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IA : les usages concrets en entreprise

A l’origine de bien des fantasmes, inquiétudes et interrogations, l’Intelligence artificielle est aujourd’hui au cœur des préoccupations des entreprises qui la perçoivent comme un nouvel outil de compétitivité. L’IA, un terrain propice au lancement de projets.

Les progrès spectaculaires de l’intelligence artificielle ont été favorisés par l’augmentation de la puissance de calcul et de stockage des machines et par l’explosion du volume de données disponibles pour nourrir cette IA. On est cependant encore loin d’une intelligence artificielle suprême qui dépasserait le cerveau humain.

Nicolas Demassieux

« L’intelligence humaine se décompose en quantité de fonctions cognitives comme les capacités de percevoir, planifier et décider, affirme Nicolas Demassieux, vice-président d’Orange Labs. Aujourd’hui, une IA bien entraînée sait en imiter certaines. Par exemple, elle reconnaît des visages ou des objets sur une image bien mieux qu’un être humain ne les perçoit. Par contre, elle n’est pas capable de prendre des décisions complexes nécessitant une appréhension du contexte global, un enchaînement d’idées et du raisonnement ».

Le bon moment pour se lancer !

Si les grands groupes s’intéressent à l’IA depuis longtemps, le contexte est aujourd’hui plus que favorable à la diffusion de l’IA dans les entreprises de toutes tailles. « Les entreprises sont techniquement prêtes, conscientes des gains potentiels, rassurées par la maturité des technologies et dans une démarche d’innovation, assure Jean-Guillaume Fages, cofondateur de la startup Cosling, qui a obtenu le prix mondial de la meilleur thèse en programmation par contraintes. Evidemment, l’effet de mode est aussi présent mais ceux qui pensent que l’IA est “magique” risquent d’être déçus. Il vaut mieux partir de problématiques métier précises et chercher les solutions pour y répondre que l’inverse ».

Selon Yves Caseau, président de la Commission Technologies de l’Information et de la Communication de l’Académie des Technologies qui a publié le rapport « Renouveau de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique », les entreprises françaises utilisent des techniques “intelligentes” dans la gestion de leur relation client depuis longtemps. La fabrication et la distribution B2B en consomment également pour la supply chain, la maintenance… Il estime qu’il faut lancer des projets immédiatement. « D’abord, dans la continuité de ce qui se fait depuis dix ans en profitant des outils “simples” qui ne demandent pas beaucoup de données. Ensuite, en préparant les data pour les méthodes plus sophistiquées – les réseaux de neurones profonds – qui exigent des jeux de données riches et des métadonnées ».

Robert Ptaszynski

La donnée, clé de l’IA

Robert Ptaszynski, expert Digital Experience Solution chez Oracle France qui a débuté sa carrière en 1997 chez IBM et son Watson (à l’époque nommé Deep Blue) “embrasse” chez le spécialiste de la base de données les nouvelles technologies, telles que l’intelligence artificielle, la blockchain et les chatbots « A l’époque, un supercalculateur, c’était des millions de dollars alors qu’aujourd’hui c’est le prix d’un téléphone ou d’une Apple Watch pour faire des calculs. C’est ce qui permet à nos clients de faire de l’intelligence artificielle et l’un des facteurs de cette explosion autour de ce sujet. » Accès au niveau du prix, puissance des supercalculateurs et données, “les poumons de l’IA”, permettent à l’intelligence artificielle de prendre place dans l’entreprise, qui par ailleurs, pour se différencier, doit aujourd’hui se réinventer alors que les modèles économiques changent, souligne le responsable. C’est l’intelligence artificielle qui, lui donnant agilité et réactivité, lui permet d’offrir “des avantages compétitifs”. « Les entreprises doivent absolument faire évoluer leurs compétences analytiques. Adopter l’ “enterprise AI”, c’est se mettre au diapason d’un marché qui repose de plus en plus, à tous les niveaux, sur l’intelligence artificielle », souligne Florian Douetteau, CEO de Dataiku, qui édite une plateforme logicielle d’analyse prédictive tout-en-un (Dataiku Data Science Studio). « Nous arrivons à un moment où les entreprises peuvent changer des processus entiers dans leur manière de prendre des décisions et de fonctionner, d’automatiser par exemple 80 % de certains aspects de la relation clients », via des bots notamment, « sans tomber dans la caricature ».

Axel Mery

Markess a mené une enquête pour Fujitsu auprès de cinquante grands comptes du CAC40 et du SBF120. Elle révèle que 88 % d’entre eux jugent que l’IA peut répondre aux enjeux de la transformation des relations avec les clients et 86 % aux challenges de la transformation des opérations et des processus. « Plus de la moitié ont déjà lancé des projets en “Proof Of Concept” ou en mode “Test and Learn” et 25 % sont déjà passés à l’industrialisation », affirme Axel Mery, CTO de Fujitsu France. On trouve les projets les plus matures dans les transports et chez les opérateurs télécoms, dont la culture de la donnée est très forte. « L’industrie est aussi à la pointe mais les projets sont plus longs à mettre en œuvre car complexes et très consommateurs de data », confie-t-il.

D’après l’enquête de Fujitsu, la peur de l’IA et la nécessaire évangélisation des différents métiers de l’entreprise arrivent en tête des freins majeurs (40 %). Prendre en compte l’impact de l’IA sur l’humain n’est donc pas une option mais une obligation. L’étude de Malakoff Médéric et du Boston Consulting Group, « Intelligence artificielle et capital humain. Quels défis pour les entreprises ? » le met bien en exergue. Elle propose un « Vademecum du DRH augmenté » en quinze actions à lancer dès maintenant.

Du recrutement à l’achat en passant par l’industrie

« C’est une transformation massive des méthodes de travail qu’il faut anticiper – et non une “AI-pocalypse” destructrice, agitée comme un chiffon rouge par certains », explique Alain Roumilhac, président de ManpowerGroup France. Et, en matière de recrutement, le groupe fait valoir que les algorithmes sont plutôt là pour accompagner l’entreprise et les DRH. Au dernier salon Vivatech, ManpowerGroup présentait d’ailleurs sa “Digital Room” qui propose des entretiens d’embauche en immersion avec un recruteur virtuel. Face à un écran, le candidat à un poste en dit plus sur son parcours et sur lui-même, en une quinzaine de minutes. Faisant appel aux algorithmes, l’avatar analyse les réponses, les connaissances, mais aussi l’attitude et le comportement du postulant : le nombre de sourires, les intonations de voix, etc. Autant de critères pour mesurer l’aptitude à occuper un poste donné. Les algorithmes utilisés fondent leurs analyses sur l’enregistrement vidéo (détection des émotions, analyse des sentiments), audio (analyse du discours, compréhension de l’intention) et du langage (sentiment positif/négatif, extraction de phrases clés, identification du sujet). La salle virtuelle a été développée par la filiale Experis du spécialiste du travail intérimaire et a déjà mené des centaines d’entretiens. Elle sert avant tout à la présélection de candidats pour les entreprises de 1 000 salariés et plus, et d’ailleurs ne raye personne “d’office” de la liste des talents potentiels. L’expérience peut se réaliser soit dans un espace physique, l’eBubble (voir photo), soit en ligne.

> La Digital Room, ou eBubble, de Manpower Group, un recruteur virtuel intelligent

L’IA sur les applicatifs métiers

L’IA au service de l’homme, c’est bien ce que l’entreprise cherche, y compris dans le domaine, plus prosaïque, de la consommation. « Même nos parcours d’achats, souvent scénarisés, font appel à des innovations surprenantes mais redoutablement efficaces puisque basés sur l’économie de l’authenticité » assure Benjamin Dunkel, Head of Solution Consulting & Retail Acquisition EMEA chez Bazaarvoice.

« En effet, une étude récente publiée par Bazaarvoice révèle le lien entre l’utilisation de programmes de Contenu Généré par les Consommateurs (CGC), et la décision d’achat. Ces petits programmes mixant algorithmes et IA et analyse humaine, concentrent actuellement toutes les attentions des grandes enseignes. Il s’agit de proposer aux consommateurs un avis en ligne adapté et visuel (photos et vidéos), publié par leurs pairs ayant précédemment acheté les mêmes produits sur les différents sites et magasins des marques et des distributeurs. Résultat : lorsque les futurs acheteurs accèdent à des contenus visuels générés par d’autres acheteurs du même produit, on observe une augmentation de 11 % du taux de conversion (passage à l’achat). »

Sur ses applicatifs métiers, ERP, Supply Chain Management (SCM), Human Capital Management (HCM), et Customer Experience (CRM, outils marketing…), Oracle propose une intelligence artificielle et du Machine Learning en temps réel, grâce à ses Adaptative Intelligence Apps, pour pouvoir directement analyser les données. En ressources humaines, cela permet d’identifier le meilleur candidat pour un poste, dans l’ERP d’optimiser la trésorerie, par exemple. Côté manufacturing (fabrication), Oracle répond présent également avec de l’IA qui récupère les données à la fois dans les applications métiers (ERP, CRM…) et en provenance des machines de production (machines de tests, capteurs…). Avec les données clients et celles de la chaîne de production, le champ est ainsi ouvert « à la projection, préconisation et autres », indique Robert Ptaszynski.

Le service Oracle AI Platform Cloud (offre PaaS), qui sera disponible en septembre, fournira aux spécialistes des données un moyen facile et rapide de configurer un environnement complet pour travailler sur le Machine Learning. Il offrira toute une série de librairies, d’outils, de frameworks et d’infrastructures.

> Gregoire du Peloux

Automatiser les tâches répétitives

Comment gagner du temps, quel que soit le domaine, c’est à cette question finalement que répond aujourd’hui l’IA. A commencer par l’IT, affirme Grégoire du Peloux, Strategic Solutions Lead chez Tata Consultancy Services en France. Les entreprises investissent avant tout sur « l’amélioration des processus existants dans le SI, note t-il. Pour une raison simple, les données sont déjà présentes, et là où l’IT était un peu à part dans l’entreprise, aujourd’hui elle fait partie de la plupart des services et des produits mis sur le marché. On a mis en place un framework qui s’appelle “Machine first” et qui consiste, sur la gestion du SI, qu’il s’agisse de la production ou du support utilisateur, à mettre en place un premier niveau de traitement automatisé. On arrive à résoudre plus de la moitié des incidents et problèmes chez certains de nos clients (performance, capacité en particulier). Dans tous les process d’opérations, on a aussi des cas d’usage qui génèrent des retours d’investissement très importants, que cela soit en termes de réduction des cycles (accélérer le traitement des processus), de fiabilité et de qualité des traitements, et de conformité réglementaire : détection des fraudes, lutte anti-blanchiment dans le secteur des banques et des assurances… »

Peut-on définir l’intelligence artificielle ?

Pionnier de l’IA, le chercheur américain Marvin Minsky l’a positionnée comme relevant d’un champ de l’informatique dédié à la construction de programmes qui s’adonnent à des tâches pour l’instant accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres humains car elles demandent des processus mentaux de haut niveau tels que l’apprentissage perceptuel, l’organisation de la mémoire et le raisonnement critique.

Pour autant, y-a-t-il aujourd’hui une définition univoque de l’IA ? Le rapport Villani estime que définir l’intelligence artificielle n’est pas chose facile. « Le champ est si vaste qu’il est impossible de la restreindre à un domaine de recherche spécifique ; c’est plutôt un programme multidisciplinaire. Si son ambition initiale était d’imiter les processus cognitifs de l’être humain, ses objectifs actuels visent plutôt à mettre au point des automates qui résolvent certains problèmes bien mieux que les humains, par tous les moyens disponibles ».