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Les datacenters se réinventent

> Le dernier site d’Equinix, le PA10, à Saint-Denis, un modèle de datacenter du futur. Il propose dans sa première phase 3 775m2 d’espace de colocation et une capacité de 1 525 “cabinets”. En phase finale, le site offrira 5 775 m2 de colocation, avec environ 2 250 cabinets.

Il est souvent critiqué, malgré son comportement vertueux, et toujours indispensable pour stocker ou partager les données, ainsi que pour exécuter les applications.
Le datacenter demeure la pierre angulaire de tous les SI, qu’ils soient réels en mode legacy, virtuels en mode Cloud, ou multiplateformes en mode hybride.

 

Le datacenter est né de la terreur, celle de terroristes venus percuter les tours du World Trade Center à New York, un funeste 11 septembre 2001. Dans les jours qui ont suivi, après la sidération de tout un peuple meurtri dans sa chair, les entreprises américaines ont découvert avec horreur la disparition totale de certaines d’entre elles, logées dans les tours en cendres. Leur effondrement a entraîné la destruction de ces entreprises, tué leurs forces vives, détruit leur informatique, et fait disparaître l’ensemble de leurs données.

Un outil industriel

C’est de cet événement dramatique qu’est né le datacenter, à savoir une infrastructure externe destinée à accueillir l’informatique et ses données, à lui fournir les ressources nécessaires à son activité, et à les protéger, en dehors de l’entreprise donc et non plus dans une salle climatisée située entre la comptabilité, les services généraux et la direction.

> Datacenter Thésée

Ont suivi deux décennies au cours desquelles le datacenter a consolidé sa place au cœur de l’informatique, lieu d’accueil des infrastructures IT, qui regroupe dans un environnement immobilier adapté les équipements électriques sensibles et de refroidissement, et les ressources énergétiques qui permettent aux serveurs de tourner. Ces éléments, accompagnés de la sécurité physique – résistance aux chocs, protection contre les intrusions, contrôle des identités, etc., font du datacenter moins un outil IT – c’est la couche physique la plus basse de l’informatique – qu’un outil industriel.

Le volume des données créées doublera tous les ans

Durant les premières années du nouveau siècle, pour la première fois les Hommes ont créé plus de données en volume qu’ils n’en ont créé depuis leur apparition sur Terre. C’est l’époque également où l’entreprise commence à valoriser la donnée au bilan. Elle apparaît désormais comme une valeur qui ne cessera de gonfler, matériellement en volume comme financièrement. Au cours de la décennie qui a suivi, nous avons doublé le volume des données produites et stockées dans les serveurs. Dès 2025, nous doublerons tous les ans le volume des données créées, dupliquées et stockées. Et les infrastructures informatiques doivent suivre.

En 2020 et depuis, la Covid fait trembler les DSI. En quelques semaines, le monde est passé d’une certaine routine à une menace bactériologique. Passées les premières semaines d’incertitudes, il a fallu confiner, pousser une majorité d’employés vers le télétravail, les équiper et s’assurer qu’ils accèdent à distance à leurs outils et aux données de l’entreprise. Une mission délicate pour le DSI, mais dont la majorité se sont acquittés avec brio. Un discours a prévalu de cette expérience : que l’internet et le Cloud ont tenu. Que l’on ne se trompe pas, ce n’est pas le Cloud qui a résisté à la vague de l’externalisation des workloads, ce sont les datacenters qui ont démontré leur résilience.

« 80 % des espaces de colocation
dans les grands datacenters sont occupés
par les géants du Cloud public. »

Tout cela est la résultante d’une vague de fond, la transformation numérique. La digitalisation des organisations et des processus entraîne la création ou la collection de toujours plus de données, et d’outils pour les exploiter, comme le big data et l’Intelligence Artificielle (machine learning, etc.). C’est un cercle vicieux – nous créons de la donnée que nous stockons en plusieurs lieux pour la sécuriser, puis nous l’exploitons ce qui crée de nouveau de la donnée qui est stockée et dupliquée, etc. – et probablement sans fin. Nous avons besoin d’espaces pour stocker et traiter la donnée, donc de datacenters. Le Cloud en est l’épiphénomène, 80% des espaces de colocation dans les grands datacenters sont occupés par les géants du Cloud public.

> Datacenter OVH Cloud

Maintenir le legacy stratégique

On connaît les datacenters de colocation, qu’en est-il des datacenters et salles informatiques privés ? Ils seraient environ 5000 en France. C’est dire le poids du legacy (équipements qui ne sont plus disponibles à l’achat mais qui continuent d’être utilisés) pour les DSI. Depuis 20 ans également, le Cloud occupe une place croissante dans leurs stratégies. Quasi toutes les entreprises sont présentes dans le Cloud, à commencer par les messageries et/ou la bureautique. Pour autant, elles ne seraient que 65% à avoir migré des applications dans le nuage. Même si ce chiffre ne cesse de progresser, elles sont très loin de migrer l’ensemble de leurs infrastructures et des workloads.

Certes, les arguments des acteurs du Cloud sont séduisants : disponibilité et rapidité de déploiement d’infrastructures as-a-Service ; évolutivité avec la capacité de recourir à des ressources à la demande ; la sécurité, le Cloud étant réputé plus sécure ; l’amélioration des stratégies de sauvegarde et de reprise après sinistre ; la mise à disposition de catalogues de services aptes à détourner les DSI de leurs applications ; et bien évidemment l’argument phare du coût, la bascule du Capex vers l’Opex, et la réaffectation des équipes de la DSI vers d’autres tâches jugées plus productives changeant radicalement la donne.

Cependant, le DSI est de nature prudente, et il n’abandonne pas aussi facilement des infrastructures qui ont fait leurs preuves et qui marchent encore. A commencer par des équipements et des logiciels qui ont fait l’objet de lourds investissements, amortis au fil des années et dont la valeur résiduelle au bilan est proche de zéro. Pour les propriétaires de salles informatiques, le legacy rime avec des millions de lignes de code et des dizaines de milliers de processus qui marchent, tout simplement. De plus, déplacer ces bases de codes et les systèmes qui les supportent vers le Cloud peut s’avérer être une tâche colossale et risquée. D’autant que les systèmes hérités peuvent interagir avec d’autres systèmes également legacy qu’il n’est peut-être pas logique ni possible de déplacer.

Beaucoup de DSI hésitent à tout migrer vers le Cloud et préfèrent maintenir tout ou partie du legacy. Une stratégie réfléchie que viennent confirmer deux tendances. Après 10 à 15 ans de pratiques du Cloud, le temps des bilans est venu, et tout n’est pas rose dans le nuage. La forte économie initiale réalisée en passant de l’investissement à la location s’envole sur la durée, et la consolidation des loyers sur dix ans révèle un coût souvent supérieur. L’engouement pour les FinOps vient rappeler les dérives financières d’un système en ligne si simple qu’on en oublie que derrière chaque service il y a un coût, et que les coûts s’accumulent, surtout si l’on oublie d’éteindre le service. C’est là qu’intervient la seconde tendance, un frémissement que nous avons détecté depuis quelques mois, la machine arrière engagée par des entreprises déçues par le Cloud, qui tentent de reprendre la maîtrise des budgets de la DSI, et qui se voient imposer des règles de souveraineté.

Le choix de l’hybride

Selon Gartner, 85 % des organisations adopteront une stratégie axée sur le Cloud d’ici 2025, et 95 % des nouvelles charges de travail numériques sont déployées sur des plateformes Cloud natives (contre 30 % en 2021). L’engouement pour le Cloud est incontestable, mais signe-t-il pour autant la fin des datacenters ? Commençons par relativiser les chiffres du Gartner, que nous savons porté par les ambitions de ses grands clients. Le SI est l’objet de multiples stratégies, et le DSI recherche des solutions qui répondent à une équation à trois composants : le coût, le coût et le coût. Que nous compléterons avec l’usage et la résilience, et une certaine facilité afin de rompre avec la complexité des projets.

La phase des ERP et CRM étant révolue, et malgré des éditeurs qui poussent à la dématérialisation vers leurs propres infrastructures et Clouds, les DSI se montrent pragmatiques et adoptent la stratégie de l’hybridation. Ils conservent le legacy lorsque c’est justifié, par l’investissement consenti, par la pertinence des outils, par le réglementaire et la sécurité, par la difficulté de la migration ; et ils basculent vers le Cloud pour les nouveaux services, qui prennent place en périphérie des grands systèmes, ou en mobilité et en télétravail. Les gros projets de migration sont rares, et soyons réalistes, ils sont coûteux. Beaucoup ont démontré qu’ils sont voués à l’échec. Le choix raisonné de l’hybride s’impose donc et le datacenter demeure le cœur des infrastructures IT.

« Les modèles de consommation du Cloud intègrent un mélange de plus en plus disparate d’environnements privés, public, hybrides, de colocation et edge. »

Mark Dehmlow, Panduit

Derrière le Cloud les DC

Mark Dehmlow, Panduit

Pour Mark Dehmlow, responsable du développement commercial Data Center de Panduit, « L’omniprésence du Cloud a fondamentalement changé la façon dont les entreprises consomment les ressources informatiques. Cependant, les modèles de consommation du Cloud évoluent eux-mêmes pour intégrer un mélange de plus en plus disparate d’environnements privés, publics, hybrides, de colocation et edge. »

Et nos datacenters, que deviennent-ils ? Rappelons tout d’abord que derrière toute donnée, il y a un datacenter. De même, migrer applications et données vers le Cloud, c’est aussi migrer d’un datacenter “legacy” vers un datacenter “public”. Donc lorsque l’entreprise déploie un Cloud privé, la salle informatique reste de mise pour fournir l’infrastructure de bas niveau nécessaire pour accueillir les serveurs IT qui feront tourner les services de Cloud. Dans une stratégie hybride, la DSI sélectionne les infrastructures qui lui semblent adaptées à ses besoins ; par exemple le legacy pour conserver les données et applications sensibles, des services dans le Cloud pour les workloads récentes et complémentaires, et les infrastructures en mode as-a-Service pour les sauvegardes et l’archivage à bas coût.

La colocation et ses services alternatifs

Les services de colocation comme Equinix, Digital Realty et Data4, ou encore les acteurs régionaux comme Etix Everywhere, Euclyde, OVHCloud ou Thésée, offrent des alternatives de datacenters pour héberger la couche IT qui reste sous le contrôle de l’entreprise et de ses infogéreurs. Et ces acteurs devenus incontournables se transforment. S’appuyant sur leurs équipementiers, ils sont les principaux chantres de l’efficacité énergétique, nonobstant les critiques des défenseurs de l’environnement. Leur capacité à contractualiser leurs approvisionnements en électricité auprès des énergéticiens les rend plus aptes à traverser la crise énergétique et les hausses de prix, partagées entre tous leurs clients. Gartner anticipe des changements de paradigme avec le Cloud, les datacenters suivent le mouvement. Les opérateurs des datacenters suivent ces évolutions et se transforment également au service de la DSI. Après l’hébergement sécurisé des serveurs, ils ont multiplié les capacités d’interconnexions entre clients à l’intérieur du datacenter, via les cross connect, vers l’extérieur en accueillant les opérateurs télécoms dans la MMR (meet-me room), et vers les géants du Cloud public pour étendre l’hybridation du SI de leurs clients. Et ils commencent à développer des catalogues de services, véritables portefeuilles multicouches pour répondre aux besoins actuels et émergents de la plupart des entreprises en matière d’infrastructure numérique.

Répondre aux attentes RSE

Daniel de Vinatea

Enfin, par leur démarche vertueuse durable (sustainability), les acteurs du datacenter répondent positivement aux attentes RSE de leurs clients, qui les intègrent dans leurs propres bilans carbone. « La capacité à documenter un impact net zéro sur le flux de déchets a le potentiel de devenir une mesure significative pour les fournisseurs de services de centres de données, car les clients prennent en compte l’intégralité des programmes de durabilité de leur datacenter », confirme Daniel de Vinatea, responsable du développement de la stratégie commerciale de Vertiv LATAM. Le recours systématique aux énergies vertes et renouvelables, lorsque c’est possible ; la compensation sous forme de PPA (Power Purchase Agreements) qui participent au financement des plateformes ENR, lorsque ce n’est pas possible ; la réduction du PUE (Power Usage Effectiveness), l’unité de mesure de l’efficacité énergétique du datacenter rapportée à la consommation de l’IT hébergée ; les exploitants jouent le jeu, ce qui a pour effet également de réduire les coûts facturés aux clients. Qu’il figure dans l’inventaire du legacy, consommé en mode colocation, ou sous-jacent du Cloud public, le datacenter demeure incontournable derrière les services IT et les données.

 


En chiffres

Les principaux obstacles et barrières qui peuvent rendre une migration vers le Cloud frustrante et difficile selon l’étude Pulse “The Future of Legacy Application Data and the Cloud”

  • 60 % – Préoccupations concernant les réglementations et la conformité.
  • 55 % – Inquiétudes concernant l’infrastructure et la sécurité.
  • 51 % – Incertitude quant aux exigences budgétaires pour l’adoption du Cloud, y compris le coût total de possession et le retour sur investissement.
  • 50 % – Le volume et la complexité des données à migrer, en particulier les données non structurées.
  • 45 % – Le manque de ressources techniques et/ou de talents nécessaires.
  • 18 % – Le manque de propriété et de contrôle complets des données dans le Cloud.
  • 18 % – Les interrogations sur la gestion des informations dans le Cloud.

 


Avis d’expert

Régis Castagné,
directeur général chez Equinix France, grand fournisseur mondial de datacenters et de services d’hébergement d’infrastructures

 

« Depuis longtemps, la révolution numérique est considérée comme la cause du changement de la société. Son importance pendant la pandémie en est une illustration : non seulement elle nous a permis de continuer à travailler, à apprendre ou à nous divertir, mais elle a aussi été essentielle à la reprise économique. Chez Equinix, nous nous efforçons de soutenir cette évolution, en étant le fer de lance d’innovations visant à réduire l’impact environnemental du numérique. C’est devenu une question de société qui nécessite, entre autres, un dialogue accru entre l’industrie et les autorités locales pour accélérer les progrès dans ce domaine. »