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Comment réinventer l’organisation de travail à l’heure du travail hybride et de l’IA générative ?

de g. à d. Danièle Linhart Cécile Dejoux, Marianne Yalfani et Chloé Sebagh
de g. à d. Danièle Linhart Cécile Dejoux, Marianne Yalfani et Chloé Sebagh

Travail hybride, modes de management, attentes des salariés, révolution de l’IA générative et diversité ont été au menu d’une table ronde invitant les entreprises à se réinventer, à l’occasion de l’inauguration du nouveau campus parisien de Cisco.

Bouleversement de l’intelligence artificielle générative, télétravail et présentiel, encadrement des salariés, bien-être au travail et politique d’inclusion : une DRH, une professeure, une chercheuse et une responsable d’association ont échangé sur les changements en cours dans les organisation de travail. Une table ronde 100 % féminine chez un géant de la tech, Cisco, lors de l’inauguration de son nouveau site parisien, est à souligner car quasiment inédite.

Le télétravail s’est imposé avec la crise sanitaire, il s’agit aujourd’hui d’affiner le cadre du travail hybride, selon Marianne Yalfani, DRH de Rakuten France : « Aujourd’hui, l’entreprise doit redéfinir les modalités du travail hybride. Il s’agit en même temps de ne pas se fermer des portes en termes de recrutement quand certains candidats veulent du 100 % télétravail, tout en valorisant le travail en présentiel, qui fluidifie la collaboration et développe les échanges informels. Les équipes RH de terrain doivent accompagner le changement. »

Vers le care management

Cette évolution change en profondeur l’organisation du travail. « Le new normal se caractérise par 4 éléments : l’incertitude, les injonctions paradoxales comme la liberté induite par le télétravail versus de nombreuses réunions, le nouveau rôle du manager dans un monde en accélération, et le désengagement des salariés, souligne Cécile Dejoux, professeure au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) et fondatrice de l’observatoire du futur du travail, des transformations managériales et RH. Le manager, relais opérationnel de la stratégie d’entreprise, peut être chamboulé par les changements. Aujourd’hui, son rôle passe par le care management : il doit prendre soin de son équipe mais aussi de lui-même pour éviter la surchauffe mentale. Attention, sous pression, il peut devenir involontairement toxique. »

« Les salariés demandent plus d’autonomie, de liberté mais aussi de reconnaissance au travail »

La vision de l’organisation du travail et du management de Danièle Linhart, sociologue et directrice de recherche au CNRS sur les sujets d’évolutions du travail et de l’emploi, est différente : « Le modèle managérial actuel repose sur deux piliers : le premier est la personnalisation et la psychologisation de la relation de chacun au travail, avec un entretien annuel, des objectifs et une évaluation personnalisés. On demande au manager de gérer chacun au plus près, avec un management des émotions. Aussi le lien de subordination est souvent vécu de façon personnelle. En outre, on demande au salarié d’avoir des compétences comportementales – ou soft skills – d’être résilient, de sortir de sa zone de confort et de se dépasser. De leur côté, les salariés demandent plus d’autonomie, de liberté mais aussi de reconnaissance au travail. Ce pilier est en tension avec le second, une organisation de travail cadrée par les grands cabinets de conseil, avec des processus normés, des meilleures pratiques et du reporting. Aujourd’hui, il y a une certaine perte de repères qui nourrit les risques psychologiques et sociaux (RPS) et la souffrance au travail. Que le salarié sente qu’il n’est pas dominé par un énième changement, mais qu’il se l’approprie, qu’il le contrôle, est fondamental. »

Respecter le sens professionnel de l’individu

Pour Mme Linhart, l’entreprise n’a pas besoin de talents, mais de professionnels capables de coopérer entre eux, d’apporter des choses à leur entreprise : « Les Français investissent leur honneur dans leur travail, plus que les Britanniques qui ont un rapport contractuel au travail, accomplissant les missions décrites dans le contrat. Le Français veut être reconnu et fier de son travail. Il faut avant tout respecter le sens professionnel de l’individu : il a des valeurs, des règles liées à son métier. Le travail est un outil d’accomplissement de soi. Chaque professionnel doit être acteur de son travail, notamment dans la définition de sa mission et des moyens associés. » D’après elle, la soumission à des procédures trop rigoureuses ou nombreuses, dictées par la rentabilité à court terme, peut mettre le salarié en difficulté et impacter son bien-être au travail : « Aujourd’hui, il faut libérer l’intelligence professionnelle pour inventer de nouvelles façons de travailler non délétères pour le salarié, mais aussi pour le consommateur et pour la planète. »

Libération de la parole et coconstruction chez Rakuten

Marianne Yalfani témoigne des actions mises en place dans son entreprise, filiale du groupe japonais Rakuten, pour plus impliquer les salariés: « La culture d’entreprise japonaise, avec le sens du service au client, est intégrée à notre organisation de travail. Par exemple, chaque semaine a lieu une réunion où l’on parle des réalisations par équipe et la direction donne des chiffres. Nous disposons d’outils de feedback pour recueillir de façon précise les besoins des salariés, de façon anonyme, ce qui permet de libérer la parole. Ainsi, nous utilisons des enquêtes d’engagement et des outils de pulse, c’est-à-dire des sondages fréquents, courts et rapides. Nous analysons les réponses et faisons une restitution aux collaborateurs. Dans une démarche de coconstruction, ces derniers peuvent proposer des actions à intégrer dans le plan d’actions. Nous suivons des indicateurs clefs de performance sur le recrutement, le développement des collaborateurs et les départs. »

Se former tout au long de la vie

Etre acteur de son travail, c’est aussi être acteur de son évolution professionnelle. L’entreprise doit inviter ses salariés à se former tout au long de leur vie professionnelle, non seulement par rapport à leur poste actuel mais à leurs objectifs de carrière, selon Mme Dejoux : « On se forme donc aussi pour soi, Cela peut passer par des façons variées de se former, comme des contenus de micro-learning. Aujourd’hui, il est important de se former aux compétences comportementales (par exemple voix et gestuelle dans le cadre d’une réunion en visio) et aux nouvelles technologies (prompter pour l’IA générative, créer du contenu vidéo…). »

S’adapter, et donc se former aux changements technologiques est devenu incontournable. Il y a eu les révolutions d’Internet, du smartphone, et aujourd’hui celle de l’IA générative. Mme Dejoux conseille aux entreprises d’encadrer son usage par une charte, comme l’a fait Orange par exemple avec sa charte éthique de la data et de l’intelligence artificielle : « Cette 3e révolution modifie ou remplace des tâches de salariés junior. L’expérience des seniors me semble pour l’heure un précieux avantage non substituable. Mais pour tous, il faudra demain rester employable, et donc s’adapter à la transformation des métiers et des technologies. Il faut penser la transformation en terme de responsabilités, d’autonomie, de créativité et de valeur ajoutée du salarié. »

Promouvoir la diversité dans le numérique

La valeur ajoutée du salarié passe aussi par son unicité. Ouvrir son recrutement à de nouveaux profils, les intégrer à l’entreprise est un moteur de croissance et de l’intelligence collective. Chloé Sebagh, directrice de la communication et du plaidoyer chez Diversidays, association nationale d’égalité des chances créée en 2017 qui prône le numérique comme accélérateur de diversité, indique : « Il existe trois freins principaux à la diversité dans les métiers du numérique. La diversité représente un atout économique important pour les entreprises, comme l’ont montré différentes études, notamment de McKinsey. Ces freins sont l’âge, le niveau de diplôme et l’origine géographique. Il s’agit de recruter de façon plus diverse, en se faisant aider par des associations spécialisées. Il s’agit aussi de former les managers et les salariés à la diversité, et de libérer la parole sur les enjeux qui lui sont liés, lors des journées internationales par exemple, comme la journée internationale des droits des femmes le 8 mars. Il s’agit enfin de mesurer la diversité par des indicateurs. »

S’adapter pour réussir

Ainsi, offrir une organisation du travail hybride et souple, offrir plus d’autonomie, d’initiative et de reconnaissance aux salariés, les écouter, les former aux changements technologiques et renforcer la diversité des équipes semble être le cocktail réussi de ce début d’année 2024. Aux entreprises de mettre en œuvre ces évolutions, vecteurs potentiels de réussite, de bien-être et de croissance.