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La lettre recommandée électronique, un pilier des échanges dématérialisés

En dépit du retard pris par son adoption en France, la lettre recommandée électronique est un pilier des échanges dématérialisés. Sa mise en œuvre rencontre peu d’écueils si son prestataire présente les garanties légales qui accompagnent les services de confiance.

Adossée à la GED, la gestion électronique du courrier impose son canal numérique à toutes les organisations. Workflows de validation associés à la distribution du courrier dans les services, notifications d’alerte et d’absences, parapheur électronique, modèles de réponse prêts à l’emploi, les solutions sont riches et traitent tout forme de courrier, sauf les recommandés électroniques, qui nécessitent une identification stricte de l’expéditeur et du destinataire. Pour pallier cette absence, des prestataires ont développé des solutions dédiées à la lettre recommandée électronique en se basant sur les services de confiance. Mais l’offre peine encore à décoller alors que le marché s’est ouvert il y a près d’une dizaine d’années.

Roland André

« Sur les 200 millions de lettres recommandées envoyées chaque année en France, environ 4 % sont dématérialisées », indique Roland André, directeur général adjoint de Docaposte. Aussi impressionnant soit-il, le potentiel de développement est bridé par l’absence d’une uniformisation de l’identité numérique pour les entreprises comme pour les particuliers. Et pour ne rien arranger, le gouvernement favorise une numérisation à deux vitesses : les entreprises destinataires de recommandés électroniques ne peuvent refuser ceux-ci dès lors qu’elles disposent d’une adresse email publique, mais les particuliers ne sont pas soumis à une telle obligation. Une approche qui nuit à la compétitivité des entreprises, en les obligeant à maintenir des procédures papier plus coûteuses là où leurs concurrents européens sont déjà passés au tout numérique pour leurs envois. C’est notamment le cas en Italie et en Allemagne. Les citoyens de ces pays possèdent en effet déjà une carte d’identité électronique, et leurs entreprises sont poussées voire contraintes à posséder des certificats numériques. En France, le chantier de l’identité numérique est loin d’être terminé. Depuis 2003, d’Ines à IdéNum, tous les projets ont été enterrés. Le duo FranceConnect et SGIN (système de gestion d’identité sécurisée) reste pour le moment en course. Il pourrait s’adjoindre la brique technologique de l’application mobile de reconnaissance faciale Alicem, dont l’avenir est aujourd’hui incertain.

Les spécialistes de la lettre recommandée électronique n’ont pas attendu que s’estompe le flou créé par les tergiversations régaliennes portant sur la transposition numérique de l’identité nationale. Ils ont développé des solutions qui garantissent l’identité de l’expéditeur et celle du destinataire ainsi que le bon acheminement des contenus en s’appuyant sur des services de signature électronique et d’horodatage validés en amont par l’Anssi pour répondre aux critères du règlement eIDAS. L’organisme national a ainsi qualifié une demi-douzaine de prestataires français. En cas de litiges, envois et réceptions gérés par leurs services bénéficient du même cadre légal que la version papier d’un recommandé. Et les intéressés insistent, la sémantique est importante : le sigle LRE ne peut être retenu que si le service est qualifié. Le choix d’une solution fiable retiendra donc cette qualification reconnue par la loi, autrement dit disposant d’une valeur probante, émise par le PSCQ (prestataire de services de confiance qualifiée). D’autres critères sont à prendre en compte, mais, comme pour beaucoup de projets, une évaluation des besoins en amont fournit des éléments de rationalisation.

Virginie Ponce

« Avant de choisir un prestataire, il est important de déterminer la typologie de recommandés que l’on souhaite dématérialiser, car si la LRE est la réponse qui garantit le niveau juridique le plus élevé, on peut aussi choisir le CSE AR, le courrier simple électronique avec accusé de réception, lorsque le risque juridique ne vaut pas le coup d’aller vers la LRE au sens qualifié eIDAS. On peut également avoir besoin de se conforter à des réglementations sectorielles, par exemple dans l’immobilier où un décret a créé un recommandé simplifié », souligne Virginie Ponce, juriste chez Tessi.

 

2 à 5 fois plus économique que l’envoi recommandé papier

Sandrine-Laure Gysin

Le recommandé électronique a un coût qui peut varier d’un prestataire à l’autre, raison de plus pour comparer les différentes offres. Les tarifs correspondent à des envois unitaires, mais pour de plus importantes volumétries des forfaits se négocient. Ces solutions délivrent un retour sur investissement rapide. Il suffit de comparer les coûts entre l’électronique et le courrier traditionnel, puis soustraire ceux du traitement manuel dans l’entreprise pour établir que la LRE est 2 à 5 fois plus économique que l’envoi recommandé papier.
« Le ROI d’une solution est facilement mesurable et rapidement atteignable, uniquement en prenant le coût de l’affranchissement, et sans compter les coûts cachés de fabrication, le gain en confort d’utilisation ou encore la fluidité du parcours client », confirme Sandrine-Laure Gysin, responsable solutions de dématérialisation et confiance numérique chez Majorel. En outre, les offres sont suffisamment robustes pour gérer des centaines d’envois quotidiens. Du fait de l’automatisation, l’adaptation des solutions à la volumétrie est par ailleurs transparente. « Au-delà de la qualification du prestataire et de ses tarifs, la facilité d’utilisation est un élément à prendre en compte, que ce soit pour l’émetteur du courrier ou le destinataire. À partir du moment où l’envoi ou le relevé d’un courrier recommandé ne dépasse pas 4 ou 5 clics, on peut considérer que l’usage de la solution est simple. Comme le font les sites de e-commerce, nous avons volontairement limité les interactions en décomposant les étapes qui existent dans le traitement traditionnel du recommandé et en les transposant dans un mode numérique », indique Arnaud Trioleyre, directeur commercial et DPO de Clearbus.

Les envois groupés de lettres recommandées, la taille des pièces jointes, l’administration des comptes et la gestion des accès, les outils de suivi avec leurs lots de notifications et d’alertes, les durées de conservation des LRE et de leurs preuves de dépôt, et la possibilité de recourir à un envoi papier lorsque la procédure électronique échoue figurent parmi d’autres critères importants, tout comme la possibilité d’intégration des solutions dans les métiers de l’entreprise. Des envois qui se font de manière unitaire depuis un site web n’impliquent pas en effet la même approche qu’une intégration avec le SI pour orchestrer et automatiser des envois en masse. Et même si les solutions prennent en charge la plupart des besoins, il existe des différences entre celles qui sont destinées aux particuliers et celles qui visent les entreprises.

Un point juridique à éclaircir

Une approche verticale du marché a été choisie par certains acteurs. Elle a permis d’amorcer très tôt l’adoption de la LRE à travers les secteurs de l’assurance, de l’immobilier, des collectivités et des services publics ou encore des notaires, des domaines aujourd’hui précurseurs. « Pour la résiliation de contrats, qui est un processus important dans le monde de l’assurance, la LRE garantit à l’émetteur une forme de tranquillité de gestion dans le respect des formalités, et évite à l’assuré les mauvaises surprises. En termes de volumétrie, les plus gros assureurs ont été les premiers à manifester leur intérêt pour la LRE car l’envoi et la réception de lettres ou format papier sont particulièrement chronophages et ne présentent aucune valeur ajoutée », indique Arnaud Sentenac, responsable produit chez Darva. Les concepteurs l’assurent, leurs offres spécialisées savent s’adapter à n’importe quelle entreprise. La gamme et la qualité des services peuvent être des points différenciants entre prestataires qualifiés, mais, techniquement, les solutions se valent. La validité juridique des projets est en revanche un aspect à ne pas négliger car le recours à la LRE implique une gestion des risques.

Guillaume Loth Demay

« La mise en place de la lettre recommandée électronique dans l’entreprise passe souvent d’abord par une impulsion métier, puis par la levée du verrou de la direction juridique. Si la crédibilité de la solution technique est importante, notre rôle est aussi de créer un climat de confiance et d’être précis sur les forces et les faiblesses de la lettre recommandée, qui n’est autre qu’un transfert de fichiers sécurisé. Malgré les précautions que nous prenons en tant que prestataire pour clarifier les enjeux, il reste un point à éclairer : que faire de la lettre recommandée électronique ignorée ? Alors que la lettre électronique acceptée génère un faisceau d’éléments de preuves, il y a une absence de jurisprudence sur le traitement de la lettre ignorée et qui doit alors endosser la responsabilité dans ce cas précis », indique Guillaume Loth Demay, président d’Equisign.

Gérée par le prestataire, la procédure d’identification de l’expéditeur et du destinataire est elle aussi au cœur des enjeux. L’expéditeur est identifié avec un degré de confiance élevé, le plus souvent à l’aide de certificats électroniques qui valident les signatures ou les cachets. Les prestataires qui ne possèdent pas cette brique technologique se reposent alors sur des tiers de confiance. L’identité du destinataire est quant à elle établie grâce à un procédé dit à niveau substantiel tel que l’authentification par des cartes codes OTP, par clé RGS ou à l’aide d’une webcam et une pièce d’identité. Dans ce dernier cas, un référentiel destiné aux prestataires de vérification d’identité à distance (PVID) a été élaboré par l’Anssi. « La vérification d’identité à distance permet à travers un échange vidéo de vérifier que le titre d’identité présenté par l’utilisateur est authentique et que l’utilisateur en est le détenteur légitime », explique Roland André. Comme pour la LRE, l’Anssi identifie les prestataires fournissant un service de vérification d’identité à distance attestant d’un niveau de garantie substantiel ou élevé. « La principale menace lors d’une vérification d’identité, qu’elle ait lieu en face-à-face ou à distance, est l’usurpation d’identité. Un service de vérification d’identité à distance est ainsi exposé aux mêmes risques qu’une vérification d’identité en présentiel, mais également, de par sa nature, à des risques spécifiques (manipulation numérique des images (deepfakes), injection de données frauduleuses, tentatives répétées et massives d’usurpation, utilisation de masques, etc.) », souligne l’agence nationale qui, pour répondre à ces risques, a élaboré un ensemble de règles et de recommandations rassemblées dans son référentiel PVID.