Accueil Emploi L’Outre-Mer manque de compétences numériques pour répondre aux besoins croissants

L’Outre-Mer manque de compétences numériques pour répondre aux besoins croissants

Les régions et départements d’Outre-Mer connaissent une forte croissance des besoins en infrastructures et en services numériques des secteurs public et privé liée à la transformation digitale. Mais ils font face à un nombre limité d’entreprises, de compétences et d’offres de formation.

En 2023, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Réunion comptent 580 établissements employeurs dans la filière numérique, dont 41 % ont été créés depuis 2020. Ils emploient 2 610 salariés, soit 27 % des emplois de la branche, contre 52 % pour l’ensemble de la France. La filière, qui réunit éditeurs de logiciels, entreprises de services numériques (ESN) et conseil en technologies, compte également 3 010 travailleurs indépendants (22 %), contre 33 % dans la France entière. C’est ce que montre l’étude, publiée en décembre 2023, de l’Observatoire Paritaire des Métiers du Numérique, de l’Ingénierie, des Études et du Conseil, et des Métiers de l’Evènement (OPIIEC) sur la branche du numérique, de l’ingénierie, du conseil, des études et de l’événement (branche dite BETIC) dans ces 4 départements et régions d’Outre-Mer (DROM). Seul Mayotte parmi les DROM n’a pas fait partie du périmètre de l’étude. Ainsi, le secteur du numérique est proportionnellement moins employeur dans les DROM qu’à l’échelle nationale.

Enjeux cyber, data et de souveraineté

Or, ces territoires sont en pleine transition numérique avec une digitalisation des entreprises et des activités qui génère de nouveaux besoins, notamment sur la cybersécurité, la souveraineté numérique et l’analyse de données. Le renforcement de la sécurité numérique et de la protection des données personnelles face aux risques cyber devient un enjeu majeur. Les acteurs privés autant que les acteurs publics nécessitent un accompagnement. De façon globale, le développement des infrastructures et services numériques pour tous les secteurs d’activité est une tendance des années à venir favorable à l’activité des entreprises de la filière.

Certes, des stratégies des territoires pour le développement et le soutien à la filière numérique ont été mises en place, que ce soit dans le déploiement des infrastructures, la mise en œuvre de nouveaux services, ou la structuration de la filière, qui fait l’objet d’un engagement de développement de l’emploi et des compétences (EDEC) sur plusieurs territoires.

Des compétences difficiles à trouver

Quelques entreprises innovantes du secteur émergent. Elles rencontrent toutefois quelques difficultés à se développer, mais l’accès au financement est complexe, et les compétences difficiles à trouver. « On cherche des experts avec du savoir-être pour mener des échanges avec les décideurs, et proches du terrain pour réaliser des accompagnements opérationnels, » explique un employeur du numérique basé à La Réunion.

Les perspectives d’emploi sont particulièrement positives pour le numérique du fait de la croissance attendue du marché. Celle-ci dépendra néanmoins de la capacité des à recruter les compétences recherchées. L’étude fait remarquer que l’étroitesse du marché local génère une polyvalence des professionnels du numérique pour répondre à des besoins divers.

La plupart des principaux métiers du numérique sont en tension. En termes de métiers, ceux d’architecte sécurité et consultant cybersécurité connaissent une forte demande, face à la vulnérabilité croissante aux cyberattaques, notamment par manque de formation des collaborateurs des secteurs publics et privés. Ce qui renforce le besoin de compétences en cybersécurité pour « former et adopter les bons gestes ». Les projets cyber, mais également les autres, nécessitent en outre des juristes spécialisés. Il existe une volonté d’internaliser les compétences juridiques pour être plus agile dans la réalisation des projets.

La transformation digitale génère l’émergence de quelques métiers encore peu présents dans les DROM, notamment autour des métiers du BIM (modélisation des données du bâtiment) dans le secteur de l’ingénierie, et du big data (data analyste, data scientist).

De fait, de nombreux métiers sont en tension et font face à une nécessaire évolution des compétences. Celui de chef de projet nécessite d’acquérir des compétences en intelligence artificielle (IA), big data et green IT, et de renforcer les soft skills. Celui de développeur demande désormais de maîtriser les principes de développement responsable en termes d’impacts environnementaux. Le consultant architecte technique doit réaliser une veille active sur les innovations, par exemple dans les solutions cloud.

Offre de formation limitée

De façon générale, l’évolution nécessaire des compétences des professionnels des BETIC fait face à une offre de formation locale limitée, qui ne répond que partiellement aux besoins sur des thématiques émergentes.

thématiques de formation prioritaires pour les entreprises des BETIC dans les DROM. Source: OPIIEC
thématiques de formation prioritaires pour les entreprises des BETIC dans les DROM. Source: OPIIEC, 2023

Les thématiques de formation identifiées comme  prioritaires concernent pour une part des compétences les outils  du quotidien (logiciels métiers, outils bureautiques et numériques). Les formations disponibles localement sont souvent axées sur ces  compétences informatiques de base. Mais elles ne sont pas adaptées aux besoins techniques du secteur. Celui-ci nécessite des compétences sur des expertises  numériques (IoT, conception et exploitation du BIM, infrastructures numériques :  architecture, installation, maintenance réseau) et dans des domaines émergents : avant tout la cybersécurité, mais aussi l’IA, le green IT, l’analyse de données massives, et les nouveaux outils de marketing et de communication digitale. Or, il manque également des compétences au niveau des formateurs.

Côté formation initiale, la croissance des activités des BETIC aboutit à des besoins grandissants en main d’œuvre et notamment des profils diplômés bac +5 idéalement. Or, les formations ne sont pas disponibles sur le territoire ou alors limitées et très généralistes. Certes, l’offre de formation initiale supérieure s’étoffe, mais reste insuffisante. L’étude cite en Guyane le BUT réseaux et télécommunications parcours cybersécurité à l’IUT de Kourou ou le TP BIM modeleur, à la Réunion le diplôme d’ingénieur de l’ESIROI, spécialité informatique et télécommunication, en Guadeloupe le bac+4 concepteur développeur d’applications en partenariat avec l’ENI de Nantes.

Source: OPIIEC, 2023.
Source: OPIIEC, 2023.

Le recours à l’alternance est particulièrement important dans la filière du numérique qui compte 45 % des 409 alternants de la branche BETIC en 2022, pour 27 % des effectifs salariés. Ce poids est particulièrement marqué à La Réunion (territoire qui compte 59 % des alternants des BETIC dans les DROM), car seul ce territoire offre une formation de niveau bac+5 en informatique.

La formation continue doit s’adapter aux nouveaux besoins

Du côté de la formation continue des salariés, 713 stagiaires salariés des BETIC ont bénéficié d’une formation financée par l’opérateur de compétences Atlas dans les DROM en 2022, dont 179 salariés d’une entreprise du numérique. 47% des salariés du numérique ont effectué leur formation en métropole.

Les formations de la thématique SI-informatique sont les plus mobilisées par les entreprises du secteur numérique dans les DROM avec notamment des formations longues « cœur de métier » autour de la maitrise des logiciels métiers (systèmes Microsoft, logiciels Veeam…) et de la conception-développement d’applications, en adéquation avec le besoin de monter en compétence sur des expertises pointues. Les formations courtes obligatoires de renouvellement d’habilitation ont également mobilisé une part importante des bénéficiaires. L’étude remarque une absence de formations dispensées autour de la cybersécurité, besoin émergent identifié par les entreprises interrogées.

Ainsi, la filière du numérique dans les DROM a de belles perspectives de croissance, mais exige que des actions soient menées pour développer les compétences pointues nécessaires, et donc pour renforcer l’offre de formation initiale et continue.