Accueil Digital Workplace Comment l’IA transforme les métiers, selon un expert mondial de l’INRIA

Comment l’IA transforme les métiers, selon un expert mondial de l’INRIA

Yann Ferguson - Directeur de recherche Laboria Inria - Photo DR
Yann Ferguson - Directeur de recherche Laboria Inria - Photo DR

A quelques jours de l’ouverture du sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, où il interviendra, Yann Ferguson, Directeur scientifique du LaborIA à l’INRIA et spécialiste des mutations du travail, nous livre ses observations sur les transformations provoquées par l’IA. Interview 1/3.

SN – Les études sur l’intelligence artificielle révèlent des impacts significatifs sur l’emploi et les organisations. Quels sont les résultats clés de vos travaux dans ce domaine, et comment les percevez vous ?

YF – Il y a beaucoup d’études qui sortent tous les jours sur l’IA. Par exemple, celles du Forum économique mondial et celles du FMI. Elles ne disent pas la même chose. Pourquoi et qu’ont-elles en commun ? Ce sont d’abord souvent des études quantitatives très volumétriques fondées sur des statistiques. Elles reposent sur des hypothèses.
Elles recouvrent un état de l’art de technologie par rapport à des compétences de métiers.
Par exemple, l’OCDE nous dit que l’IA a progressé sur cinq grandes compétences : l’ordonnancement de l’information, la mémorisation, la vitesse de perception, la vitesse de structuration et la flexibilité de structuration. L’étude dit l’IA a augmenté sur ces cinq compétences dites d’adulte.

Les chercheurs regardent les compétences mobilisées sur un métier. Ils déduisent une substitution possible. L’OCDE donne ainsi un résultat décoiffant, affirmant par exemple que les trois métiers les plus exposés à l’IA sont les directeurs généraux, les ingénieurs et les managers. Ils partent de l’idée qu’un métier devient exposé à l’IA quand il y a un grand niveau de recouvrement entre les compétences de l’IA et celles d’un métier. Quand le recouvrement est fort, l’étude dit que le métier est très exposé – ce qui peut se traduire par sa disparition.

Selon vous, est-ce une disparition ou une transformation de ces métiers ?

En fait, l’IA automatise l’emploi et le transforme plutôt. Finalement, le métier change beaucoup, mais il est toujours là. On n’attendra plus la même chose des managers, ingénieurs et directeurs généraux, ils n’auront plus les mêmes outils, la même manière de piloter leurs performances.

Lorsqu’on aborde des hypothèses davantage centrées sur la capacité d’automatisation de l’IA, on part de l’idée que l’IA prend en charge des tâches qui ne nécessitent plus d’intervention humaine. C’était une vision largement partagée dans les années 2010, où l’on parlait beaucoup de l’automatisation des tâches répétitives. Cependant, en 2025, un nouveau concept émerge, celui des “agents”.

“En 2025, un nouveau concept émerge, celui
des “agents”.”

Un agent automatise l’intégralité d’une séquence. Quand vous utilisez l’IA générative, vous l’utilisez pour améliorer votre mail ou pour écrire votre article par exemple. L’agent va l’écrire, l’envoyer au rédacteur en chef ou le publier directement. Il va réaliser une chaîne de séquences.
Par exemple, vous aurez un avatar qui fait les interviews, une autre IA qui rédige l’article et une troisième qui l’envoie à votre rédacteur en chef et assure la publication. L’agent pilote plusieurs systèmes d’IA. Il fait une séquence complète d’un métier.

“L’agent pilote plusieurs systèmes d’IA. Il réalise une séquence complète d’un métier.”

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’apporte ce concept ?

Avec ce nouvel agent, nous avons de nouvelles études qui viennent dire que des métiers comme celui de secrétaire, par exemple, vont probablement disparaître. Oui, certainement, le métier va être très largement réduit. Pourquoi ? Parce qu’un agent va regarder les disponibilités du manager, lui commander le billet d’avion, réserver l’hôtel, lancer le paiement par carte bleue puis les lui adresser. La séquence peut potentiellement prendre une demi-heure à 1 h pour un (e) assistant(e). Les agents vont gérer toutes les séquences très rapidement. 

Comment s’adapter ?

Ce que je remarque, c’est que d’abord le digital a eu tendance à aller chercher ces métiers de secrétaire ou du journalisme par exemple. Les journalistes, pendant longtemps, avaient chacun un secrétaire de rédaction, qui corrigeait, mettait en forme les articles… Puis, via des logiciels dédiés, le journaliste a tapé directement son article dans une page pour publier le journal. intégrant le travail de mise en page dans le digital. Cependant, le travail n’a pas disparu, il s’est déplacé. On a supprimé la ou le secrétaire de rédaction et c’est le journaliste qui fait lui-même leur travail. Mais si l’on regarde bien, c’est vrai aussi pour nos démarches administratives en ligne, nous avons moins d’agents administratifs, moins de fonctionnaires. Mais nofffffffus faisons le travail en ligne. Le travail, c’est l’administré qui le fait. Ce n’est plus l’agent. La question est de savoir dans quelle mesure les managers qui jusque-là bénéficiaient d’un secrétaire ou d’une secrétaire sont prêts à récupérer ce travail ? Sont-ils prêts à faire cela ? J’aurais tendance à dire non.

Quel est le rôle de l’humain dans les métiers ?

Les secrétaires font bien plus que ce qu’on pense ou que l’on décrit. Les personnes ont la mémoire de l’organisation. Enlever l’assistant(e) de direction et cela devient complexe. Le directeur est complètement dépendant de son assistant(e) de direction pour rentrer dans des sujets opérationnels. Enfin, avoir un secrétaire ou plusieurs secrétaires, c’est aussi une source de prestige, des marqueurs de pouvoir.

Un autre exemple intéressant est celui des ascenseurs. Ils sont automatisés depuis des années. Nous n’avons plus de grooms. Sauf dans les hôtels de luxe. C’est très bien d’avoir des services personnalisés. Pour les gens qui sont les plus en plus haut de l’échelle sociale, c’est très important d’avoir du personnel. Si on leur propose des robots, ce ne sera plus pareil. Tout ça ne veut pas dire que je remets totalement en question ces études, mais cela permet de montrer qu’ il se passe autre chose qu’une action purement rationnelle de gain de productivité en remplaçant un humain par une machine.

“Il se passe autre chose qu’une action purement rationnelle de gain de productivité en remplaçant un humain par une machine.”

On le voit, il y a beaucoup d’enjeux sociaux. Par ailleurs, ces études sont souvent très théoriques. Elles résument que l’IA peut faire comme le métier, et ainsi va le remplacer. Mais les métiers sont beaucoup plus riches que ce qu’on lit dans les nomenclatures de fiches de poste. On réalise tous bien plus de choses !

Il faut noter qu’avec une partie des tâches automatisée, il se produit une perte de la maîtrise globale d’un process, on déchaîne les tâches et le métier. Cela perd complètement de son sens, et le travail ne devient pas si facile à réaliser parce qu’on a perdu la vision globale de l’activité.

 

Pour découvrir la 1ère interview : https://www.solutions-numeriques.com/la-majorite-des-employes-utilisent-lia-a-linsu-du-manager/