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Le secteur prêt à rebondir

ESN, éditeurs et entreprises du numérique ont souffert de la crise sanitaire, comme leurs clients. Quel avenir entre eux ?

 

Au-delà du digital qui a permis de garantir la survie des entreprises, les questions autour du numérique sont finalement assez simples pour elles : comment s’assurer, face aux risques sanitaires ou autres qu’elles connaissent maintenant, d’une résilience opérationnelle et des systèmes, et comment prospérer. Des choix et des moyens des entreprises dépendra la reprise des activités des entreprises du numérique.

Godefroy de Bentzmann

« Quelle que soit la conjoncture économique – à moins d’une crise mondiale -, la transformation continue », indiquait en tout début d’année, comme une prémonition, à Solutions Numériques Godefroy de Bentzmann, président de Syntec Numérique, alors que nous l’interrogions sur les ESN et la transformation numérique des entreprises. La transformation digitale des entreprises continue, mais une crise mondiale, sanitaire, a eu lieu, avec ses répercussions économiques. Les entreprises du monde ont été financièrement impactées, et, de fait, par ricochet les ESN, les éditeurs, les cabinets de conseil ainsi que les TPE et PME du numérique.

Les prestations en régie fragilisées

« En début de crise, les TPE et PME du numérique ont eu un surcroit d’activité car elles ont été assez sollicitées pour accompagner des collectivités locales ou des petites entreprises à s’organiser et continuer leurs activités grâce au numérique. Il y a eu un trou d’air ensuite, la crise était là. »

« Les petites entreprises vont être plus résilientes que les grandes ESN. »

Alain Assouline, Cinov Numérique

Alain Assouline

Alain Assouline, président de Cinov Numérique, le syndicat des TPE-PME et indépendants du numérique pense, néanmoins, au regard des retours d’expérience qui lui parviennent, que « les petites entreprises vont être plus résilientes que les grandes ESN qui ont été en difficulté sur un modèle de prestation en régie, ce qui les a beaucoup fragilisées ». Car les petites entreprises travaillent plutôt, elles, sur des missions en mode projet, nous explique-t-il. Un cas emblématique de ces ESN en mode régie est celui d’Akka Technologies, groupe français d’ingénierie et de conseil en technologies, particulièrement présent dans ces secteurs impactés par la crise que sont l’automobile et l’aéronautique. Début mai, elle annonçait s’attendre à un deuxième trimestre « difficile », après un recul de 4,5 % de son chiffre d’affaires au premier trimestre. Le groupe s’attend à une reprise progressive au troisième trimestre et au quatrième trimestre 2020.

Mais pas sûr que le mode régie revienne vite, car on commence à voir la mise en place dans les grandes entreprises clientes de “digital factories” internes, qui recrutent sur des postes de Développeurs, de Devops, de Systèmes & Réseaux, etc., dont le besoin est constant, et il n’est pas certain qu’elles reviennent autant vers les régies dans le futur pour ce type de postes, à l’exception de ceux nécessitant une approche très experte.

La transformation numérique dans les territoires

En ce qui concerne les TPE-PME du numérique, Alain Assouline prône un investissement financier de l’Etat qui comporte « un volet fort dans les prestations intellectuelles » de transformation numérique, qui n’est pas que du numérique mais aussi « du management, du conseil RH, de l’ingénierie, de la réflexion sur la manière dont on va repartir, repenser sa stratégie d’entreprise, son modèle de création de valeur ». Dans cette approche, « le numérique va jouer un rôle fondamental », et cela dans tous les domaines, selon le responsable citant notamment le bâtiment, l’agriculture… « On va avoir tendance à repenser les circuits courts, à reterritorialiser, à relocaliser les emplois, et de fait, la question de la transformation numérique des territoires va être forte, prévoit-il. Et c’est là que nos entreprises sont présentes. »


> Etude mariaDB : 40 % des répondants dans le monde vont accélérer leur migration vers le Cloud

« Accompagner très simplement et très concrètement les PME et ETI à partir des forces et faiblesses observées lors du confinement »

Eric Pradier Digispin

Repenser son mode de fonctionnement

Eric Pradier, président et co-fondateur de Digispin, partage cette vision et insiste sur le fait que « le digital va être majeur pour cela mais doit être un moyen maîtrisé d’inventer un nouveau mode de fonctionnement solidaire et créateur de valeur durable au sein des écosystèmes territoriaux. »

Eric Pradier

Selon lui, les “prestations intellectuelles” doivent être des « prestations d’accompagnement permettant une redéfinition puis une mise en place progressive – si on va trop vite, on ne changera rien, si ce n’est réduire les emplois et les coûts avec le numérique – des processus impliquant les employés, les clients et les fournisseurs d’une entreprise. »

Son entreprise, créée en 2018, a constitué une équipe de 80 consultants indépendants spécialisés, capables d’accompagner concrètement les PME et ETI à accélérer dans le digital « mais de la façon la plus adaptée à leur situation », en partant « des forces et faiblesses observées pendant le confinement », en axant tout sur « l’intelligence collective, chaque employé ayant son idée et ses suggestions » et en adressant en même temps « l’opportunité du digital » et « les craintes qu’il suscite ». « Je pense en particulier que la revendication des employés à définir le futur (en particulier un futur durable pour eux dans les territoires) va être très forte. On a été très centrés clients pendant des années mais cela a généré aussi beaucoup de délocalisations et de désertifications de nos territoires (le centrage client étant d’abord un centrage “prix”). Il faut rééquilibrer avec l’intérêt long terme de l’employé dans son territoire. »

A la clef de cette approche et de ce credo, la société propose un certain nombre d’offres “packagées” adaptées à cette nouvelle donne. Digispin est un bon exemple d’une entreprise du numérique qui fonctionne en mode projet, s’adaptant elle-même aux nouveaux besoins des PME : voir vite des résultats concrets.

Pour être convaincu, de ces demandes de transition numérique en provenance des TPE, PME et PMI, il suffit de prendre les chiffres communiqués début juin par l’Afnic, l’association en charge des noms de domaine en .fr, sur le nombre de participants à ses rendez-vous en ligne, les “foliweb”, pendant le confinement. En 50 webinars, organisés pour soutenir et accompagner les TPE et PME dans leur quotidien avec les outils numériques et les former aux bonnes pratiques, elle a rassemblé près de 16 000 personnes en seulement deux mois et demi !

> Suite à la crise, 14% seulement des répondants à une étude de Capterra ont retardé leur acquisition de logiciel de plus d’un an.

Des logiciels indispensables…

Les PME ont et auront des besoins, mais auront-elles les moyens ? Selon une étude de Capterra, 85 % de PME estiment essentiels à leur survie les logiciels acquis en raison de la crise. Mais de nombreuses intentions d’achat ou d’implémentation de logiciels ont été repoussées à moyen terme, sans nul doute pour des restrictions de budget provoquées par la crise (21 % retardé de 1 à 6 mois, 33 % de 6 à 12 mois), cependant seule une minorité se voit repoussée à plus d’un an (14 %). Donnée intéressante, 24 % affirment avoir avancé leur acquisition de logiciels : preuve s’il en est que ces derniers peuvent s’avérer indispensables au fonctionnement de certaines PME.

Passée l’urgence du confinement total, vient l’heure du déconfinement et l’incertitude, voire l’improbabilité d’un retour à la vie de bureau comme avant, met les PME au pied du mur : après avoir compensé les premiers obstacles d’un télétravail improvisé, avec des outils de collaboration, de visioconférence, de messageries instantanées pour maintenir le contact avec la clientèle, voire des outils de gestion du temps, l’heure est à la collaboration à distance sur le long terme. C’est là que s’ajoutent les problématiques de planning du personnel, de gestion de projets ou encore de formation. 30 % des décisionnaires estiment savoir « de quel type de logiciel ils ont besoin et souhaitent connaître les produits du marché », tandis que 21 % savent « avoir besoin d’un logiciel pour répondre à un besoin connu et souhaitent en savoir plus ». La porte est ouverte aux éditeurs…

ESN : le conseil métier à l’arrêt

Après s’être mis en état de veille, avoir instauré le télétravail, essayé de régler les relations avec les clients, mis en place le chômage partiel ou encore avoir géré les RTT et les congés, les ESN ont commencé à s’occuper de la reprise en avril, à s’inquiéter de l’état du marché et à s’interroger sur le rebond, chaque semaine passant ayant un impact supplémentaire grave sur elles. « Non, la crise n’est pas un boosteur pour le numérique », nous indique Godefroy de Bentzmann. En avril, les activités du numérique étaient à – 23 % et continuaient de se dégrader. Bien entendu, des différences d’impact existent entre les différentes entreprises adhérentes du Syntec Numérique. Les éditeurs sont moins touchés avec une bonne partie de leur activité en SaaS, mais néanmoins, ils survivent avec ce qu’ils ont, l’avenir de leur business est incertain. Les ESN, le service et le conseil en technologies sont plus impactés. Ainsi, l’activité de conseil dans les ESN était en chute de 50-60 % en avril. Tout ce qui concerne l’activité de conseil métier, comme repenser une chaîne de logistique ou un processus RH est à l’arrêt. Il faut chercher du côté des projets qui renforcent la performance des réseaux ou encore la manière d’utiliser les données pour en voir qui perdurent même s’ils sont ralentis. Les activités du run, du SI (essentiellement dans les grandes entreprises), elles, ne sont quasiment pas impactées. Des activités que l’on trouve chez les grandes ESN comme Atos, Sopra Steria ou Cap Gemini par exemple. Ce n’est pas le cas des activités d’expertise, de projet. A l’intérieur de ces activités de projets, celles qui sont très métiers, ou qui portent sur une réorganisation sont arrêtées ou repoussées. Seuls les projets qui peuvent avoir une influence sur le fonctionnement des entreprises d’aujourd’hui, dont la performance de leur Cloud, et les projets de cyber, continuent.

Ainsi chez l’ETI Devoteam, qui n’a quasiment pas de run, et une activité orientée projet, l’impact se fait sentir mais de façon atténuée, car elle est particulièrement positionnée sur les sujets infrastructures : migration vers le Cloud, travail sur les infrastructures pour les données, performance des réseaux et cyber.

« La crise va accélérer dans les 18 mois qui viennent les projets de migration vers le Cloud , car c’est comme cela que l’on est plus agile »

Godefroy de Bentzmann

Une migration vers le Cloud, massive et accélérée

« La crise va accélérer dans les 18 mois qui viennent les projets de migration vers le Cloud, car c’est comme cela que l’on est plus agile, plus sécurisé et que l’on peut répondre à ce genre de situation, estime le président de Syntec Numérique Godefroy de Bentzmann. Le mouvement vers le Cloud, la cyber et les datalakes sont des projets d’infrastructure qui vont prendre le pas sur des projets plus “digitaux” qui passeront en second plan. » Avoir une infra robuste, c’est pouvoir ensuite accélérer la transformation “cœur”. Elie Girard, le directeur général d’Atos, fait une analyse proche, indiquant : « Cette nouvelle ère verra une accélération de besoins spécifiques des clients, à savoir les plateformes de données, la cybersécurité, la migration vers le Cloud, le Digital Workplace et la décarbonation ».
Une étude de mariaDB publiée début juin montre bien que 40 % des répondants dans le monde vont accélérer leur migration vers le Cloud, 51 % envisageant d’y porter un plus grand nombre d’applications pour être mieux armés et 39 % se préparant à une migration totale.
« L’infrastructure Cloud étant par défaut conçue et sécurisée pour fournir un accès depuis n’importe où, il est inutile de faciliter ou de configurer le travail à distance car il s’agit du mode de vie natif. Les entreprises ont conscience que de nombreux changements structurels vont perdurer et que les futurs coups de freins brutaux de l’activité (suite à une nouvelle pandémie ou à une catastrophe de toute autre nature) doivent être anticipés et planifiés. D’où la migration accélérée vers le Cloud des applications métiers critiques ainsi que des bases de données et ressources analytiques dans le Cloud dont elles dépendent. » indique Franz Aman, directeur marketing de mariaDB Corporation.

 


La priorité des DSI est d’optimiser les importants surcoûts IT

Le cabinet d’études Gartner estime que les dépenses IT mondiales devraient chuter en 2020 d’environ 8 % à 3 460 milliards de dollars tous secteurs confondus.

La priorité actuelle des DSI est d’optimiser les importants surcoûts IT générés par la situation d’urgence sanitaire. Leurs nouveaux investissements seront donc réduits au minimum en 2020. Certaines sociétés continueront d’investir dans des outils facilitant davantage la rationalisation et la sécurisation des infrastructures IT existantes, afin de les rendre plus réactives en cas de nouvelle crise majeure. « La priorité sera donnée aux opérations qui permettent de maintenir l’activité, ce qui sera la première priorité pour la plupart des organisations jusqu’en 2020 », a déclaré John-David Lovelock, VP Gartner.

« La reprise des dépenses informatiques sera lente en 2020, les secteurs les plus touchés, tels que le divertissement, le transport aérien et l’industrie lourde, mettront plus de trois ans pour revenir aux niveaux de dépenses informatiques de 2019 », estime John-David Lovelock.