implantations dans les territoires, n’avait pas besoin de cela. Il doit en effet affronter la multiplication des levées de boucliers qui ont abouti à des moratoires sur la construction de nouveaux datacenters dans des agglomérations à fortes concentrations, Amsterdam, Dublin ou Singapour. Sans oublier le coup d’arrêt donné par un préfet de région au projet de datacenter d’Amazon en France, en raison de la non prise en compte de la chaleur fatale, qui reste une question majeure pour tous les datacenters.

Pour autant, le datacenter a le vent en poupe, et les marqueurs du marché restent au vert. Les projets de toutes tailles sont toujours plus nombreux, renforçant le dynamisme du marché. Ainsi, malgré les oppositions, l’année 2022 a démarré sous d’excellents auspices. Jusqu’à ce que la géopolitique s’en mêle, avec le risque d’effets désastreux et de changements profonds dans les stratégies.

Le prix de l’énergie

C’est sans doute la principale tendance qui marquera pour longtemps l’économie du datacenter : l’explosion du prix de l’énergie. Il a été multiplié par cinq en un an. Les datacenters vivaient depuis des années sur la relative stabilité du prix bas de l’énergie électrique. En particulier en France où la source nucléaire fiable était un remarquable tampon. Qui a commencé à se fissurer avec les problématiques de maintenance dans les centrales nucléaires. Signe avant-coureur d’un dérèglement plus profond du marché ? La situation se dégrade rapidement au rythme du conflit ukrainien et des tensions sur les flux d’énergies fossiles. Dans le monde du datacenter où le leitmotiv demeure la continuité, l’instabilité des approvisionnements électriques risque fortement de changer les paradigmes du marché.

A commencer par les prix de production et d’hébergement. L’électricité compte pour près de la moitié du prix du service de datacenter, une hausse de l’ampleur de celle que nous connaissons actuellement se révèle difficile à encaisser, et les marges des opérateurs s’en ressentent. Les grands acteurs du marché peuvent compter sur les contrats à long terme signés avec les distributeurs d’énergie alors que le prix était stable et bas, un état de grâce qui ne durera pas, et chacun se voit contraint de réajuster ses prix pour prendre en compte la hausse. Ainsi les tarifs des datacenters progressent d’environ 15 %. Quant à ceux qui n’ont pas encore fait le choix de modifier leur tarification, ou qui sont tenus par des contrats rigides qui les lient à leurs clients, ils se voient contraints de répercuter la charge sur leur marge opérationnelle. Mais pourront-ils tenir encore longtemps ? L’effet du prix de l’énergie pourrait se révéler désastreux, surtout pour les petits datacenters qui n’ont pas les moyens d’en subir la hausse…

L’efficacité énergétique

La crise énergétique amène à accélérer les projets sur l’efficacité du datacenter, voire sur ses choix stratégiques en matière de fourniture électrique et de secours. Les acteurs du datacenter se sont montrés vertueux, avec des PUE (Power Usage Effectiveness), rapport entre l’énergie globale consommée par le datacenter et celle consommée par l’IT, qui baissent régulièrement vers 1,2 pour les nouveaux projets. Apporter plus d’efficacité énergétique au datacenter, c’est garantir une réduction des coûts, qui reste la principale attente des clients. Mais l’efficacité est comme l’arbre qui cache la forêt : elle n’est permise que par des investissements importants, et surtout elle reste réservée aux projets qui se concrétisent aujourd’hui. La masse des datacenters anciens dont les PUE sont supérieurs à 2 va peser lourdement sur la facture énergétique de leurs exploitants.

Aujourd’hui, il faut revoir l’efficacité énergétique du datacenter dans une nouvelle dimension, celle du grid énergétique. Si la diversification des sources d’énergie répond à un engagement sociétal, elle pose des problématiques locales, en particulier pour les datacenters pour lesquels l’interruption de la production n’est pas envisageable…  

Le sujet du grid énergétique est essentiel pour l’avenir. Le datacenter est un point de consommation électrique majeur. L’implantation des nouveaux campus est soumise à l’accès à l’énergie, tout comme à la pression des politiques. Ces sources tendent à se tarir dans les grandes places qui accueillent les datacenters, comme le nord de Paris. Pour remplir leurs objectifs environnementaux et RSE, les acteurs jouent avec les ressources, en intégrant lorsqu’ils le peuvent des sources locales d’énergies renouvelables (ENR), et en misant sur la compensation. Ainsi on assiste à une multiplication des PPA (Power Purchase Agreement), qui consistent à investir par des engagements à long terme dans des gros projets solaires et éoliens, qui compensent l’usage d’énergies locales carbonées.

Financer des fermes d’ENR qui produisent une énergie intermittente, donc peu fiable, peut paraître être une bonne idée de compensation, mais c’est se détourner de la question locale, donc les problématiques énergétiques restent. Il y a pourtant des axes d’expérimentation qui émergent, qui s’appliquent en particulier sur le secours, les groupes électrogènes diesel, souvent pointés du doigt. Si les premiers groupes alimentés par l’hydrogène sont disponibles, les premières expériences qui ont abouti portent sur le HVO (Hydrotreated Vegetable Oil), un biodiesel d’origine végétale. Le secours préfigure également un autre domaine d’avenir pour le datacenter, celui où il produira sa propre électricité et alimentera éventuellement le grid énergétique…

Urbanisation, densité et HPC, refroidissement

Un des aspects les plus importants, car quotidien, dans l’évolution des datacenters porte sur l’urbanisation des salles informatiques. Elle est devenue un leitmotiv des exploitants qui l’associent à l’usage de baies capables de supporter des équipements de haute densité, comme le calcul HPC (High Performance Computing), tout en optimisant les flux de refroidissement. Comme le démontre la nouvelle gamme Panduit FlexFusion, la tendance est aujourd’hui à l’adoption de baies modulaires plus larges pour faciliter et simplifier le passage des câbles, et éventuellement des tuyaux d’eau glacée, et plus hautes pour y placer plus d’équipements.

Elle s’accompagne de l’augmentation des capacités de puissance électrique dans la baie, de 6 à 8 KVA traditionnellement portée à 20 voire 40 KVA pour supporter les serveurs de calcul, voire plus. L’urbanisation doit prendre en compte ces éléments, par exemple placer moins de serveurs dans une baie en fonction de leur consommation électrique, ou pour faciliter la circulation de l’air froid ou son remplacement par des systèmes de Liquid Cooling, comme c’est le cas pour les serveurs de calcul.

La pénurie de composants

Évoquons rapidement la pénurie de composants qui touche toute l’industrie, dont le datacenter, accentuée par l’effet Covid qui bloque la production en Chine par exemple. Elle allonge lourdement les délais de livraison des équipements, il faut parfois plus de six mois pour recevoir une commande, et elle a une influence néfaste sur les prix. Les fondeurs investissent massivement pour augmenter leurs capacités de production, ce qui prendra des années.

Interconnexions, câbles et cybersécurité

Il faudra certainement attendre 2023 pour retrouver le niveau de production qui a précédé la crise.

Avec l’émergence du hub de Marseille, point d’atterrissage d’une majorité de câbles sous-marins en provenance d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie, la France occupe une place unique en Europe : c’est le seul pays à disposer de deux hubs stratégiques avec Paris. Qu’elles soient terrestres ou sous-marines, les lignes fibres sont vitales pour supporter les flux d’informations et donc les économies mondiales. Les interconnexions, locales entre clients d’un même datacenter, ou à distance entre datacenters, sont au cœur des modèles économiques. L’arrivée d’un câble terrestre (sur la nouvelle Route de la Soie, par exemple) ou sous-marin devient l’occasion de créer de nouveaux pôles de datacenters, et soulève l’intérêt des grands acteurs du secteur.

Plus récemment, la destruction de lignes fibre dans un acte malveillant représente une menace qui préoccupe les opérateurs et leurs clients. Se pose la question de la sécurité des interconnexions et plus largement des datacenters. Sécurité physique, mise à mal par l’incendie du datacenter d’OVH, mais également cybersécurité avec des équipements connectés. En cette période d’instabilité géopolitique, la cybersécurité devient un thème de préoccupation transverse et majeur.

La financiarisation

Elevons quelque peu notre vision du datacenter pour une approche plus stratégique et économique. L’année 2021 a été également marquée par des méga-mouvements de croissance externe chez les géants de la colocation, comme le rapprochement de Digital Realty avec Interxion. Ce mouvement se prolonge aujourd’hui avec des acquisitions plus régionales, jusqu’en Afrique où les numéros un et deux, Digital Realty et Equinix ont pris pied. Cette stratégie de consolidation ne peut s’imaginer sans l’apport d’investisseurs et de fonds souverains pour les accompagner. Voilà qui tombe bien, ces mêmes investisseurs, qui souffrent sur leurs activités traditionnelles dans l’immobilier commercial et d’entreprise, trouvent dans le datacenter un relais de croissance. Les opérateurs de datacenters s’appuient sur des fonds pour maintenir le rythme de déploiement de leurs infrastructures. Les investisseurs sécurisent cette stratégie en prenant position sur un marché immobilier particulier à qui l’on prédit des années d’enrichissement. Quant aux projets plus petits, régionaux, ils trouvent des partenaires dans les sociétés de gestion d’actifs immobiliers et dans les structures étatiques de financement de l’économie, comme la Banque des Territoires.

Le marché de la colocation – la location d’espaces dans le datacenter où le client va déployer son infrastructure IT – a le vent en poupe. Il profite principalement du déploiement des géants du cloud public. Une tendance se confirme cette année : la pré-location de salles complètes par les acteurs du cloud, assurant un taux d’occupation maximal avant même l’ouverture du datacenter. C’est particulièrement efficace en France où les géants du cloud, déjà présents dans le nord de l’Europe, tardent à implanter leurs datacenters hyperscale, voire peinent à s’implanter dans la contrainte du respect des lourdeurs administratives françaises.

L’Edge Computing

L’Edge Computing, avec les datacenters de proximité, s’annonce comme un marché d’avenir riche et prospère. Industrie 4.0 et IoT, SmartCity et SmartBuilding, Intelligence Artificielle (IA), véhicules connectés ou encore antennes 5G, pour ne citer que les plus connus, les projets se multiplient et entrent en phase de production. L’Edge a également l’élégance d’associer les acteurs équipementiers des infrastructures du datacenter aux acteurs des IT sur les couches matérielles serveur, stockage et réseaux. C’est ainsi que l’on trouve désormais sur le marché des offres clés en main qui vont du cube de moins d’un mètre cube au container, en passant par l’armoire renforcée tout équipée, baies, UPS, refroidissement, secours, sécurité, IT et support. L’Edge sera probablement l’un des grands gagnants des prochaines années.

Les territoires

Par ailleurs, plusieurs phénomènes conduisent à une approche territoriale des datacenters. Les plans fibres arrivent à leur terme, et s’il reste des zones blanches, la fibre est désormais accessible dans la majorité des territoires. Il est donc temps de ne plus se préoccuper de la connexion, mais de la donnée, du stockage à son exploitation. Le moment est venu de doter les territoires de datacenters régionaux et de proximité.

L’autre phénomène associé aux territoires, encore diffus mais qui émerge doucement, porte sur la transformation des datacenters privés existants. Les deux principaux acteurs de cette tendance sont les télécoms – Bouygues Télécoms vient de l’annoncer – et la Finance, c’est le cas de la création de Albiant IT pour les datacenters de BPCE-IT. Il s’agit pour ces projets d’exploiter les surfaces des datacenters anciens qui se libèrent, par l’augmentation de la densité IT ou par la migration vers le Cloud. Ces organisations se lancent dans la colocation. Les territoires attirent également des startups, comme Stratosfair (petits datacenters éco responsables) et Denv’R (datacenters sur barges). Enfin dans le futur sur les territoires les datacenters seront des éléments clé du grid énergétique.

Le recrutement

Vu de l’intérieur, c’est probablement le principal point noir auxquels sont confrontés les exploitants de datacenter : le recrutement d’employés, techniciens et cadres, qualifiés. Il n’existe pas de formation dans les cursus traditionnels professionnels. C’est pourquoi le datacenter peine à recruter ses techniciens alors que paradoxalement le secteur est fortement demandeur. L’association France Datacenter, qui représente les acteurs du marché, en a fait un axe de réflexion et d’action pour les années à venir.

 

Avis d’experts


Aurore Nicoli,
Director of Business Development – CBRE Datacenters

 

« Sur l’exploitation et la maintenance, nous sommes sur un marché français encore peu mature, contrairement à d’autres marchés de type anglo-saxons avec beaucoup d’externalisation…»


Pascal Genier,
EMEA Sales Support Engineer de Panduit,

« La baie est un produit vedette, presque un organe vivant, souvent sous-estimée, qui reçoit à l’intérieur et communique à l’extérieur, et nécessite de faire le choix de la flexibilité. »

 


Géraldine Camara,
déléguée générale de France Datacenter

« Nous rencontrons des problématiques de recrutement dans la filière, dont une pénurie de techniciens. Chez Data4, Interxion et Equinix, 150 emplois sont à pourvoir en 2022. Pôle emploi a identifié 700 emplois dans les datacenters en Île-de-France. »