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La révolution numérique est en train de mondialiser le droit

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Simon de Charentenay
Simon de Charentenay, cofondateur et CEO de MonJuridique.Infogreffe

Cette tribune permet de réfléchir à la révolution numérique de notre époque et plus précisément comment cette dernière a su bousculer le monde
du droit. L’élargissement de ce marché a entraîné
la compétition des acteurs et a stimulé l’innovation. Voici venue l’ère des géants internationaux de la legaltech. Par Simon de Charentenay, cofondateur et CEO de la plateforme Monjuridique.Infogreffe.fr, maître de conférences, directeur du diplôme
« legaltech » de l’Université de Montpellier cocertifié avec le CODEX de Stanford. 

La révolution numérique est en train de mondialiser le droit. Une formidable perspective d’innovations se dessine, tels que l’humain schumpetérien sait les orchestrer, mais aussi un plongeon pour les juristes dans le monde nettement moins feutré du capitalisme mondialisé. Boosté par une hypercroissance, la legaltech attire les fonds d’investissement spéculatifs. 

La fin d’un monde juridique « clos »

Du XVème siècle jusqu’au XXème, le juriste était le « sachant » de l’instrument du pouvoir qu’est le langage normatif.

Internet a ouvert l’accès à l’information de telle sorte que le savoir juridique n’est désormais plus secret ni élitiste. L’information est authentique (Legifrance et tous les sites d’Etat font de la pédagogie juridique en ligne) et à portée de clics.

Internet a ouvert l’accès à l’information de telle sorte que le savoir juridique n’est désormais plus secret ni élitiste.

Les professionnels du droit ont été pendant des siècles ceux qui détenaient le monopole de l’action en justice. Mais les réformes récentes ont multiplié les possibilités d’agir sans recourir à une assistance d’un professionnel du droit.

Les legaltechs ont par ailleurs compris que les TPE n’ont pas besoin d’orfèvrerie juridique, trop chère et inappropriée, mais d’un premier niveau de sécurité basique, tout terrain. Ce qui change en profondeur avec ces plateformes est aussi que le premier contact du justiciable est établi avec des commerciaux du droit et non plus des juristes.

La mutation du génome juridique

Le droit des données est significatif de l’évolution génétique du droit : il appelle à concevoir les données individuelles comme une excroissance virtuelle de l’humain, qui attise la convoitise commerciale des opérateurs numériques.

Les deux autres secteurs particulièrement créatifs en matière juridique sont la blockchain et l’intelligence artificielle. Les formes nouvelles de normativité sans Etat qu’expérimente la blockchain sont remarquables. La blockchain permet de faire jaillir des normes autonomes, sous forme de smart-contracts, propres à des communautés virtuelles qui se revendiquent alternatives aux sociétés étatisées. Encore embryonnaire, le droit primitif sur la blockchain est en train de faire son apparition et constitue un défi politique pour les séculaires Etats nations. Ses perspectives sont saisissantes.

Le droit primitif sur la blockchain est en train de faire son apparition et constitue un défi politique.

L’intelligence artificielle quant à elle ouvre le champ inédit de la justice prédictive. Elle met à nu les rouages humains de la pratique juridictionnelle et offre une vision de notre mode de régulation des conflits comme découlant directement des rapports de forces entre les acteurs de la justice.

Le scale-up du « produit » juridique 

Le droit était la matière précieuse du monde juridique clos. Il se transforme en une substance liquide, immergée dans l’économie capitaliste.

L’élargissement du marché du droit a entraîné la compétition des acteurs et stimulé l’innovation. Le marché juridique français avoisine les 50 milliards d’euros en 2022 et affiche une hypercroissance exceptionnelle.

Le nombre de création d’entreprises (presque 1 million en 2021) génère logiquement une demande de sécurité juridique. Les startups de la legaltech qui proposent des services en plateformes se sont très tôt positionnées sur cette économie pour répondre aux besoins de sécurité primaire des entrepreneurs. Les plateformes structurées pour répondre à un besoin de masse visent la captation du client dès l’origine pour lui vendre d’autres services ensuite. Suivant ce nouveau schéma, les professionnels du droit arrivent après dans la chaîne de valeur.

Les acteurs plus institutionnels du droit (juristes d’entreprise, experts-comptables, avocats, notaires, assurances, banques, etc.) ont eux aussi de nouveaux besoins juridiques. Les legaltechs leur fabriquent des outils innovants qui promettent plus de sécurité et de productivité.

L’arrivée du marketing digital appliqué au droit est une autre petite révolution dans la révolution. Sous son impulsion, le service juridique rendu est conçu et packagé, pour mieux pénétrer le marché économique. Le nouveau produit juridique est ainsi modelé dans sa présentation (LegalDesign), positionné suivant son « market fit » (ajustement au marché) et orienté vers sa « scalabilité ». La transformation du produit juridique dans l’économie concurrentielle a ainsi modifié le rôle du droit au sein des entreprises.

L’arrivée du marketing digital appliqué au droit est une autre petite révolution dans la révolution.

Les startups du droit américaines nées dans les années 2000 valent pour certaines déjà plusieurs milliards de dollars (Legal Zoom, Rocket Lawyer, Clio, etc.) Elles ont modifié le paysage juridique outre atlantique en implantant le droit comme un bien de consommation régulier et standardisé. L’Europe et l’Asie voient aussi arriver leurs « licornes » de la legaltech. Les opérations de M&A entre les futurs leaders du droit bouleverseront le paisible monde juridique jusqu’ici protégé.

L’avènement du produit juridique liquide, soluble dans le capitalisme, signe la fin des petits marchés juridiques nationaux et laisse deviner l’avènement de géants de la legaltech, opérant sur des zones d’influence transcontinentales.