Accueil La Dinum : interview Xavier Albouy - Au moins 3 ans pour...

La Dinum : interview Xavier Albouy – Au moins 3 ans pour accélérer la transformation numérique des services de l’Etat

La Direction interministérielle du numérique (Dinum) œuvre beaucoup pour changer les mentalités et la gestion des processus numériques des services publics français. Xavier Albouy, son directeur adjoint, détaille à Solutions Numériques les nombreux progrès réalisés grâce à l’activation, depuis trois ans, des programmes Tech.Gouv et France Relance.

 

Xavier Albouy,
directeur du programme Tech.Gouv et directeur adjoint de la la Direction interministérielle du numérique (Dinum)

 

 

 

  • Magazine Solutions Numériques : La France est-elle, selon la Dinum, toujours en retard en matière d’informatisation des services de l’État en 2021 ?

Il est difficile de répondre de façon simple à une question qui couvre beaucoup de domaines et de paramètres, et pour lesquels les outils de mesure ont nécessairement des biais. Toutefois, nous suivons des études externes, notamment une étude réalisée chaque année par la Commission européenne sur les services numériques en Europe, le “DESI”. La France y était classée 16e en 2018, 12e en 2020 et nous espérons gagner encore au moins une place en 2021. Ce classement, en progrès, est l’un des indicateurs de performance du programme Tech.Gouv.

 

  • Pourquoi la France n’est-elle pas encore dans le top 10 de ce classement européen ?

L’informatisation des services de l’État progresse bien au quotidien, même si son évaluation fine reste difficile à mesurer dans l’absolu. En France, les ministères ont déjà fait des progrès très importants ces dernières années dans la transformation numérique de l’Etat. La Dinum publie plusieurs outils pour mesurer cette progression : dont le site numérique.gouv.fr qui contient un TOP 50 semestriel où figurent les grands projets numériques de l’État dont le coût dépasse 9 M€, ainsi qu’un TOP 250 sur la numérisation des démarches en ligne.

 

  • Quels sont les grands axes d’informatisation des services de l’État qui restent une priorité pour la Dinum sur 2022 ?

Sous l’impulsion de la ministre de la transformation et de la fonction publiques, la Dinum compte au moins trois axes pour accélérer cette transformation numérique des services de l’État en 2022, dans le cadre du programme Tech.gouv notamment. Le premier concerne la mise à disposition de la donnée, des algorithmes et codes sources publics afin par exemple d’aider les usagers dans leurs démarches numériques du quotidien, ou d’améliorer la prise de décision publique. Amélie de Monchalin, la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, a d’ailleurs remis en septembre 15 feuilles de route aux différents ministères pour les aider à s’approprier leurs données et à bien les restituer. Le second axe concerne une valorisation accrue des meilleures pratiques numériques dans le service public. Nous avons donc créé les Start-ups de l’État, un programme qui aide un agent désireux de monter une start-up, dans une logique « intrapreneur », afin de développer une solution innovante permettant de résoudre un problème de politique publique identifié dans son administration. Il recevra du support, des moyens et de la méthodologie de la part de l’incubateur de la Dinum ou de son ministère.

Le troisième volet concerne l’accélération des actions de dématérialisation des services de l’État, un programme déjà bien engagé par le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques. Lors de son démarrage, la Dinum avait compilé les 250 démarches administratives les plus utilisées par les citoyens afin de les simplifier et de les rendre toutes disponibles en ligne. 212 le sont déjà en cette rentrée 2021. La Dinum fait encore tout particulièrement attention à la qualité perçue par l’utilisateur final, qui peut d’ailleurs évaluer chacune de ces démarches administratives lors de son utilisation. Le taux de satisfaction des usagers ne cesse de progresser. Cette stratégie porte ses fruits car elle résulte d’un changement culturel important en interne quant à l’écoute des usagers de la part de personnels désireux, eux aussi, de construire des services publics à plus forte valeur ajoutée.

 

  • Comment la Dinum peut-elle encore améliorer concrètement la transformation numérique en cours des administrations ? Et pour tous les projets IT de l’État, ou seulement pour les nouveaux ?

« L’objectif initial était 25 % des agents de l’État
en capacité technique complète de télétravailler
à fin 2022. Nous sommes déjà à 35 %
en cette rentrée 2021. »

La Dinum peut intervenir sur des projets numériques en cours ou en phase de lancement. Nous travaillons de concert avec les différents ministères pour changer la donne sur les projets de transformation déjà inscrits au programme Tech.gouv. Il existe encore plusieurs domaines où des efforts sont nécessaires.
Dont celui concernant l’attractivité de l’État pour attirer des experts du Numérique, que nous adressons avec notre programme Talents, car l’État est également en concurrence dans la recherche des meilleurs talents avec les entreprises du secteur privé. Par exemple, notre programme Entrepreneur d’Intérêt Général (EIG) permet le recrutement de data scientistes, de développeurs et de designers qui ne veulent pas forcément travailler à vie pour l’administration. La Dinum leur lance des défis pour améliorer concrètement des mesures ou processus numériques dans le cadre de missions de 10 mois à effectuer dans les ministères (cf https://eig.etalab.gouv.fr/). Beaucoup restent pour accomplir d’autres missions et ils contribuent ainsi à rendre l’État plus attractif comme employeur du numérique.

Le Premier ministre a annoncé en juillet sa volonté de travailler à rendre l’administration française encore plus proactive en matière de démarches administratives et d’aide. Quand un citoyen a droit à une aide, il ne doit plus avoir à s’informer auprès de l’administration concernée qui, a contrario, doit lui expliquer ce à quoi il a droit. C’est clairement une nouvelle frontière que les administrations doivent franchir, et au-delà de laquelle obtenir progressivement des avancées, ce qui prendra plusieurs années.

 

  • La Dinum rencontre-t-elle encore des freins importants sur la Conduite du changement Numérique dans les administrations ou pour financer ses projets de transformation ?

La Dinum constate un changement important dans les mentalités et la gestion des processus numériques dans les administrations. Elles ont réalisé des efforts significatifs ces dernières années en matière de conduite du changement Numérique, sous l’impulsion des directeurs du Numérique de chaque ministère. Quant au financement de la transformation numérique de l’État et du territoire, il s’est accéléré suite au lancement par France-Relance, dès fin 2020, d’un grand plan doté d’une enveloppe de 500 M€. Il a permis de débloquer des projets IT concrets importants pour les administrations. Elles recevront une enveloppe de l’État leur permettant de cofinancer jusqu’au 3/4 du coût total des projets IT sélectionnés.

 

  • Comment la Covid-19 a-t-elle impacté les priorités IT et les budgets de la Dinum dès 2020 et comment y avez-vous répondu ?

La crise sanitaire n’a pas bouleversé les priorités du programme Tech.Gouv. La plupart des projets de transformation ont été maintenus et nous avons dû accélérer avec les directeurs du numérique des ministères la numérisation des services d’État afin de garantir à certains de ses agents la possibilité de continuer à travailler durant la pandémie, même à distance. L’objectif initial du programme Tech.Gouv en 2020 était de mettre 25 % des agents de l’État en capacité technique complète de télétravailler à fin 2022. Or, nous sommes déjà à 35 % en cette rentrée 2021. J’ajoute que 78 % des agents interrogés déclarent pouvoir le faire de façon partielle. Malgré les progrès accomplis, il reste encore du travail pour les équiper encore plus largement en PC portables et en solutions collaboratives notamment.

 

  • La Dinum a-t-elle déjà équipé un grand nombre de fonctionnaires et d’agents dès 2020 pour leur permettre de passer en télétravail, au moins partiellement ?

« Le Sac à Dos Numérique de l’Agent
a bénéficié d’un financement important dans le cadre des 500 M€ de l’enveloppe “mise à niveau numérique de l’Etat et des Territoires”. »

Comme dans le secteur privé, la Dinum et les ministères ont rencontré quelques difficultés pour commander des PC à cause des pénuries générées par le boom de la demande durant la pandémie. Toutefois, nous sommes parvenus à en commander plusieurs dizaines de milliers depuis 2020. Je précise que la part du PC portable a beaucoup augmenté dans les parcs de machines des ministères. En matière d’outils de collaboration, nous avons également créé le Sac à Dos Numérique de l’Agent, qui bénéficie d’un financement important dans le cadre des 500 M€ de l’enveloppe « mise à niveau numérique de l’Etat et des Territoires » du plan de France-Relance. Au-delà de l’outillage, la Dinum a mis en place un projet de financement et d’accompagnement des équipes pour améliorer leur fonctionnement et leur encadrement en tirant parti des outils numériques. Le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques a d’ailleurs produit des guides dans ce domaine.

 

  • La Dinum oblige-t-elle les agents et fonctionnaires à n’utiliser que des solutions bureautiques ou collaboratives françaises ou européennes, voire en open source, et pas dans un cloud public américain de préférence ?

La circulaire du Premier ministre sur la doctrine cloud de l’État de juillet 2021 est claire. Elle explique les solutions à utiliser par les services publics en France et avec quelles règles dans la perspective de la souveraineté numérique de l’État. Plusieurs actions favorisent l’utilisation de briques open source notamment, comme pour notre outil de webinaire basé sur BigBlueButton, un logiciel sous licence libre. Sinon, la doctrine cloud au Centre de l’État explique que les données sensibles doivent être placées dans des cloud labellisés a minima SecNumCloud par l’ANSSI et protégées des réglementations extra-communautaires.

 

  • L’État français doit-il désormais n’acheter que des offres et outils IT français pour développer une “vraie” souveraineté Numérique française ? La Dinum est-elle victime elle aussi du syndrome NIH (Not Invented Here) cher à certains agents ?

« Nous pouvons également développer
des solutions en interne, sans pour autant réinventer la poudre quand il existe déjà
de bonnes solutions disponibles.. »

En la matière, la Dinum respecte bien entendu les règles de la commande publique qui fixent un cadre juridique déclinant le droit européen. La Dinum encourage les entreprises françaises qui disposent de solutions innovantes à les présenter dans le catalogue disponible sur le site https://catalogue.numerique.gouv.fr/. Son existence montre que nous faisons évoluer les choses. Nous pouvons également développer des solutions en interne, sans pour autant réinventer la poudre quand il existe déjà de bonnes solutions disponibles.

 

  • La Dinum peut-elle faire évoluer les modes d’achat des outils informatiques de l’État afin de rapprocher l’offre et la demande, dans le cloud notamment ?

L’offre de l’Ugap, une centrale d’achat du secteur public, permet déjà de choisir entre les offres de plusieurs fournisseurs de services cloud. La Dinum espère qu’un plus grand nombre d’entre eux essaieront de s’adapter à nos exigences pour obtenir des parts de marché plus importantes dans l’administration et ainsi rapprocher l’offre de la demande.

 

  • La Dinum favorise-t-elle davantage la commande publique sans appel d’offres quand son montant est inférieur à 100 000 euros afin d’aider les DSI de l’État à tester des solutions IT ?

Dans le cadre du code de la commande publique, il existe les marchés de l’innovation où les procédures de commande sont très allégées afin d’aider effectivement les DSI à tester des solutions IT innovantes. La Dinum réalise la promotion de ce dispositif en interne. J’ajoute qu’un volet du plan de France Relance finance les tests sur des technologies innovantes. Les projets retenus bénéficient eux d’une enveloppe budgétaire avec un cofinancement pouvant aller jusqu’à 100 000 euros. https://france-relance.transformation.gouv.fr/c471-utiliser-des-technologies-emergentes-pour-ame

 

  • Pourquoi la Dinum a-t-elle lancé en 2021 un projet de soutien financier à l’innovation où elle joue le rôle (concurrent de BPI ?) de fonds d’investissements pour les administrations (100 000 euros par opération) ?

« Tester des technologies qui améliorent
le service aux usagers. »

La Dinum souhaite aider les administrations à tester des technologies qui améliorent le service rendu aux usagers. Cette initiative est complémentaire de celle de BPI, qui finance, elle, les entreprises privées. Une vingtaine de projets lauréats ont déjà été financés (cf projets ITN6 sur https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/france-relance-donnees-relatives-aux-laureats-des-appels-a-projet-et-guichets-du-volet-mise-a-niveau-numerique-de-letat-et-des-territoires-enveloppe-mtfp/). L’enveloppe de 500 M€ du plan de relance arrive à terme dès fin 2022.