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Bruno Le Maire : « La France doit devenir la première terre d’accueil de datacenters en Europe. »

Bruno Le Maire, ministre des Finances, inaugurait le 19 février le 8e datacenter dans l’hexagone d’Equinix, en Seine Saint-Denis, représentant un investissement de 100M€.L’investissement cumulé du groupe américain dans l’hexagone atteint désormais 1 milliard d’euros. L’occasion pour le ministre d’affirmer l’ambition française d’être un leader dans le secteur du numérique, dans les datacenters et l’intelligence artificielle, et de s’en donner les moyens.

Le bâtiment était auparavant un centre de tri postal :  « je pense qu’il n’y a pas de meilleure illustration de ce que notre économie est en train de devenir avec la digitalisation. Ici, il y a quelques années, on triait les lettres, on triait des colis, on triait des cartes postales. Aujourd’hui on stocke des données. Et tout l’enjeu pour notre pays, c’est de réussir cette révolution digitale et d’être leader en Europe en matière de révolution numérique. Je suis convaincu que la France a toutes les capacités pour y parvenir et qu’elle est dans la bonne direction. Il suffit que nous accélérions pour y parvenir. » a déclaré le ministre.

Le ministre a insisté sur l’ « ambition d’aider nos entreprises à se numériser. » Il a indiqué sa volonté de dégager un montant de 10 milliards d’euros sur « un Fonds pour l’innovation de rupture qui va financer des programmes de recherche, notamment sur l’intelligence artificielle. »

Après avoir rappelé « qu’il est de notre intérêt d’avoir nos datacenters présents ici, sur le sol français », il a annoncé : « je crois à la nécessité d’un cloud sécurisé (…) qui garantira la sécurité absolue des données les plus stratégiques. », et que l’Etat veut mettre en place avant la fin de l’année. Le retour du « Cloud Souverain » ?

Ce long discours volontariste marque une grande ambition et une  forte volonté du gouvernement d’aller de l’avant dans le numérique. C’est pour quoi ce discours que nous reproduisons ci-dessous fera certainement date.

Jean Kaminsky

 

Le discours de B. Le maire

« Au-delà de cette inauguration, je crois que chacun doit avoir conscience que, dans cette révolution technologique dans laquelle nous entrons, qui est la quatrième révolution industrielle, il y aura des vainqueurs et il y aura des vaincus.

Notre responsabilité, avec le président de la République et l’ensemble de la majorité, c’est que la France – et l’Europe de manière générale – fassent partie du camp des vainqueurs : le camp des vainqueurs, ce sont ceux qui seront indépendants en matière d’intelligence artificielle ; le camp des vainqueurs, ce sont ceux qui auront suffisamment d’investissements et de moyens financiers pour avoir leur propre stockage de données indépendants, souverain ; le camp des vainqueurs, ce sont ceux qui maîtriseront toutes les nouvelles technologies, que ce soit sur le stockage des énergies renouvelables ou le guidage des voitures autonomes, pour être indépendant et souverain.

Et c’est maintenant que ça se joue. Pas demain, pas après-demain. C’est maintenant.

Dégager les moyens financiers

C’est maintenant qu’il faut prendre les décisions nécessaires pour dégager des moyens financiers et du capital pour innover et investir.

C’est maintenant qu’il faut soutenir nos chercheurs pour avoir une recherche qui soit à la pointe de cette révolution technologique.

C’est maintenant qu’il faut mettre en commun nos ressources européennes pour avoir des géants industriels dans ces nouvelles technologies, qui soient capables de faire la compétition avec les géants chinois ou les géants américains. Nous devons donc investir massivement dans l’intelligence artificielle, le président de la République l’a indiqué, nous devons dégager des moyens financiers pour le faire, nous devons avoir les ressources de recherche pour y parvenir et nous devons le faire aussi dans un cadre européen en rassemblant les forces qui peuvent se rassembler.

N’oublions pas – si on prend un tout petit peu de recul quand je parle de vainqueur et vaincu – que si la France a pu devenir la 5ème puissance économique mondiale, si l’Europe appartient encore aux grandes puissances économiques de la planète, c’est parce qu’elle a réussi une révolution industrielle à la fin du 19ème siècle qui lui a garanti une suprématie économique pendant toute la durée du 20ème siècle.

Ceux qui réussiront leur révolution technologique, ceux qui réussiront la révolution de l’intelligence artificielle seront ceux qui garderont une prospérité économique au 21ème siècle.

Ceux qui ne réussiront pas cette révolution technologique de l’intelligence artificielle deviendront dépendants et vassaux des autres nations et des autres continents.

Je n’ai aucun goût pour la vassalité et je tiens à notre souveraineté nationale et à notre souveraineté européenne. C’est la raison pour laquelle nous ne sommes autant déterminés à réussir cette quatrième révolution technologique pour que la France et l’Europe restent une grande puissance économique au 21ème siècle, capable de défendre ensuite ses intérêts politiques.

Car les deux sont liés : il n’y a pas de souveraineté politique sans souveraineté technologique. On peut toujours dire qu’on veut le secret des données, on peut toujours dire qu’on est attaché au secret médical, on peut toujours dire qu’on ne veut pas que les assureurs aient accès à des données de santé de tel ou tel citoyen parce que ce serait profondément injuste. Mais si vous n’avez pas les technologies pour stocker vos données, les traiter avec l’intelligence artificielle, tout cela, ce sont des paroles en l’air. Chacun doit réaliser ce qui est en jeu ici : c’est notre conception de la société qui dépendra de notre capacité à être indépendant en matière technologique.

Je le redis : il n’y a pas au 21ème siècle de souveraineté politique sans souveraineté technologique. L’un va avec l’autre ou sinon ce ne sont que – je le redis – que des paroles en l’air.

Pour réussir cette révolution, la France doit déjà dégager des moyens financiers. C’est un des premiers points de la stratégie que nous avons mise en place avec le président de la République et le Premier ministre. Je sais qu’il est de bon ton aujourd’hui de critiquer les choix du Gouvernement en matière de fiscalité. Mais les choix que nous avons faits, qui visent à alléger la fiscalité sur le capital, n’ont qu’un objectif : dégager plus de capital pour investir davantage dans l’innovation. Car cette innovation n’a qu’un seul défaut – le directeur général vient de nous le rappeler – c’est qu’elle coûte très cher et que chaque investissement se chiffre en centaines de millions d’euros.

(…) Il faut de l’argent pour investir et  si le capital est trop taxé, il n’y aura pas d’argent, pas d’investissement, pas de révolution technologique, pas de succès national dans les technologies du 21ème siècle.

Même chose sur les choix que nous avons faits sur la cession d’actifs publics qui vont servir à financer le Fonds pour l’innovation de rupture de 10 milliards d’euros.

Moi, je veux bien que l’Etat continue à gérer les boutiques, les hôtels et le développement international d’Aéroports de Paris. Mais ça immobilise 10 milliards d’euros qui seraient infiniment plus utiles pour investir dans la recherche sur l’intelligence artificielle. Et donc je revendique ce choix qui consiste à sortir de l’argent qui est de la rente pour l’Etat pour qu’il puisse investir dans les technologies qui ont besoin de ces financements.

Je préfère 10 milliards d’euros sur un Fonds pour l’innovation de rupture qui va financer des programmes de recherche, notamment sur l’intelligence artificielle, plutôt que de garder ce capital immobilisé pour gérer des boutiques, des hôtels ou le développement international d’Aéroport de Paris qui est une magnifique entreprise qui peut réussir différemment.

Devenir la première terre d’accueil de datacenters en Europe

La deuxième chose, c’est qu’il faut se fixer une ambition.

Notre ambition c’est que la France soit la première terre d’accueil de datacenters en Europe. Aujourd’hui, nous sommes les quatrièmes derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas.

Eh bien, j’ai la conviction profonde que nous avons tout pour être la première terre d’accueil des datacenters en Europe. Nous avons un réseau électrique très fiable qui fait notre fierté, un réseau électrique qui est particulièrement maillé sur tout le territoire. C’est un premier atout. Nous avons une électricité disponible à un des prix les plus compétitifs de toutes les nations européennes, et j’en fais la publicité devant vous. J’espère que ça ne dépasse pas cette seule salle pour dire à quel point la France est attractive de ce point de vue-là. Notre électricité a un autre atout : elle est décarbonée à 95%. Il y a peu d’Etats européens qui peuvent dire la même chose : pas chère, propre, voilà l’électricité française, raisons supplémentaires pour venir en France.

Nous avons un des meilleurs réseaux télécoms européens. Nous avons un leader français du secteur, OVH, et des entreprises étrangères qui ont fait la décision de s’implanter ici – Equinix, Microsoft, Salesforce – qui ont annoncé l’ouverture de plusieurs datacenters en France. Donc, c’est la preuve que le mouvement va dans la bonne direction. Il faut l’accélérer, et je redis notre ambition : être le premier centre de datacenters en Europe.

Aider les entreprises à se numériser.

Pour cela, il faut également, et c’est la troisième ambition, aider nos entreprises à se numériser.

Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises ne le sont pas suffisamment. Nous voulons accélérer leur transformation. Les choix que j’ai rappelés sur la fiscalité du capital vont dans ce sens-là. L’appui public à la numérisation et à l’innovation vont dans ce sens-là.

Je vous rappelle que le Premier ministre a décidé de sanctuariser le crédit impôt recherche, que nous avons créé un suramortissement de 2 ans et je souhaite que toutes les PME, TPE, entreprises qui nous écoutent, qui n’ont pas encore engagé ce mouvement de robotisation et de digitalisation, utilisent ces 2 années de suramortissement – je ne suis pas certain d’en refaire deux encore à la suite – deux années de suramortissement qui doivent permettre à nos entreprises d’investir dans la robotisation et dans la digitalisation.

Fiscal: la TIFCE

Renforcer nos atouts pour gagner cette bataille et être les premiers en Europe, c’est également répondre aux demandes des datacenters, en matière fiscale. Vos infrastructures d’hébergement de données consomment plusieurs centaines de mégawatts par semaine. C’est un coût important pour l’électricité, mais c’est surtout un coût fiscal tout court. Nous avons donc mis en place un taux réduit de taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité, dont nous avons débattu longuement au Parlement.

Cette TIFCE, à quoi sert-elle ? A faire de la France, non seulement du point de vue électrique, non seulement du point de vue technologique, mais aussi du point de vue fiscal, le pays le plus attractif en Europe pour les datacenters. La contrepartie de tout cela, c’est l’engagement que vous avez pris et qui m’a été rappelé par le directeur général, d’améliorer l’efficacité énergétique de vos installations. C’est un défi qui est absolument considérable, mais qu’il faut impérativement relever pola

première terre d’accueil de datacenters en Europeur construire un modèle de croissance durable.

Voilà pour l’ambition : innover, conquérir, être la première terre des datacenters en Europe.

La souveraineté numérique

Mais il faut également, quand on innove et quand on investit, être capable de se protéger, et on voit bien que toute la stratégie que nous voulons développer, en France comme en Europe, repose sur ces deux pieds : innover et protéger.

Et plus nous innovons, plus il faut nous protéger, parce qu’il y a des choses à conquérir. Plus vous avez des technologies sensibles, plus vous maîtrisez les technologies de la quatrième révolution industrielle, plus il faut vous protéger pour éviter que ces investissements ne servent à d’autres qu’à ceux qui ont mis les moyens humains et financiers pour les réaliser.

La première condition de notre souveraineté numérique et de cette protection, c’est d’avoir une capacité d’hébergement de données satisfaisante sur notre sol, et cette capacité d’hébergement de données va devenir de plus en plus cruciale à mesure que va se développer cette révolution industrielle.

Prenez un seul exemple, celui des véhicules autonomes. Si nous n’avons pas sur notre sol un nombre suffisant de data centers pour héberger les données des algorithmes qui sont nécessaires au développement du véhicule autonome, les données de nos automobiles et donc la sécurité, et même la circulation de ces véhicules autonomes seront stockées à l’étranger et soumises au régime juridique local. C’est donc un risque industriel direct, mais aussi un risque de sécurité direct.

C’est pour cela qu’il est de notre intérêt d’avoir nos datacenters présents ici, sur le sol français.

La seconde condition de la délocalisation, c’est de sécuriser ces données avec un cadre juridique qui nous soit propre. Un cadre juridique national et européen. Nous travaillons donc à un dispositif de protection des données stratégiques de nos entreprises, pour que leurs données ne puissent pas être récupérées par l’administration ou par la justice américaine, sans que ces entreprises ne soient averties.

Nous devons renforcer les outils de sécurité numérique dont nous disposons. Nous avons la loi de blocage qui peut être un premier outil, et nous souhaitons donner à cette loi de blocage – qui, jusqu’à présent, a été inefficiente – nous souhaitons lui redonner toute sa portée juridique, afin que les entreprises puissent l’invoquer face aux autorités étrangères.

Je pense également au renforcement du contrôle des investissements étrangers en France, que nous rendons possible dans la loi PACTE, et qui nous permettra de couvrir un champ de secteurs élargi, notamment les activités d’hébergement de données, en renforçant les procédures de contrôle et de sanction de ces investissements.

La nécessité d’un cloud sécurisé

Et puis, il y a les infrastructures même dont nous disposons, et je crois qu’il y a une vraie complémentarité entre les différents clouds que l’on peut mettre en place. Il peut y avoir un cloud public qui gère les données les moins sensibles, qui peuvent être accessibles sans que cela pose de difficultés. Il peut y avoir un cloud privé, donc confié à un opérateur privé, comme c’est le cas ici pour des données qui ont besoin de protection, mais qui n’ont pas une sensibilité stratégique pour les entreprises. Et je crois à la nécessité d’un cloud sécurisé, un cloud sécurisé qui, lui, garantira la sécurité absolue des données les plus stratégiques. Ce cloud sécurisé, ça doit être à mes yeux trois ambitions.

D’abord, une technologie qui nous soit propre, ensuite la possibilité d’adjoindre un minimum de services à ce cloud, et enfin, en troisième lieu, une sécurité absolue pour les données qui figureront sur ce cloud sécurisé. Nous y travaillons avec l’ensemble des opérateurs, avec des industriels et nous souhaitons disposer de premières propositions d’ici la fin de l’année 2019.

D’ici la fin de l’année 2019, nous souhaitons, avec le Premier ministre et avec le président de la République, disposer de premières propositions de mise en place d’un cloud sécurisé répondant aux impératifs que j’ai indiqués : technologies, services, sécurité absolue pour le stockage de données qui sont des données stratégiques.

Je redonne l’exemple auquel je suis le plus sensible, parce que je crois que pour nos compatriotes, c’est très important.

Prenez les données de santé. Chacun voit bien la sensibilité extrême que peuvent représenter ces données de santé, à la fois pour protéger nos compatriotes, et en même temps pour leur assurer une justice par rapport aux gestions qui pourraient être faites et à l’utilisation qui pourrait être faite de cette donnée.

Négocier avec les Etats-Unis au niveau européen

Enfin il y a un dernier niveau, c’est le niveau européen.

Nous devons aussi affirmer notre souveraineté européenne dans ce domaine, et nous devons poser des limites claires au Cloud Act, qui permet aujourd’hui aux autorités américaines, qu’elles soient judiciaires ou administratives, de récupérer des données sans que les entreprises ne soient averties, et sans que nous ayons les moyens de nous y opposer.

Nous réaffirmons donc le Règlement général sur la protection des données, le RGPD, et nous donnerons, nous voulons donner un mandat clair et ambitieux à la Commission européenne pour négocier avec les Etats-Unis un accord bilatéral sur ce sujet. L’objectif, c’est tout simplement d’instaurer à nouveau de l’équilibre et de la réciprocité sur la gestion des données.

Personne ne peut accepter qu’une administration étrangère, même l’administration américaine, puisse aller récupérer les données d’une entreprise industrielle ou non, stockée chez un hébergeur américain, sans que cette entreprise ne soit avertie et sans que nous n’ayons de moyens de réagir. Cette question-là doit être réglée et ça fait partie du mandat qui doit être donné à la Commission européenne dans sa négociation avec les Etats-Unis. »