Dans cette tribune, Matthias Nijs, EMEA VP chez Datadobi, alerte sur la fragilité du contrôle réel des données en Europe et sur les limites des protections actuelles face aux législations extraterritoriales.
En juillet dernier, Microsoft a levé le voile sur une réalité inquiétante : même en Europe, vos données peuvent être accessibles à des autorités étrangères. Lors de son audition devant le Sénat français, l’entreprise a reconnu qu’elle ne pouvait « garantir » que les données de ses clients échappent au CLOUD Act américain. Un électrochoc pour le continent : Paris ou Francfort, peu importe, la souveraineté numérique ne se résume pas à l’emplacement des serveurs, mais se mesure au contrôle réel des données et au pouvoir de ceux qui écrivent les règles.
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L’illusion du contrôle
Comment en est-on arrivé là ? Pendant des années, les data centers européens, les labels de conformité et les protections contractuelles ont donné l’illusion d’une souveraineté numérique garantie et on croyait ces protections suffisantes pour sécuriser les données du vieux continent. Jusqu’à ce qu’un aveu public, celui de Microsoft, vienne briser tout ça : ces différents mesures peuvent s’effriter dès lors qu’une loi étrangère, à l’instar du CLOUD Act, entre en jeu. Pour rappel, en vigueur depuis 2018, ce texte permet aux autorités américaines d’accéder aux données hébergées par une entreprise US, où qu’elles se trouvent.
Pour les législateurs européens, cette situation est inacceptable. Cela place également les organisations européennes dans une position très délicate : celles qui dépendent des hyperscalers américains se retrouvent exposées à des revendications juridiques extraterritoriales, un véritable casse-tête juridique et financier permanent, mais dans les secteurs de la défense, des services publics et des infrastructures critiques, on parle d’un vrai risque de souveraineté.
Le problème est encore aggravé par la nature même des données produites aujourd’hui. Jusqu’à 90 % des nouvelles données générées sont non structurées : e-mails, documents, enregistrements, médias. Dans des architectures hybrides et multi-cloud, elles se fragmentent, se dupliquent, voyagent d’un pays et d’un service à l’autre. Les identifier, les classifier ou les sécuriser devient une opération quasi impossible à l’échelle humaine. Dans un tel contexte, une organisation qui ignore où se trouvent ses données, quelle personne y accède et sous quel régime légal, avance en aveugle. À ce stade, la souveraineté n’est plus simplement difficile à atteindre : elle devient inopérable dans les faits, même lorsque les choix de fournisseurs semblent aller dans la bonne direction.
Comment répondre alors à ces enjeux ? La bonne nouvelle, c’est que la souveraineté ne repose pas uniquement sur de nouvelles lois ou sur la construction d’infrastructures supplémentaires. Une grande partie de la solution tient à la capacité des organisations à reprendre la main sur leurs propres données grâce à des approches de gouvernance plus intelligentes, transversales et réellement indépendantes des environnements techniques où ces données circulent.
Concrètement, il s’agit de mettre en place des mécanismes capables de :
• cartographier les flux de données entre services, clouds, pays et systèmes
• classifier les informations selon leur degré de sensibilité et leur exposition juridique
• appliquer de manière cohérente les règles de résidence, d’accès et de rétention
• et enfin détecter et limiter tout accès ou déplacement non autorisé.
• classifier les informations selon leur degré de sensibilité et leur exposition juridique
• appliquer de manière cohérente les règles de résidence, d’accès et de rétention
• et enfin détecter et limiter tout accès ou déplacement non autorisé.
L’objectif reste le même pour toutes les organisations : gagner en résilience, rétablir la confiance et fonctionner dans un cadre conforme aux exigences européennes. Mais tant que les données sont enfermées dans un écosystème unique, dépendantes d’un fournisseur ou de formats de stockage fermés, le contrôle reste illusoire. Ajoutons à cela les contraintes des anciens systèmes et des couches techniques qui s’empilent, et on comprend vite pourquoi tant d’acteurs peinent à atteindre le niveau de neutralité indispensable à une véritable souveraineté opérationnelle.
À l’inverse, une approche moderne doit permettre de déplacer, organiser et conserver les données sur n’importe quelle infrastructure — cloud public, privé ou environnement interne — tout en gardant pleinement le contrôle.
L’avenir numérique de l’Europe
À court terme, l’incertitude reste forte. Si le témoignage de Microsoft a pointé du doigt les enjeux, les initiatives de cloud souverain (à l’instar de l’investissement de 7,8 milliards d’euros d’AWS) ainsi que la vigilance des régulateurs s’intensifient. Le Parlement européen alertait déjà en 2020 : « Les citoyens, les entreprises et les États membres… perdent progressivement le contrôle de leurs données. » Cinq ans plus tard, ce constat est devenu un impératif stratégique.
L’avenir numérique de l’Europe ne se jouera pas seulement sur l’emplacement physique des données, mais sur qui les gouverne, comment elles sont protégées et si leur contrôle peut être garanti dans la durée. Les décideurs publics et privés doivent investir dès aujourd’hui dans des stratégies de gouvernance et de gestion des données qui rendent la souveraineté tangible et opérationnelle. L’Europe peut encore reprendre la main mais elle doit agir vite.







