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Cybersécurité : quand l’influence précède l’expérience

Influence et cybersecurite

Au détour du flux LinkedIn, un post attire l’œil. Le titre interpelle : « La cyber est-elle devenue une religion ? Et LinkedIn, sa paroisse. » Son auteur, Alexandre L., senior consultant et auditeur certifié ISO 27001, y annonce une tribune volontairement abrasive sur ce qu’il nomme les nouveaux « cyberévangiles ». Derrière la formule, un texte long, dense, assumé comme subjectif, qui met des mots sur un malaise diffus : celui d’un écosystème cyber francophone où la parole visible semble parfois précéder l’expérience vécue. Une tribune qui, qu’on y adhère ou non, mérite qu’on s’y arrête, tant elle met en lumière la fragmentation croissante du cyberespace francophone. 

Quand la parole cyber prend le pas sur le terrain

Dans son texte, l’auteur décrit un cyberespace où la parole s’organise, se hiérarchise et se diffuse selon des logiques proches de celles de l’influence. Le savoir ne circule plus seulement entre pairs, mais se déploie devant un public large, composite, souvent non spécialiste, avide de repères clairs dans un univers perçu comme anxiogène. C’est dans cet environnement que prospèrent, selon lui, de nouvelles figures : pédagogues infatigables, reconvertis enthousiastes, consultants très visibles, dont la légitimité repose d’abord sur leur capacité à occuper l’espace.

L’un des points centraux de la tribune tient à cette dissociation croissante entre visibilité et expérience. Alexandre L. souligne que nombre de voix dominantes du débat cyber n’ont jamais été confrontées à la réalité la plus dure du métier : la gestion d’incidents majeurs, les arbitrages sous contrainte, la responsabilité directe face au risque. Pourtant, leur discours est souvent prescriptif, définitif, formulé sur le mode de l’injonction. « Un carrousel n’a jamais stoppé une attaque. Une infographie n’a jamais remplacé une stratégie », écrit-il, rappelant que la cybersécurité reste avant tout une discipline d’exécution, de contexte et de compromis.

La tentation d’une cyber simplifiée

Là où la tribune frappe juste, c’est dans sa description d’une cybersécurité rendue volontairement lisible, presque confortable, par la forme. Slides, formats courts, slogans, métaphores religieuses : tout concourt à transformer une discipline complexe en une suite de vérités immédiatement consommables. Cette simplification n’est pas nécessairement malveillante. Elle répond à une demande, à un besoin de compréhension rapide, à une logique d’attention fragmentée.

Mais elle produit un effet pervers : l’illusion de maîtrise. Alexandre L. décrit un écosystème où l’on confond pédagogie et pratique, exposition et expertise, assurance et compétence. La nuance disparaît, le doute devient contre-productif, la complexité est perçue comme un défaut narratif. Dans ce cadre, le discours cyber tend à se rigidifier, à devenir dogmatique, presque doctrinal. « Les juniors bavards confondent le bruit et la connaissance. Les docteurs certifiés confondent la connaissance et la doctrine », résume-t-il, dans l’une des formules les plus commentées de la tribune.

Cette dérive n’est pas sans conséquences. Elle façonne la perception qu’ont les décideurs, les managers et parfois les directions générales de ce qu’est réellement la cybersécurité. Une perception où la solution semble toujours à portée de slide, de checklist ou de certification express.

Reconversions rapides et légitimité numérique

La tribune s’attarde également sur un phénomène bien réel : celui des reconversions accélérées, encouragées par la pénurie de talents et par un discours très offensif autour des bootcamps et des formations intensives. Là encore, l’auteur ne remet pas en cause la sincérité des parcours. Il interroge leur mise en récit et surtout leur surreprésentation dans l’espace public numérique.

Formés en quelques semaines, certains nouveaux entrants deviennent rapidement des figures visibles, parfois prescriptives, alors même que leur expérience opérationnelle reste limitée. Le risque, selon Alexandre L., n’est pas individuel mais systémique : celui d’un cyberespace où la légitimité se construit plus vite que la maturité, où la parole précède l’épreuve du réel. « Nous construisons une cyberbabel où la parole circule plus vite que le savoir », écrit-il.

Ceux que l’on n’entend pas

En creux, la tribune rend hommage à une autre catégorie d’acteurs : ceux qui parlent peu, publient rarement, mais dont l’autorité repose sur des années de terrain. RSSI, ingénieurs, analystes, responsables de crise, ces profils restent souvent en marge des réseaux sociaux, soit par culture, soit par contrainte. Leur expertise circule autrement, dans les incidents, les retours d’expérience, les échanges confidentiels entre pairs.

C’est là que le texte d’Alexandre L. dépasse la simple critique pour poser une question de fond : à qui laisse-t-on le chœur ? Dans un cyberespace fragmenté, où les chapelles se multiplient, la visibilité ne devrait pas devenir le seul critère de crédibilité.

Une tribune qui interroge l’écosystème

La force de ce texte tient moins à son ton volontairement acide qu’à ce qu’il révèle d’un malaise partagé. Il ne s’agit pas de disqualifier la vulgarisation, ni de sanctuariser l’expertise derrière le silence. Il s’agit de rappeler que la cybersécurité ne se réduit ni à une religion, ni à une narration. Qu’elle reste un métier de friction, d’incertitude et de responsabilités assumées loin des projecteurs.