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Métiers de l’IT en pénurie – Les entreprises investissent dans la formation

Les difficultés de recrutement sont importantes sur les métiers à forte expertise technique, en raison du manque de candidats et d’une inadéquation des compétences recherchées par rapport à celles disponibles. Face à cette pénurie, de nombreuses entreprises investissent dans la formation et la reconversion.

 

« Il y a près de 200 000 emplois qui sont à pourvoir en France dans le monde numérique et dans les cinq ans qui viennent, ce sont plus de 300 000 emplois qui vont l’être », chiffrait en juin dernier Pascale Dumas, coprésidente de la commission Mutations numériques et impacts sociétaux du Medef, lors d’une rencontre avec la presse. Afin de pouvoir recruter suffisamment, « il faut à la fois imposer des plans de formation pour les nouveaux accédants sur le marché du travail mais également des plans de reconversion » pour ceux déjà en poste, expliquait-elle, indiquant qu’il s’agissait d’un “enjeu majeur” pour les territoires, comme pour la région Occitanie qui investit « à peu près 25 % de son budget, soit 950 millions » d’euros, pour financer des plans de formation et de reconversion. Un manque de formation/reconversion qui est un frein pour la transformation numérique des entreprises françaises.

Un manque de profils compétents

Ces dernières « sont toujours globalement en retard », notamment par rapport à l’Allemagne, indiquait Christian Poyau, coprésident de cette commission.

Ce que relève aussi de son côté Brandi Galvin Morandi, directrice juridique et des ressources humaines chez Equinix, un grand fournisseur mondial de datacenters et de services d’hébergement d’infrastructures, expliquant que leur dernier baromètre (Global Tech Trends Survey 2022) révèle que « le manque de profils compétents pénalise le recrutement de talents au sein d’équipes techniques à l’échelle mondiale. On déplore un manque global de compréhension quant aux compétences spécifiques requises pour certains postes. De plus, les candidats potentiels doivent être mieux renseignés et préparés quant aux opportunités qu’offre l’industrie. »

> Le manque de talents disponible est, après la vitesse de transformation de l’industrie, le deuxième plus grand défi auquel le secteur tech fait face.
La région Europe est représentée en bleu clair. Etude Equinix « Global Tech Trends Survey 2022 »

Spécialistes en cyber, développement et Cloud “very wanted”

Le rapport montre ainsi qu’en France les architectes en sécurité (24 %), les développeurs de logiciels de sécurité (24 %) et les spécialistes du Cloud (23 %) forment le trio de profils les plus recherchés. L’IA/le machine learning (22 %), l’analyse de données (20 %), l’analyse de sécurité (20 %) et la protection des données (19 %) restent des compétences demandées par les décideurs informatiques français.

« Trouver les bons profils s’avère réellement problématique dans notre secteur, en particulier dans le software, se plaint Keri Gilder, CEO de Colt Technology Services. Le fait est qu’avec la digitalisation des services, tous les secteurs réclament les mêmes compétences. Les talents sont rares et les jeunes n’ont pas encore pris conscience des opportunités disponibles dans le secteur, et par conséquent l’industrie manque de professionnels compétents. Le travail des fournisseurs de services de connectivité n’est la plupart du temps pas évoqué, même au niveau universitaire, et ce en dépit de tout le travail effectué dans les domaines des liaisons par câbles sous-marins, par satellite et par fibre optique. Nous devons mener une réflexion collaborative sur la question des talents, et travailler de façon unie pour favoriser l’intégration de profils variés dans l’attente d’une opportunité. »

Les entreprises s’investissent elles-mêmes

Face à cette pénurie de personnel qualifié, de plus en plus d’entreprises investissent dans la formation et la reconversion de professionnels issus d’autres industries. Ce qui semble un bon moyen. « Nous n’arriverons pas à résoudre cette pénurie simplement avec de la formation initiale. Il faut impérativement faire des reconversions professionnelles, en attirant des personnes qui étaient dans d’autres secteurs mais aussi en renforçant les compétences de ceux qui sont dans le domaine IT », explique Noël Courtois, qui a dirigé pendant plus de 20 ans l’école d’ingénieurs en informatique Epita.

Selon les chiffres du baromètre d’Equinix précédemment cité, en France, 48 % des responsables affirment former des individus provenant de secteurs similaires, tandis que 41 % tentent de renforcer leurs effectifs en recrutant des employés issus de secteurs variés. Les entreprises technologiques proposant des offres de formation et de développement seraient donc désormais mieux placées pour séduire des talents.

Les professionnels en reconversion proviennent principalement de l’administration (28 %) ainsi que de la finance et l’assurance (23 %). Le rapport montre que les individus réintégrant le monde du travail après une période d’absence sont également nombreux (23 %) à se former aux métiers de l’informatique. Ces nouveaux formés permettent généralement aux entreprises de combler un manque de qualifications techniques en occupant des postes d’analystes de données (31 %), de spécialistes du Cloud (30 %) ou de responsables de la conformité (30 %).

Richard Ramos, Insight

La création d’écoles maison

Pour pallier la pénurie de talents qualifiés, l’intégrateur américain Insight a ainsi décidé de lancer en octobre en France et en Europe son école interne, la “Skills Academy”, pour former à la vente et aux services IT, avec embauche à la clef. Son programme de deux ans forme des personnes ayant peu ou pas de connaissances en technologie : jeunes diplômés, personnes en reconversion et professionnels peu expérimentés. Aucun diplôme n’est requis. Cependant, l’entreprise a des exigences. « Nous recherchons des personnes disposant de bonnes aptitudes à la communication, d’un bon niveau d’anglais, d’une capacité d’apprentissage, d’un sens élevé des responsabilités », précise Richard Ramos, directeur général France d’Insight. L’intégrateur organise deux promotions par an. La première, qui a débuté en octobre, compte 5 personnes en France et 12 en Europe. La prochaine commencera en mars 2023. Des formateurs d’Insight sont chargés de la mise en œuvre du programme. A la clef, des postes dans les ventes, aux fonctions de PMO (Project Management Office) et à l’accompagnement au changement.


> Le distributeur français de logiciels de cybersécurité Exclusive Networks a lancé sa propre formation, un programme de 3 ans, destiné à renforcer la formation de ses écoles partenaires.

Autre exemple d’école interne, l’“Exclusive Academy”, un programme de formation en cybersécurité sur 3 ans que lance le distributeur français de logiciels de cybersécurité Exclusive Networks. Chaque promotion du programme comptera une vingtaine de participants, précise-t-il. Le programme va offrir une expérience pratique sur le terrain ainsi qu’une formation théorique. Les formations seront délivrées par des formateurs et des ingénieurs sécurité et réseau d’Exclusive Networks. D’après Jesper Trolle, PDG d’Exclusive Networks, « c’est la réponse d’Exclusive Networks à un défi crucial auquel est confrontée l’industrie cyber : recruter, former et retenir des experts pour rester à la pointe de la technologie. Seuls 15 % des professionnels de la cybersécurité dans le monde ont accédé à leur poste grâce à une formation en cybersécurité. Cela crée un énorme décalage entre les besoins de l’industrie et l’offre de formation. »


Jesper Trolle, Exclusive Networks

Chez les “grands” de la tech, on citera Cisco et sa “Networking Academy”, dite “NetAcad”. L’Américain a annoncé en octobre qu’il entendait dispenser une formation aux compétences numériques à 25 millions de personnes sur les 10 prochaines années. Depuis la naissance de cette Cisco NetAcad, qui compte aujourd’hui 468 organisations partenaires, 275 000 personnes en France ont bénéficié de formations aux métiers du numérique dont 8 % de femmes, chiffre Cisco. Selon ses données, depuis 2005, 84 % des Français ayant suivi des cours pensés autour de la certification Cisco ont obtenu un emploi et/ou une opportunité de formation complémentaire.

> Implanté dans l’Hexagone depuis 2001, le programme mondial de formation aux métiers de l’informatique de Cisco propose différentes formations via une plateforme développée dans le but de soutenirles enseignants et engager les étudiants.
275 000 personnes en France ont bénéficié de formations aux métiers du numérique dont 8 % de femmes, chiffre Cisco.

Cisco a lancé également Skills for All, un programme gratuit qui offre « des expériences d’apprentissage moderne telles que des cours à rythme libre, des outils interactifs et des solutions professionnelles conçus par des experts du secteur. »

Il a créé par ailleurs un nouveau parcours d’apprentissage en matière de cybersécurité débouchant sur une certification de niveau débutant « apportant aux étudiants les compétences nécessaires pour accéder à des emplois dans le secteur de la sécurité qui est en pleine expansion. »

Des partenariats avec des écoles et universités

Ses formations maison complètent les partenariats que peuvent passer les entreprises avec des écoles. Pour Exclusive Networks, c’est le cas avec Guardia Cybersecurity School, une école d’enseignement supérieur privée (un bachelor et un MSc) lancée par le groupe Quest Education en septembre 2022 à Paris et Lyon, et Oteria Cyber School basée à Paris, une école dédiée à la cybersécurité, en alternance.

Pour répondre aux nouveaux besoins technologiques des entreprises, le groupe Resadia, un réseau d’experts du numérique regroupant près de 6 000 collaborateurs sur le territoire français, a lancé une formation en alternance (qui peut être réalisée dans des agences de Resadia se situant à Lyon, Rouen, Paris ou Nice) d’analyste en génie informatique et réseaux, avec une spécialisation systèmes, réseaux et TOIP, en partenariat avec NBS Negociance Business School, basée à Metz, un organisme de formation spécialisé dans les métiers du commerce et de l’informatique et rattaché à la Fédération EBEN (entreprises du Bureau et du Numérique). De niveau Bac+3, la première promotion de cette formation nommée “R’Tech Academy” a débuté en octobre 2021.

Le soutien des régions et Pôle Emploi

Après deux premières promotions déployées à Aulnay-sous-Bois (Île-de-France) et Castelnau-le-Lez (Occitanie), Microsoft France et son partenaire historique Simplon ont inauguré en juin dernier la première Ecole Cloud Microsoft by Simplon à Lyon, parcours Administrateur Cloud. Avec le soutien de la région et de Pôle emploi Auvergne-Rhône-Alpes, le projet a réuni 9 entreprises partenaires – Devoteam, Exakis, Expertime, Hardis, Inetum, SCC, Squadra, TeamWork, Visiativ – aux côtés de Microsoft, pour soutenir la transformation numérique de la région grâce à la formation de 19 apprenants. A cette occasion, Corine de Bilbao, présidente de Microsoft France, s’est dite fière « d’ouvrir une nouvelle Ecole Cloud Microsoft by Simplon à Lyon, pour répondre aux besoins de recrutement du secteur du numérique et à la nécessité d’une plus grande diversité de profils, source de richesse pour les entreprises.

Corine de Bilbao, Microsoft

Après les Ecoles IA et Business Applications, cette Ecole Cloud confirme la contribution de Microsoft à l’écosystème numérique de la région Auvergne-Rhône-Alpes grâce au soutien de nos partenaires  ». Déployée en 2020, l’Ecole Cloud Microsoft by Simplon propose de suivre, pendant 18 mois, une formation gratuite pour les apprenants au métier de développeur Cloud ou d’Administrateur Cloud. Accessible sans condition de diplôme ni prérequis techniques pour favoriser l’égalité des chances, la formation prépare les apprenants à utiliser toutes les technologies présentes sur le marché. En complément, le passage des certifications Microsoft, reconnues sur les technologies cloud, est intégré directement aux parcours.

Favoriser la diversité, de genre et sociale

On sait que la diversité est une voie pour trouver des talents. En 2015, le gouvernement français a ainsi créé La Grande Ecole du Numérique (GEN). Elle fédère un réseau de formations inclusives et labellisées aux métiers du numérique. Elles sont ouvertes à tous, sans distinction académique, économique ou sociale. On peut citer parmi les formations labellisées GEN l’école 42, Konexio, le Wagon, Webforce3, Doranco, EPitech… La GEN propose en tout sur son portail plus de 16 000 formations à tous les métiers du numérique, techniques, avec des compétences informatiques poussées, et non techniques, comme ceux de la communication digitale, du marketing ou du e-commerce. Le leader dans le CRM Salesforce s’engage depuis de nombreuses années à développer la formation et la diversité des talents de la tech, expliquant que la demande de talents formés à ses technologies sera de plus de 200 000 nouveaux emplois en France d’ici à 2026, source IDC à l’appui. Le groupe mène de nombreuses initiatives en faveur de la formation, la réinsertion, la montée en compétences ou la reconversion professionnelle avec les programmes P-TECH, l’Ecole by Capgemini ou encore 1000 femmes dans la Tech.

Diffuser la culture numérique

Pour certains, il faut aller plus loin, la culture numérique devant imprégner la société dès le plus jeune âge. Emmanuelle Roux, PDG du Chaudron.io, qui forme à la transition numérique, et présidente du Cinov Numérique, le syndicat des indépendants, TPE et PME du numérique, affirme que « la culture numérique doit faire partie de la culture générale : elle doit être enseignée à l’école dès le plus jeune âge par des professeurs de français, de philosophie, d’histoire-géographie, y compris dans sa dimension politique. Le numérique implique un nouveau vocabulaire dans le rapport au monde : il faut avoir les mots pour penser le monde. »

Sarah-Diane Eck, membre du collectif Convergences numériques 2022, créé en juin 2021 par douze organisations et associations professionnelles de l’écosystème du numérique, pense aussi que l’apprentissage du code et des métiers du numérique « doit être repensé dès le primaire et jusqu’au supérieur et ce, pour toutes les filières. Ensuite, la formation des enseignants sur les outils et les métiers du numérique est une nécessité et on doit l’inclure dans leur programme de formation, du primaire au supérieur. Face au peu de femmes dans le numérique, il faut par ailleurs sensibiliser les prescripteurs, parents et professeurs à la mixité dans ces métiers technologiques »