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Tribune – Des quotas technologiques pour la souveraineté numérique, par Jean-Paul Smets, CEO de Rapid.Space

Des quotas technologiques pour la souveraineté numérique. C’est l’idée que défend ici Jean-Paul Smets, CEO de Rapid.Space, un fournisseur de cloud Hyper Open qui propose des serveurs dédiés virtuels (VPS), un réseau de diffusion de contenu (CDN) et de l’IPv6 mondial (SDN). Rapid.Space se présente comme une alternative complète aux clouds publics conventionnels.
Jean-Paul Smets est co-président (interim) d’EUCLIDIA, une alliance industrielle formée par des créateurs européens indépendants de technologies originales de cloud, pour la promotion de l’indépendance numérique et de l’autonomie stratégique.

Un nouveau président est élu et décide de s’attaquer sérieusement à la question de la souveraineté numérique. Il constitue son cabinet et doit choisir entre deux conseillers candidats. Le premier lui explique que tout existe déjà en Europe et que dans certains domaines comme la 5G, le edge ou le PaaS nous sommes même très en avance. Le second lui explique que nous sommes en retard par rapport aux Etats-Unis et qu’il faut rattraper ce retard par un programme d’investissement.

Le premier conseiller candidat ajoute qu’il suffit que l’Etat fasse appel pour son cloud à des technologies européennes pour cesser de dépendre des Etats-Unis ; d’ailleurs, pour n’importe quel besoin, il existe environ cinq fournisseurs en Europe dont plusieurs en licence libre. L’effet d’entraînement des marchés publics conduira ensuite le secteur privé à accroître ses achats de technologies européennes. C’est ainsi que la Chine a procédé pour atteindre son autonomie stratégique.

Le second conseiller candidat propose d’investir 2 milliards d’euros du plan de relance pour rattraper le retard dans un troisième plan « cloud souverain » avec une vision claire qui évitera de répéter les erreurs d’Andromède en 2010 et Gaia-X en 2020 : l’un comme l’autre ont accéléré l’adoption des technologies américaines de cloud au détriment des technologies européennes issues de PME. On réunira l’ensemble des grands laboratoires, des territoires, des entreprises nationales pour relever le défi avec une « équipe France » du cloud dirigée par des anciens d’Andromède et Gaia-X.

Quel conseiller le président choisira-t-il ? Celui qui propose l’indépendance tout de suite ou celui qui propose l’indépendance plus tard ? Celui qui propose de rediriger, sans intermédiaires, la dépense publique des GAFAM vers la centaine de PME européennes du cloud ou celui qui propose de continuer à financer avec de l’argent public les partenaires en France des GAFAM ?

Depuis 20 ans, c’est le second type de conseillers que choisissent nos gouvernements ; des conseillers qui vont parfois travailler pour les GAFAM après avoir accompli leur mission pour l’Etat ; des conseillers qui ont travaillé pour Palantir avant de travailler pour l’Etat ; des conseillers qui ne veulent pas croire à l’existence des technologies européennes de cloud ; des conseillers pour qui leur iPhone est le signe indépassable de la reconnaissance sociale et du retard de l’Europe dans le numérique.

Mais il serait injuste de les blâmer : qu’ont à proposer de mieux les centaines de PME européennes du cloud ? Un plan de deux milliards payé par le contribuable cumule en effet les bénéfices politiques : en ne changeant pas grand chose au marché, il ne créé pas de remous. Son montant élevé donne l’illusion du volontarisme. Il est sans risque car peu de journalistes ont conscience du fait que la quasi totalité des technologies européennes de cloud proviennent de PME et non de l’entre-soi des laboratoires et grandes entreprises nationales. 

Un plan de deux milliards payé par le contribuable cumule en effet les bénéfices politiques : en ne changeant pas grand chose au marché, il ne créé pas de remous. Son montant élevé donne l’illusion du volontarisme.

Tant que les PME européennes du cloud n’auront pas une proposition apportant un bénéfice politique important, les conseillers ou ministres du gouvernement continueront d’utiliser un iPhone plutôt qu’un smartphone de la PME normande « /e/ », de promouvoir les technologies de Google plutôt que celles de la PME nantaise Clevercloud, le data hub de Palantir plutôt celui de Rapid.Space ou SenX, l’infrastructure virtualisée de Microsoft plutôt que celle de Scaleway ou Vates, l’orchestrateur de Google plutôt que celui d’OpenSVC, Signal18 ou Nexedi, etc. Le premier ministre continuera au travers de la qualification « SecNumCloud » d’exclure des marchés publics les technologies européennes de cloud au profits des technologies américaines de CISCO ou VMWare, seules à avoir reçu la qualification de la part de l’ANSSI. Le ministre du numérique continuera à porter fièrement un T-Shirt Google. Tous continueront cependant à circuler dans des véhicules de fonction Stellantis ou Renault.

Tant que les PME européennes du cloud n’auront pas une proposition apportant un bénéfice politique important, les conseillers ou ministres du gouvernement continueront d’utiliser un iPhone plutôt qu’un smartphone de la PME normande « /e/ », de promouvoir les technologies de Google plutôt que celles de la PME nantaise Clevercloud…

Les industries culturelles nous rappellent ce qu’est le bénéfice politique : le cinéma bénéficie depuis 1959 de l’avance sur recette créée par André Malraux et d’un mécanisme de quotas de diffusion ; la musique bénéficie de quotas de diffusion depuis 1996 grâce à Jacques Toubon, devenu par la suite un défenseur des droits apprécié. Ces quotas ont fait de la France le deuxième exportateur de cinéma dans le monde et favorisé le succès mondial d’artistes tels que Laurent Garnier ou les Daft Punk. Aucun président n’est élu sans le soutien d’une partie des industries culturelles. Inversement, nos gouvernements savent exploiter l’aura du monde de la culture qu’ils soutiennent officiellement à de nombreuses occasions.

Quel homme politique passera à la postérité, à l’instar de Malraux et Toubon, en instituant des quotas pour la souveraineté numérique au travers d’une loi portant son nom?

Les quotas ont déjà été utilisés pour protéger les producteurs européens de bananes, les producteurs européens d’acier, le secteur de la confection, etc. Ils ont pu faire parfois l’objet de condamnation de la part de l’organisation mondiale du commerce sans pour autant que ces condamnations soient systématiques. Les Etats-Unis utilisent les quotas pour favoriser leurs PME avec le small business act. Ils ont imposé des quotas au Japon pour obliger les entreprises japonaises dans les années 2000 à acheter des licences de logiciels américains. Lorsque les industriels européens exportent en Chine, à Cuban en Iran ou en Russie, ils se voient imposer des quotas par les Etats-Unis. Les quotas sont un universel du commerce international. 

L’idée d’appliquer des quotas dans le cloud ne signifie pas que l’on va interdire les technologies américaines. On écoute toujours de la musique américaine. Le cinéma américain représente 41% du marché français. Il ne s’agit pas non plus de favoriser les fournisseurs de cloud européens mais de favoriser les technologies européennes de cloud. Par analogie, dans le domaine du cinéma, on cherche à favoriser les contenus européens sur toutes les chaînes de télévisions diffusées en Europe. En matière de cloud, on cherchera à favoriser les logiciels ou matériels européens chez tous les fournisseurs de cloud opérant en Europe.

L’idée d’appliquer des quotas dans le cloud ne signifie pas que l’on va interdire les technologies américaines.

Le logiciel, coeur technologique du cloud, est une création protégée par le droit d’auteur. Il bénéficie de l’exception culturelle aux règles communes de l’organisation mondiale du commerce. Il est donc temps pour l’ensemble des PME européennes des technologies du cloud de se réunir et d’apporter leur soutien aux politiques qui soutiendront des quotas technologiques pour accélérer notre souveraineté numérique.