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LA FACTURE ELECTRONIQUE, POURQUOI NE S’IMPOSE-T-ELLE PAS ?

Le contexte légal est favorable et les outils sont adaptés, mais la facture n’a toujours pas atteint son point de bascule numérique. Les acteurs de la filière identifient les freins qui entravent la croissance du marché.

 

L’économie globale incite depuis quelques années gouvernements et entreprises à adopter l’e-facture. En France, c’est la plateforme Chorus Pro qui centralise les factures électroniques des fournisseurs des collectivités locales et de l’État. Lorsque ces fournisseurs sont de grandes entreprises, la facturation électronique est rendue obligatoire depuis déjà plus d’un an. Elle vient de l’être depuis le 1er janvier de cette année pour les ETI, et concernera les PME début 2019, puis les très petites entreprises en 2020. Cent millions de factures sont émises chaque année entre toutes ces structures et la sphère publique. Au mois de novembre 2017, Chorus Pro avait déjà traité plus de 9 millions de factures.

Chorus Pro montre l’exemple

Avec l’ajout des entreprises de taille intermédiaire, ce chiffre devrait nettement progresser dès la fin de l’année pour logiquement atteindre les 100 % de factures dématérialisées d’ici 2 à 3 ans. Ces 100 millions de factures pèsent toutefois peu en comparaison des 2 milliards échangées chaque année dans le secteur privé, et dont près de 15 % sont fiscalement dématérialisées. En imposant à ses partenaires une migration des processus basés sur le papier vers le numérique, l’État ne s’est pas seulement lancé dans une opération de rationalisation des achats publics, de traçabilité et de lutte contre la fraude à la TVA, il espère aussi convaincre les entreprises avec lesquelles il ne travaille pas de franchir le cap. Le développement de la dématérialisation des factures dans le secteur public peut-il entraîner un déploiement général dans le privé ? « Un fournisseur qui doit en 2018 facturer électroniquement une collectivité le fera sûrement aussi pour ses clients privés. Il doit alors s’en remettre à une plateforme pouvant dialoguer à la fois avec Chorus Pro et les systèmes d’information de ses clients privés car exploiter deux solutions de facturation n’est pas simple », souligne Eric Jamet, directeur marketing et innovation chez Tessi Documents Services.

Avec ses modes d’accès multiples – saisie de données, envois de PDF, EDI ou API – Chorus Pro ne fait que calquer des procédés en vigueur depuis plusieurs années mais cherche à en gommer la complexité.

Gommer la complexité des procédures

Ce qui est aussi le cas des prestataires spécialistes de l’e-facture, dont les plateformes acceptent tout type de format, facilitent la saisie en ligne, orchestrent, sécurisent et contrôlent le transfert des données dans des clouds hybrides pouvant répondre à des besoins standards et mutualisés ou personnalisés.

« On vise aujourd’hui une suppression totale du papier pour tous les fournisseurs et clients quelle que soit leur taille. »

Eric Brétéché, Itesoft

 

« On vise aujourd’hui une suppression totale du papier pour tous les fournisseurs et clients quelle que soit leur taille. Le déploiement de la facture électronique bénéficie aussi des évolutions réglementaires et normatives. Ces obligations marquent également la volonté de l’État d’impliquer le secteur privé. Il avait été même envisagé dans l’article 222 de la loi Macron, avant sa présidence, d’obliger les entreprises du secteur privé à accepter une facture électronique. Mais l’ordonnance n’est jamais sortie car forcer à accepter une facture électronique qu’est-ce que celà veut dire, accepter un format PDF, un fichier EDI au format UBL, un autre format ? On ne peut pas imposer à une entreprise de supporter tous les formats de factures. En revanche, l’obligation de produire une piste d’audit fiable pour les factures émises au format PDF simple a représenté au cours des dernières années une grande avancée, même si, lorsqu’on reçoit une facture sous ce format, il faut en extraire les données, d’où des besoins en OCR et en lecture automatique. L’actualité en 2018, c’est plutôt l’émergence du format mixte Factur-X dont l’intérêt est d’intégrer à la fois l’image de la facture sous la forme d’un fichier PDF et ses données sous la forme d’un fichier XML. Ce qui a l’avantage d’être facilement exploitable par une petite comme une grande entreprise », indique Eric Brétéché, product manager chez Itesoft.

Un problème de confiance…

Réduction du coût de traitement, automatisation des processus, réduction des retards de paiement et amélioration de la qualité de service sont les principaux atouts de la facturation électronique. Si la totalité des factures échangées en France était aujourd’hui dématérialisée, le gain potentiel serait de 20 milliards d’euros rien que sur le coût global de l’émission et la réception, estiment les spécialistes. Pourtant, cette perspective économique n’entraîne pas une ruée des entreprises, loin s’en faut. L’explication principale : La dématérialisation se heurte à une résistance le plus souvent d’ordre culturel.

« Il faut que les entreprises, les administrations mais aussi les particuliers s’inscrivent dans un schéma de confiance qu’il faut encore et toujours renforcer dans l’esprit de tous. »

Olivier Normand, Docapost

« Le frein principal qui entrave la bascule numérique d’un flux documentaire quel qu’il soit, c’est la confiance dans ce flux. Lorsqu’on libère les contraintes, que celles-ci soient réglementaires, légales ou opérationnelles, on assiste à une explosion des flux digitaux. Si on prend l’exemple de bulletins de paie avec la loi El Khomri, les flux de bulletins de salaire électroniques ont été multipliés par 50 simplement en inversant le système de consentement. Pour la facture électronique, l’obligation qui est faite aux entreprises de l’utiliser pour travailler avec l’État, et bientôt certainement entre les entreprises elles-mêmes, va lever un frein considérable. Mais ce n’est pas suffisant, il faut que les entreprises, les administrations mais aussi les particuliers s’inscrivent dans un schéma de confiance qu’il faut encore et toujours renforcer dans l’esprit de tous. Cette confiance augmente certes tous les ans mais elle est encore vécue comme quelque chose de complexe. D’où l’importance de créer des solutions opérationnelles pour offrir aux entreprises des expériences utilisateurs et des parcours clients plus simples, tout en garantissant le respect des contraintes de sécurité en termes de risques juridiques et financiers. Il faut également leur proposer une accessibilité totale et permanente à leurs documents. Il faut considérer aussi le prix qui doit correspondre au prix psychologique que l’utilisateur perçoit, indépendamment des investissements qu’a pu consentir l’opérateur, car dans l’esprit des gens le digital est moins cher. Enfin, ces entreprises se posent les questions de l’archivage obligatoire des factures, et de la re-matérialisation des flux », explique, Olivier Normand, expert confiance numérique et conformité juridique chez Docapost.

… et de priorité

Grand classique parmi les mauvaises habitudes, il est encore fréquent de constater que des factures fournisseurs au format électronique sont imprimées. A l’heure du Cloud, de la robotisation et des techno disruptives comme la blockchain, il faut bien convenir que la dématérialisation fiscale des factures n’est pas encore entrée dans les mœurs. Ludovic Partika, CEO de Primobox, en fait le constat. « Beaucoup de PME et ETI ne sont pas équipées. Il y encore une certaine évangélisation à réaliser sur le terrain. Le flou autour de la piste d’audit fiable versus signature électronique n’arrange pas les choses. La phase d’avant-vente s’allonge et les priorités sont placées ailleurs, et, malgré de réels argumentaires qui mettent en avant la simplicité, la rapidité et un ROI garanti, la prise de décision ne se fait pas. Cette inertie est influencée par une gestion du changement du client final qui se traduit par une crainte d’amorcer les projets. Nous pensions qu’avec Chorus Pro la contrainte allait amener une dynamique plus large, mais ce n’est pas le cas. Autre facteur de ralentissement, la connaissance de l’adresse mail. Celle-ci est effectivement très peu présente dans les données de la facture, et quand elle est connue, ce n’est pas évident qu’elle soit fiable ou corresponde à une adresse de service comptable, cela peut paraître absurde mais c’est une dure réalité… et donc, lorsque l’entreprise doit qualifier une base client, la récupération d’adresses mail devient si chronophage qu’elle n’est pas réalisée ».

 


Factur-X, un standard en devenir

Première implémentation de la norme EN 16931 publiée par la Commission Européenne le 16 octobre 2017 et dont les spécifications sont précisées sur les sites de l’Afnor et du FNFE-MPE (Forum national de la facture électronique et des marchés publics électroniques), Factur-X se veut le nouveau standard de la facture électronique. Il est porté par la France et l’Allemagne, et son intérêt est d’inclure dans un même format des données structurées et non structurées, autrement dit à la fois un fichier XML tel qu’en produit un flux EDI, et un fichier image tel qu’en produit un PDF. De quoi satisfaire les entreprises qui peuvent désormais combiner un format simple mais assurant tout de même la lisibilité des données et le contrôle de la complétude (PDF A/3) avec un format plus lourd destiné au traitement automatisé des données (XML UN/CEFACT). Factur-X devrait rejoindre la liste des formats acceptés sur la plateforme Chorus Pro dès ce printemps. Ainsi, si les fournisseurs décidaient d’adopter Factur-X, ils pourraient exploiter le même outil pour facturer les entités de la sphère publique et leurs clients du secteur privé. Il resterait toutefois à clarifier les impacts de l’utilisation de ce double format sur les règles de facturation en matière de TVA et sur la possibilité d’y adjoindre les éléments qui constituent une piste d’audit fiable.