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« Sans formation, l’IA devient une menace. Avec un accompagnement adapté, elle devient une alliée. » Quentin Amaudry, CEO de Mendo

Quentin Amaudry, CEO de Mendo

Alors qu’Accenture a récemment annoncé se séparer de collaborateurs jugés « dépassés par l’IA », Mendo défend une approche inverse : celle d’une IA au service des salariés, et non de leur remplacement. Quentin Amaudry, CEO de la jeune pousse française spécialisée dans l’adoption de l’IA générative en entreprise, revient sur cette actualité, les résultats de sa dernière étude, et la nécessité d’un accompagnement humain pour transformer l’IA en levier de compétences.

Solutions Numériques & Cybersécurité : L’annonce d’Accenture a fait grand bruit. Comment l’interprétez-vous ? Est-ce selon vous le signe d’un tournant dans la façon dont les entreprises abordent l’IA ?

Quentin Amaudry : En effet, cette annonce a marqué les esprits. Mais il faut l’interpréter avec recul. Il y a d’abord un aspect de communication : Accenture veut montrer qu’elle est à la pointe de l’adoption de l’IA, qu’elle « a compris plus vite que les autres ». En réalité, ces départs auraient peut-être eu lieu de toute façon, indépendamment de l’IA. Cela dit, cette communication alimente la peur et renforce la fracture entre le discours sur l’IA et sa réalité sur le terrain.

SNC : Justement, cette fracture entre communication et réalité, vous la constatez au quotidien ?

Q. A. : Oui, clairement. L’IA générative aura un impact sur les métiers, c’est une évidence. Le nier serait absurde. Mais il faut distinguer les métiers menacés à court terme et ceux qui vont profondément se transformer. Ce qu’il manque aujourd’hui, c’est une expertise combinée : pas seulement des experts en IA, mais des professionnels capables d’utiliser l’IA dans leur domaine. C’est là qu’il y a un formidable potentiel d’inclusion et d’évolution.

SNC : Votre étude montre qu’un Français sur deux n’utilise pas d’outil d’IA dans son travail, malgré leur omniprésence médiatique. Comment expliquez-vous cet écart ?

Q. A. : Beaucoup ont testé ChatGPT au début, puis se sont dit : « Ce n’est pas pour moi, ça ne sert pas à mon métier ». Et ils ont laissé tomber. On voit aussi qu’il n’y a qu’environ 10 % de technophiles réellement enthousiastes. Cela révèle un besoin massif de pédagogie et d’accompagnement. L’IA change la manière de travailler, et sans formation, beaucoup décrochent. Même dans les grandes entreprises, l’usage reste souvent basique : la plupart s’en servent pour améliorer des e-mails, pas pour transformer leurs process.

SNC : L’étude révèle aussi que 47 % des Français pensent que l’IA pourrait réduire leur charge mentale, mais 18 % la perçoivent encore comme une menace. Comment concilier ces visions ?

Q. A. : C’est un signe encourageant : il y a eu une vraie dédramatisation depuis un an. Les gens voient désormais des usages concrets, surtout dans les tâches administratives. L’IA aide à automatiser, à organiser, à planifier, et c’est là qu’on ressent une baisse de charge mentale. Mais la peur reste naturelle : même ceux qui travaillent dans le domaine peuvent s’inquiéter de la perte du lien humain ou du sens. C’est pourquoi il faut accompagner, pas simplement rassurer.

SNC : Vous dites que l’IA peut aussi déplacer la charge mentale sur les employés, notamment si elle est mal déployée. Pouvez-vous préciser ?

Q. A. : Oui, c’est un point essentiel. Quand on dit aux salariés : « Va tester l’IA, adapte-toi », on transfère toute la charge d’apprentissage sur eux. C’est ce qu’on a déjà vu avec des outils comme Excel : les formations sont ponctuelles, puis chacun se débrouille seul. Or, le cerveau humain n’est pas fait pour apprendre de cette manière. Si l’entreprise ne crée pas d’espace dédié pour expérimenter, tester, échouer et progresser, l’adoption reste superficielle.

Un bon exemple, c’est Alan : ils ont sanctuarisé deux heures par semaine dans les agendas pour tester l’IA, accompagné chaque collaborateur et réussi leur transformation. Très peu d’entreprises font cet effort aujourd’hui.

SNC : Comment Mendo aide-t-il concrètement les entreprises à franchir ce cap ?

Q. A. : Notre approche est très pragmatique : on prend chaque personne par la main. On bloque du temps dans les agendas, on propose deux ou trois actions concrètes par semaine liées à leur métier, et on les guide pas à pas. Petit à petit, ces usages deviennent des leviers d’innovation : les collaborateurs proposent eux-mêmes des idées d’agents IA, d’automatisations, ou de nouvelles méthodes. C’est une transformation qui part du terrain, pas du sommet.

SNC : Vous travaillez avec des outils comme ChatGPT ou Copilot. Comment gérez-vous les enjeux de confiance et de souveraineté ?

Q. A. : Les entreprises choisissent leur plateforme : Microsoft, OpenAI, ou d’autres. En Europe, elles sont très prudentes sur ces sujets et les grands fournisseurs ont beaucoup investi pour renforcer la confidentialité des données. Nous, on travaille surtout avec des grands comptes qui ont déjà mis en place leurs garde-fous, mais c’est un sujet que toutes les entreprises doivent continuer à surveiller de près.

SNC : Constatez-vous des différences de maturité selon les secteurs ?

Q. A. : Oui, sans surprise : les secteurs les plus matures sont ceux qui ont les moyens d’investir — comme la banque, l’assurance ou la tech. Ces acteurs ont dépensé plusieurs millions dès le départ pour expérimenter et apprendre plus vite. D’autres secteurs avancent plus prudemment, et ce n’est pas forcément un mal : cela les pousse à se concentrer sur les projets à impact réel.

SNC : D’ici deux ou trois ans, comment imaginez-vous la collaboration entre IA et salariés ?

Q. A. : On va voir émerger des agents spécialisés intégrés dans les outils métiers, capables d’automatiser certaines validations, d’accélérer les process ou de proposer des synthèses. L’humain restera au centre, mais il devra orchestrer ces agents, comprendre leur logique, et savoir quand reprendre la main. Ce sera une nouvelle forme de collaboration : l’humain comme chef d’orchestre de ses IA.

SNC : Est-ce que la maîtrise de l’IA générative deviendra, selon vous, un prérequis professionnel ?

Q. A. : Oui, encore plus que la bureautique à son époque. Parce qu’au-delà des outils, c’est une nouvelle manière de penser son travail. Ce n’est pas juste “apprendre à utiliser ChatGPT”, c’est apprendre à raisonner avec l’IA. Cela change profondément la logique professionnelle : créativité, curiosité et esprit critique deviennent essentiels.

SNC : Un dernier mot pour les dirigeants qui hésitent encore à investir dans la formation à l’IA ?

Q. A. : La formation, c’est la première pierre de toute transformation réussie. C’est elle qui facilite tout le reste : la révision des process, le déploiement d’agents, la communication interne. Il n’est jamais trop tôt pour former. Sans formation, l’IA devient une menace ; avec un accompagnement adapté, elle devient une alliée.

Camille Suard