Recruter des seniors dans la tech : faire tomber stéréotypes et discriminations

Crédit: Alexandra Koch, Pixabay
Crédit: Alexandra Koch, Pixabay

Ouvrir son recrutement aux seniors représente une solution pour les employeurs afin de gagner en expérience, et aussi pour faire face à la pénurie de talents. Jamais autant de seniors sont sans activité depuis… 1975 ! L’étude de French Tech Grand Paris met à mal le jeunisme ambiant dans la tech et recommande plusieurs actions pour faire tomber stéréotypes et discriminations.

Si à 50 ans tu n’as pas de Rolex, as-tu raté ta vie ? Pas si sûr, mais si à 50 ans tu te retrouves sans emploi, c’est la galère pour en retrouver ! D’après la DARES, 43,1 % des personnes de 55 à 64 ans étaient sans emploi en 2022 en France. Ce taux continue d’augmenter et se trouve à son plus haut niveau depuis 1975. Un état de fait fort peu joyeux pour les quinquas et plus alors que l’âge de la retraite a été relevé.

Le jeunisme est important dans certains secteurs, comme la mode, mais aussi la tech. Dans les startups du domaine, seulement 7,7 % des salariés ont plus de 45 ans et 2,4 % dépassent les 55 ans d’après une étude de First Talent. French Tech Grand Paris, relais francilien de la mission French Tech, qui soutient la croissance de l’écosystème des startups françaises, compte 8 000 membres. Elle a mené l’enquête en décembre 2023 pour comprendre cette mise à l’écart des personnes expérimentées auprès de startups de 1 à plus de 500 salariés. 80 ont répondu.

« Alors que nos startups et entreprises de la tech peinent parfois à trouver et retenir certains profils très prisés, on constate qu’en parallèle, celles-ci délaissent le vivier représenté par les personnes de plus de 45 ans, souligne Alexandra André, directrice générale de la French Tech Grand Paris. En identifiant les barrières qui peuvent freiner les professionnels et les entreprises, notre objectif est de proposer des solutions pour les lever et faciliter l’embauche et l’intégration des personnes expérimentées au sein des startups et acteurs de la tech. L’un de nos premiers engagements sera d’ailleurs de limiter au maximum la désignation de senior, considéré comme trop péjoratif par les entreprises et les professionnels, mais plutôt d’utiliser le terme “personne expérimentée” et de lui apporter une définition claire en définissant notamment un âge précis. »

A quel âge est-on considéré comme senior ?

L’étude constate que l’âge auquel on qualifie les professionnels de senior varie : plus de 20 % des dirigeants de startup considèrent qu’au-delà de 45 ans une personne en fait partie. Cela illustre bien la notion très floue de l’âge, puisqu’aussi environ 20 % des répondants estime qu’une personne est senior à 60 ans. Solutions Numériques & Cybersécurité remarque qu’un diplômé bac+5 devant travailler 42 à 43 annuités pour avoir une retraite à taux plein est à 45 ans juste à la moitié de son parcours professionnel… Vous qui lisez ces lignes et n’avez pas encore atteint cet âge pas spécialement vénérable, vous verrez ça passe vite. Près de 500 ans nous séparent du Cid de Corneille, mais comme Don Diègue, de nombreux seniors peuvent s’exclamer : « Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie ! N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ? »

Répondants : dirigeants de startups de la French Tech. Source : étude de French Tech Grand Paris.

La French Tech dit stop aux préjugés !

Un tiers des startups interrogées dans l’étude n’ont pas de seniors dans leurs équipes, et pire encore, un quart ne recruterait pas une personne à cause de son âge. Les raisons avancées pour expliquer ces chiffres sont liées à des stéréotypes bien ancrés : coût trop élevé, incapacité à s’adapter rapidement aux outils digitaux, difficultés d’intégration du point de vue l’état d’esprit. Mais c’est un biais cognitif que de ranger des gens dans des cases, une façon qu’a le cerveau pour penser plus vite, et qu’il faut déconstruire. Pour Hélène Palluau, responsable offre chez Simplon, « cet a priori contribue à l’exclusion de facto d’un réservoir de professionnels qui ne cesse pourtant de croître. Travailler sur l’inclusion de ces professionnels expérimentés est donc essentiel »

En outre, certaines startups font part d’un manque d’outils pour sourcer les personnes de plus de 50 ans mais aussi de soutien financier pour l’embauche de ces profils plus expérimentées. L’information est peu répandue (et les startups ne pensent pas à aller chercher ce type d’information), mais les entreprises peuvent embaucher des plus de 45 ans en alternance et bénéficier d’aides.

Les seniors se sentent discriminés et souffrent d’un manque de réseau et de formation

L’étude a également interrogé 162 personnes de plus de 50 ans. 60 % ne savent pas comment identifier une opportunité dans le monde de la tech et plus de 80 % d’entre eux considèrent que le réseau est un facteur clé. Or 76 % ne disposent que d’un réseau limité voire d’aucun dans le secteur. Les raisons identifiées sont une connaissance des nouveaux métiers limitée, une discrimination liée à l’âge et un manque de financement pour se former. Ainsi, les personnes de plus de 50 ans ont conscience des problèmes et deux tiers souhaiteraient bénéficier d’une immersion professionnelle dans le secteur.

L’étude conclut en mettant en exergue deux problèmes. Premier problème, celui de la rencontre entre l’offre et la demande. 28 % des jeunes pousses précisent avoir des difficultés dans l’identification des profils expérimentés et ne pas savoir où les trouver, tandis que 60 % des profils expérimentés ne savent pas comment identifier les opportunités professionnelles. Le développement et la mise en place de nouveaux outils de sourcing et de recherche d’offres apparaissent donc comme essentiels.

Développer l’immersion professionnelle

L’axe prioritaire pour la French Tech est de développer l’immersion professionnelle au sein des entreprises tech. Les entreprises souhaitant mettre en avant leur politique d’inclusion pourraient valoriser ces offres d’immersion ainsi que l’embauche de personnes expérimentées.

La promotion de formations et leur soutien financier, à l’image du programme d’alternance favoriseraient l’intégration des personnes de plus de 50 ans au sein des entreprises tech et favoriserait leur employabilité dans le secteur. De plus, les bénéfices sont variés. Accroissement de la diversité des profils et renforcement du lien intergénérationnel sont sources de performance. Les seniors apporteraient au sein d’effectifs souvent très jeunes une forme d’expérience, une approche pragmatique et une vision complémentaire.

 

Changer le regard et la culture dans la tech vis-à-vis des seniors

Solutions Numériques & Cybersécurité a interrogé pour aller plus loin deux professionnels qui ont contribué à l’étude, Houcine Menacer, P-DG de Winside, organisme de formation au numérique pour les demandeurs d’emploi, et membre du Board de la French Tech Grand Paris, et Delphine Goudchaux, consultante.

« faire tomber les nombreux préjugés sur les seniors »

Crédit: reallywellmadedesks, Pixabay
Crédit: reallywellmadedesks, Pixabay

Comment expliquez-vous cette quasi-absence de seniors dans la tech ?

Houcine Menacer – Dans des startups, tu es déjà considéré comme senior à 40 ans. Si tu as une vraie expertise, ça va, sinon tu es considéré facilement comme obsolète. Pourtant, les startups sont créées par de jeunes entrepreneurs qui maîtrisent les méthodologies, mais ont peu d’expertise métier. Du côté des seniors qui travaillent dans la tech, ils ne sont pas tous formés aux dernières méthodologies projet, plus itératives, collaboratives et avec le droit à l’erreur, ni aux outils digitaux utilisés dans les startups. Plus largement, il y a beaucoup d’entre-soi dans la tech, les seniors ne s’y sentent pas forcément intégrés. Si les personnes expérimentées ont conscience des préjugés qui existent à leur encontre, elles ne bénéficient d’aucune aide pour les résoudre. Il y a donc beaucoup à faire afin de faire tomber les nombreux préjugés que les entreprises tech portent sur elles.

Delphine Goudchaux – Les fondateurs de startups pensent leur produit, plus rarement le sujet des ressources humaines. Le sujet est au cœur de deux problématiques : la faible ouverture des portes de la tech à des profils diversifiés, et le problème du travail des seniors en France. La French Tech doit s’ouvrir aux seniors pour y travailler. Avec le vieillissement de la population, sur lequel d’ailleurs la HealthTech et la FinTech surfent pour se développer, si on ne remet pas plus de seniors au travail, c’est l’ensemble de la société qui paiera.

Comment y remédier ?

Delphine Goudchaux – La solution vient, au-delà des lois, d’un changement de regard, un changement de culture chez les employeurs. Côté seniors, s’il y a l’envie et la motivation de rejoindre le monde de la tech, des formations existent. Tout le monde peut faire une formation tech. Elle est à la fois intéressante et ludique. Il s’agit d’offrir des programmes de formation aux seniors, qu’il s’agisse de ceux qui travaillent déjà dans la tech, d’employés d’autres secteurs ou des demandeurs d’emplois qui veulent se reconvertir et trouver un job dans la tech Il s’agit également de valoriser les expériences passées – par exemple la finance pour aller travailler dans la FinTech – et ajouter des compétences digitales, la connaissance de méthodologies projet, une posture plus flexible, pour en faire des profils adaptés à la French Tech.

« Suivi des actions via des indicateurs et onboarding adapté des seniors »

Houcine Menacer – En 2024, French Tech Grand Paris prévoit deux principaux types d’actions, pour les entreprises et pour les personnes expérimentées. D’abord, nous allons mener des actions de sensibilisation pour les membres de la French Tech, et plus largement, le monde de la tech, en mettant l’accent sur les avantages à accueillir plus de seniors. Nous allons nous rapprocher d’entreprises qui ont déjà une politique senior. Et sensibiliser les startups sur le fait que pour se développer, au-delà de l’expertise tech, elles ont besoin de compétences dans les fonctions commerciales et support, comme par exemple le marketing ; et que l’expérience de nombreux seniors dans ces domaines est un atout, qu’ils apportent leur regard pour faire avancer de façon pérenne une entreprise en croissance. Autre atout, ils sont moins volatiles en termes d’emploi que les jeunes. Et la transmission entre jeunes et expérimentés est une richesse et apporte de l’envie et de la motivation de façon mutuelle. Nous envisageons également des actions à destination des seniors : événements pour se faire rencontrer startups et seniors, mentoring, développement du réseau, relever les opportunités des jobboards pour les amener aux seniors qui ont du mal à les identifier. Et puisque sans mesure, les actions restent limitées, les entreprises doivent suivre des indicateurs relatifs à l’emploi des seniors. De plus, une fois la personne expérimentée recrutée, on l’intègre différemment d’un jeune diplômé. Le parcours doit donc être réfléchi en termes d’adaptation de l’accompagnement.

Pour conclure, au-delà de la sensibilisation, des mesures financières incitatives, la promotion de plateforme de rencontre de l’offre et de la demande et un soutien en matière de formation des profils expérimentés permettrait à ce vivier de trouver sa place au sein de nos entreprises du secteur technologique.