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Licences – Des tarifications toujours inadaptées ?

Si SAP se veut constructif et rassurant sur le nouveau modèle de tarification des licences, les organisations utilisatrices s’interrogent. Les inquiétudes concernent aussi d’autres grands éditeurs comme Oracle, ainsi que le montrent les travaux du Cigref.

 

Le 10 avril 2018, l’éditeur européen SAP a annoncé un nouveau modèle de tarification des licences et une séparation nette des ventes et de l’audit, demandée “haut et fort” depuis novembre 2016 par le SUGEN, le réseau mondial des clubs utilisateurs SAP. Arnaud Merlet, directeur des Opérations chez SAP France, explique la position du groupe SAP, qui compte 325 000 clients tous logiciels confondus dans le monde, et 5 000 en France. : « Nous avons souhaité être constructifs, adapter la tarification afin qu’elle soit alignée avec l’utilisation et la valeur retirée de l’ERP. Nous voulons une discussion apaisée et sortir par le haut avec de nombreux clients, pas les prendre par défaut. Il faut aller au bout de l’initiative. »

« Nous avons souhaité être constructifs. Nous voulons sortir par le haut avec les clients. »

Arnaud Merlet

 

Les accès indirects, épée de Damoclès

Le nouveau modèle repose sur la distinction entre accès directs à l’ERP, reposant sur le nombre d’utilisateurs nommés, donc les licences utilisateurs, et de nouvelles métriques métiers pour les accès indirects via une interface digitale, qui comptabilise le nombre de documents créés sur un an, les systèmes externes étant listés. L’utilisation de l’ERP depuis des systèmes appartenant au groupe SAP, comme Ariba et Concur, est comprise dans la licence de ces derniers. L’USF, l’association des utilisateurs francophones SAP, regrette que le nouveau modèle n’ait pas été dessiné de concert avec les entreprises utilisatrices. SAP leur a soumis le modèle lors d’ateliers. Depuis lors, les clubs utilisateurs tentent de l’infléchir. Autour de Patrick Geai, ancien président de l’USF, une mission d’analyse et de décryptage, juristes à l’appui, est en cours. « L’avantage est d’être au clair sur la définition des usages indirects, souligne Gianmaria Perancin, président de l’USF et du SUGEN. Avant, chacun avait la sienne. »

Les 72 entreprises et administrations du groupe de travail “relations avec SAP” du Cigref (association regroupant 150 organisations publiques ou privées) dénoncent quant à elles l’introduction de la nouvelle métrique “non humaine” (accès indirect/digital) de SAP et ses effets : l’augmentation significative des coûts liée à des règles de conversion déséquilibrées et l’absence de définition claire des nouvelles métriques. Elles déclarent : « Nos discussions restent focalisées sur la sécurisation du cadre contractuel et la clarification des usages indirects, vécus comme une véritable épée de Damoclès par les entreprises. De plus en plus d’entreprises se déclarent prêtes à se désengager, bien qu’elles se sentent captives au regard des produits concernés (cœur de métier). »

De réels progrès du côté des audits SAP

Concernant les audits, les utilisateurs pouvaient avoir jusqu’ici l’impression qu’objectifs commerciaux et audits étaient liés. La nouvelle organisation a été préparée en amont de l’annonce : elle a effectivement séparé ventes et audit, et le chiffre d’affaires des audits est comptabilisé en dehors du chiffre d’affaires commercial. M. Merlet confirme la claire séparation des auditeurs et des commerciaux, ôtant toute pression commerciale : « Les auditeurs vérifient chaque année l’adéquation des contrats avec l’utilisation réelle des logiciels, sans avoir de part variable liée aux revenus potentiellement induits par l’audit. Seule souplesse possible, un client en discussion commerciale avec SAP peut demander à déplacer un audit. » Toutefois Gianmaria Perancin remarque : « L’organisation a changé, mais pas forcément les comportements. Des incidents ont été remontés. SAP France et SAP SE sont encore en train de former leurs commerciaux et d’appliquer des mesures correctives. Je suis optimiste quant à l’amélioration de cette nouvelle organisation car la volonté de SAP est réelle en la matière. »

Subsistent d’autres problèmes, selon le président de l’USF : le nouveau modèle s’applique aux nouveaux clients ERP, mais reste au choix des anciens clients. La question de migrer vers le nouveau modèle n’est pas évidente, avec la problématique des accès indirects pour les anciens clients. « Les contrats ne sont pas clairs, ce qui rend le relationnel tendu. Nous aurions souhaité une sanctuarisation des interfaces déjà existantes et une tarification pour les nouvelles, ça aurait été un bon message envoyé par SAP, mais l’éditeur n’est pas prêt à ce compromis. »

Vers des outils de mesure efficaces ?

Pour M. Perancin, les utilisateurs sont confrontés à trois grandes questions : comment être sûr d’être dûment licencié ? Comment faire avec les outils de mesure ? Quels efforts fait SAP pour que les clients adoptent le nouveau modèle ? Arnaud Merlet répond : « Nous allons proposer le nouveau modèle à nos clients car il fait sens, une fois que tout sera finalisé, y compris les outils mesurant le nombre de documents créés. L’outil de mesure auquel nous travaillons est robuste ; il est capable de savoir si un objet métier a été créé par un des systèmes du groupe SAP comme Concur ou un système tiers. » Gianmaria Perancin réplique sur ces outils que SAP doit proposer d’ici le printemps 2019. « Ils doivent être efficaces et sûrs : nous devons nous assurer de leur qualité, car l’impact financier est important et se faire au détriment d’autres projets de transformation ou d’innovation. Selon le club allemand, il faut faire des montées de version pour utiliser les outils de mesure, ce qui retarderait le déploiement à 2022. Il faudrait que l’outil de mesure soit le moins impactant possible sur les systèmes existants. » Et de conclure : « la démarche de SAP part d’une bonne intention pour restaurer la confiance mais la réponse est partielle. Nous avons déjà fait de grands pas et je ne désespère pas d’un compromis substantiel. En tant que représentant des clients, je dois pousser SAP au-delà de ce qu’il peut m’offrir. »

Oracle également sur la sellette

Malgré les efforts d’Oracle France ces derniers mois, les membres du Cigref dénoncent deux points de blocage. D’une part, la complexité de la gestion des actifs logiciels du fait de l’environnement virtualisé (notamment avec la non-reconnaissance de solutions de soft partioning comme VMware), du déclenchement de souscription d’options payantes non verrouillables par les entreprises, et de la transformation des modèles de commercialisation et de licences (Java). D’autre part, les incitations à souscrire aux contrats ULA (Unlimited Licence Agreement) et depuis peu, aux offres Cloud. En outre, les audits restent peu clairs pour les entreprises (modalités de comptage, périmètre, fin d’audit, …) et sont perçus comme un moyen de gonfler le chiffre d’affaires de l’éditeur. Aussi, les membres du Cigref expriment encore une défiance et étudient des stratégies de sortie à travers des offres propriétaires alternatives ou libres.

Philippe Rouaud

Plus largement, Philippe Rouaud, président du club relations fournisseurs du Cigref, qui regroupe depuis 2017 les groupes de travail (un par fournisseur) appelle « à un comportement commercial plus mesuré des grands éditeurs et à une relation équilibrée et transparente (gagnant-gagnant). Avec l’irruption des technologies, dont le Cloud, qui bousculent les modèles de rémunération des grands fournisseurs et éditeurs de logiciels, la relation fournisseurs s’est considérablement détériorée depuis quelques années. »

Les membres du Cigref se sentent enfermés dans des modèles de contrat et de tarification archaïques, inadaptés aux besoins de flexibilité du marché et aux nouveaux usages.

Pour une relation plus équilibrée

Beaucoup d’éditeurs visent souvent à accroître artificiellement leur chiffre d’affaires dans un marché atone. Les entreprises font face aux promesses non tenues du Cloud, à des modèles de licences à bout de souffle adossés à des tarifications complexes, à des audits longs et hostiles et à des contrats générant des dépendances. Le Cigref relève en particulier l’effet “cliquet”.

Les éditeurs – Microsoft, Oracle, Salesforce et SAP en tête – s’assurent que les dépenses des clients restent sur une courbe ascendante, à travers divers mécanismes comme l’adaptation continue des métriques, l’obsolescence programmée des logiciels par l’arrêt du support ou de la compatibilité avec les versions plus récentes pour forcer la montée de version, l’entrée de nouvelles technologies, ou des pratiques commerciales pouvant s’assimiler à de la vente liée.

Le Cigref souhaite rétablir des relations commerciales apaisées, s’appuyant sur une transparence et une prévisibilité des coûts, et sur une offre garantissant un minimum d’indépendance pour ses membres dans le choix et l’évolutivité de leurs solutions.

 

 


L’USF donne rendez-vous les 10 et 11 octobre à Lyon

L’USF, l’association des utilisateurs francophones de SAP, tient sa convention annuelle à Lyon les 10 et 11 octobre 2018. 1 500 personnes sont attendues. La convention comptera 86 exposants et 70 ateliers sur des retours d’expérience. L’enquête biennale auprès des adhérents y sera dévoilée. L’enquête 2018, qui compte 220 répondants, devrait notamment faire remarquer qu’il reste des efforts à faire au niveau des commerciaux de SAP.