IA : comment former, comment l’utiliser ? Des réponses avec le G9+

De g. à d. Alain Roumilhac, Manpower, Laurence Devillers, professeure à la Sorbonne, Franck Denié, SNCF, Laurent Champaney, Arts et Métiers, Luc Bretones, g9+
De g. à d. Alain Roumilhac, Manpower, Laurence Devillers, professeure à la Sorbonne, Franck Denié, SNCF, Laurent Champaney, Arts et Métiers, Luc Bretones, g9+

Comment aider les actifs à se former et prendre le virage de l’IA ? Quels cas d’usage dans les organisations ? Organisée à Paris lundi dernier, la table ronde de l’institut G9+, think tank français, avec notamment Numeum, France Travail, la SNCF et les groupes BPCE et Manpower, a donné des réponses à ces questions.

« L’IA permet de dégager du temps pour la créativité, est une aide aux découvertes scientifiques, à la gestion des risques (par exemple l’alerte aux vagues scélérates), » explique Laurence Devillers, professeure en intelligence artificielle à la Sorbonne. Il s’agit donc de former certains professionnels à des usages spécifiques, et tout le monde à l’utilisation d’outils d’IA générative.

Intégrer l’IA dans les formations, mêmes non technologiques, et former des professionnels de l’IA

« De façon globale, il faut sensibiliser tous les Français à l’IA : il s’agit de démystifier l’IA, souligne Véronique Torner, présidente du syndicat professionnel Numeum. Et pour accompagner les utilisateurs, il faut mettre de l’IA dans toutes les formations, afin de questionner le métier vers lequel débouche la formation, que ce soit juriste, manager ou autre. Enfin, dans le numérique, nous manquons de professionnels dans tous les domaines, dont l’IA. Il faut accompagner les écoles, que ce soit au niveau de l’Education Nationale, de l’enseignement supérieur, et les programmes de reconversion. »

Le groupe BPCE forme ses salariés à l’art de prompter, afin d’utiliser le ChatGPT interne et sécurisé. Plus largement, le groupe bancaire français accompagne les personnes dont certaines compétences sont obsolètes soit à améliorer leurs compétences dans leur domaine d’activité, soit à se reconvertir. Cristel Guillain, directrice transformation et talents, groupe BPCE, annonce ainsi que « 600 personnes ont suivi un programme d’upskilling ou de reskilling, dont 500 dans les métiers tech et data, dans des métiers comme data owner, data quality manager… La sélection s’est faite par des tests sur le jeu Minecraft, pour permettre aux personnes sans connaissance avec la tech de postuler. »

« L’IA peut intervenir dans le cadre de notre projet d’internalisation d’une partie des développeurs, indique Henri Pidault, DSI de la SNCF, sachant que nous faisons aujourd’hui appel à 4 000 développeurs d’ESN. Nous avons déjà formé en deux ans 400 développeurs parmi nos cheminots (sur 800 candidats) avec Simplon. L’IA me paraît être un accélérateur de la montée en compétences. Nous voulons par ailleurs concevoir des IA qui soient des experts verticaux, c’est-à-dire en mesure d’accompagner nos différents métiers au quotidien par un assistant intelligent. Il s’agit d’injecter le corpus de connaissances adaptés – par exemple la documentation de maintenance des TGV – à un LLM. L’IA devrait ainsi accélérer la formation et l’employabilité des jeunes recrues, pour devenir des techniciens qualifiés. »

Développer son esprit critique face à l’IA

Mme Torner fait remarquer qu’en accélérant la formation des jeunes recrues, les entreprises vont devoir revoir leurs programmes d’intégration, et prévient : « attention, un jeune dans le métier a moins l’esprit critique. Or, il faut conserver un esprit critique quand on fait appelle à l’IA. » D’après Axel Cypel, data scientist, responsable des projets IA au LCL et auteur de « Voyage au bout de l’IA : ce qu’il faut savoir sur l’intelligence artificielle », la première des compétences à développer pour utiliser l’IA générative est le bon sens. Mais d’alerter : « la question de la dépendance aux outils d’IA va se poser, il faut faire attention. »

Laurent Champaney, directeur général de l’École des Arts et Métiers et président de la Conférence des grandes écoles, réfléchit : « on demande aux cadres supérieurs des solutions à des problèmes de plus en plus complexes, avec l’ajout par exemple de critères environnementaux et sociétaux. L’IA est un outil qui peut les « augmenter », mais en qui ils ne doivent pas avoir une confiance totale : ils doivent assumer leurs choix. Or, je remarque que les entreprises forment leurs cadres au management, au développement personnel, mais très peu aux outils techniques. »

Un marché du travail polarisé

Pour Alain Roumilhac, président de Manpower Europe du Sud, l’IA va continuer à polariser le marché du travail, entre métiers manuels, de service et d’accompagnement d’une part, et métiers d’expertise de l’autre, avec en sus une disparition progressive des métiers dévolus aux classes moyennes : « La capacité d’adaptation des travailleurs à opérer dans un nouvel environnement, de plus en plus numérique, est cruciale. Il s’agit de les aider à se préparer à cet environnement. » Franck Denié, DSI de France Travail, constate : « nous avons Pix pour évaluer les compétences de base numériques des demandeurs d’emploi. Je ne sais pas encore comment demain nous allons évaluer les compétences en intelligence artificielle. »

Des usages variés pour gagner en productivité à faire adopter

En entreprise comme dans les administrations, l’usage de l’IA peut faire beaucoup gagner en productivité. Le groupe d’intérim et de recrutement Manpower a testé une IA prédictive au sein de certaines agences : elles se sont avérées 20 % plus efficaces quand elles priorisaient leurs actions en fonction de l’ordre des commandes clients suggéré par l’IA que lorsqu’elles suivaient leur intuition. « Mais nous avons un mal de chien à le faire adopter bien que les équipes des agences aient une part de rémunération variable, » déplore Alain Roumilhac.

Franck Denié, DSI de France Travail reste prudent : « France Travail est très prudent sur l’IA. L’adoption par les conseillers passera par la compréhension du sens qui lui sera donné : l’IA pourra dégager les conseillers de certaines tâches pour leur permettre de passer plus de temps avec les demandeurs d’emploi qui en ont le plus besoin. S’il y a une réelle aide dans leur travail quotidien, l’adoption sera facilitée. Il faudra mesurer l’impact de l’IA sur nos processus et nos conseillers. »

France Travail réfléchit aujourd’hui à un usage de l’IA générative pour pallier à un problème de qualité de données : en général, il n’y a relativement peu de données renseignées dans les profils des demandeurs d’emploi et les offres d’emploi. L’idée, d’après M. Denié, serait de « capter des données à travers de nouvelles modalités d’interactions entre le demandeur d’emploi et France Travail. Puis de les réinjecter dans le système d’informations de France Travail à des fins d’amélioration de la qualité d’accompagnement des demandeurs d’emploi. »

France Travail travaille également à des prompts sur la réglementation complexe en matière d’indemnisation pour outiller les conseillers spécialisés. Ainsi « augmentés » par l’IA, ils pourraient donner l’information la plus juste possible à chaque demandeur d’emploi sur son cas particulier.