Dans cette interview, Marc Frentzel, directeur senior Europe & conseil en solutions chez Nexthink, partage son retour d’expérience sur la convergence entre les départements RH et IT autour de la Digital Employee Experience (expérience numérique des collaborateurs). Il évoque les freins, les leviers et le rôle clé de l’intelligence artificielle dans cette transformation.
SNC – Dans quel contexte travaillez-vous sur les sujets qui entourent la crise de l’engagement et de la productivité dans les environnements de travail ?
Marc Frentzel – Nexthink est aujourd’hui le leader du Digital Employee Experience Management, reconnu par Gartner et Forrester, avec plus de 18 millions de postes équipés. Nous aidons les DSI à obtenir une visibilité fine sur l’expérience numérique des collaborateurs, à automatiser les actions pour l’améliorer, et à comprendre les usages réels des applications sur les postes de travail. L’objectif est de mieux aligner les outils avec les rôles de chacun, tout en optimisant les coûts en évitant les applications superflues.
Mais au-delà du déploiement, ce qui compte, c’est l’adoption : s’assurer que les salariés utilisent vraiment les outils et de manière efficace. Car la qualité de cette expérience numérique impacte directement la productivité, mais aussi l’attachement des employés à leur entreprise. Pendant la pandémie, le poste de travail est devenu le principal lien entre l’entreprise et l’utilisateur. Aujourd’hui, dans un contexte de pénurie de talents, l’environnement numérique joue un rôle déterminant dans la fidélisation.
Dans une étude* que vous venez de publier, 93 % des décideurs plébiscitent un rapprochement IT-RH. Qu’est-ce qui a changé ?
Ce chiffre montre une vraie prise de conscience : le cœur de l’entreprise, c’est l’employé, et il se situe aujourd’hui à la jonction des RH et de l’informatique. Les RH se préoccupent de sa satisfaction et de sa productivité au sens positif — s’assurer que l’employé travaille dans de bonnes conditions — tandis que l’informatique est devenue son principal outil de travail.
Dans tous les secteurs, disposer d’un environnement disponible, simple et compréhensible est devenu clé. On sait depuis longtemps, via IDC ou Gartner, qu’un collaborateur perd en moyenne deux heures par semaine à cause de pannes ou lenteurs. Et aujourd’hui, un autre problème se pose : l’usage des applications. Pour une même action, comme poser ses congés sur Workday, on observe des écarts de performance de 1 à 3 fois entre utilisateurs. D’où l’importance d’aligner les outils sur le rôle, le contexte et les besoins concrets de chaque employé.
« Le cœur de l’entreprise, c’est l’employé, et il se situe aujourd’hui à la jonction des RH et de l’informatique. »
En quoi la collaboration IT-RH peut-elle transformer concrètement l’expérience employé ?
Je vais reprendre deux notions clés : le rôle et l’adoption. Les RH ont la meilleure vision des missions des employés et de ce dont ils ont besoin pour bien les accomplir. Ils sont aussi les plus à même de comprendre ce que vit réellement l’employé. Un bon exemple, c’est cette grande banque européenne qui, en utilisant notre solution, est passée de 10 % à 70-80 % de réponses à ses sondages internes. On passe là à une compréhension réelle du vécu des collaborateurs. Ensuite, côté IT, il s’agit de garantir la qualité de l’expérience numérique : disponibilité, facilité d’usage, mais aussi formation et accompagnement. L’étude montre que lorsque ces deux approches — souvent séparées — sont combinées, leur impact devient significatif.
Quels sont les principaux freins à cette convergence RH-IT, et comment les surmonter ?
C’est un changement encore récent, donc oui, il existe des freins, surtout organisationnels : culture d’entreprise, structuration des équipes, niveau d’outillage… Souvent, RH et IT ne travaillent pas ensemble et n’ont pas la même vision. Cela crée un décalage, car les initiatives partent généralement d’un seul département. Pour réussir, il faut une volonté forte de la direction, un alignement stratégique, des outils adaptés et des compétences capables de croiser les données RH et IT. Même si les départements DEX sont souvent issus de l’informatique, ils intègrent de plus en plus de profils variés, notamment pour analyser le ressenti utilisateur.
Oui, il y a des freins culturels, de posture, parfois des personnes. Mais créer une plateforme de convergence autour de l’expérience numérique aide à fédérer. C’est l’usage qui fait évoluer les lignes, comme on l’a vu avec la digitalisation. Dans des contextes de fusions-acquisitions, cette synergie RH/IT s’impose d’elle-même. On accompagne des groupes industriels ou BTP pour dresser un inventaire des outils, optimiser les accès et intégrer les nouveaux collaborateurs efficacement.
Quel rôle joue l’intelligence artificielle dans cette logique ?
L’IA a deux grands rôles. D’abord, elle permet de synthétiser rapidement les données issues des postes de travail et du ressenti collaborateur — un vrai gain pour les équipes DEX, RH, IT. Ensuite, elle démocratise l’accès à ces données. Une grande administration française utilise nos solutions dans ses centres régionaux : grâce à l’IA, des utilisateurs non techniques peuvent poser une question simple — « Combien d’employés du site de Rodez ont eu des problèmes aujourd’hui ? » — et obtenir une réponse claire. Ça facilite le dialogue entre RH, IT et métiers.
« L’IA démocratise l’accès aux données : même des utilisateurs non techniques peuvent poser une question simple et obtenir une réponse claire. »
Concrètement, quel est votre rôle dans l’orchestration de cette collaboration ?
Nous jouons à plusieurs niveaux. D’abord via notre plateforme SaaS : elle fournit toutes les métriques utiles, directement depuis le poste de travail, avec un focus sur l’expérience réelle.
Ensuite, nous collaborons avec les intégrateurs et cabinets de conseil — Accenture, Atos, Capgemini, Computacenter… — qui utilisent nos données pour piloter des projets de transformation, que ce soit des migrations, l’introduction d’applis ou même des démarches de sobriété numérique. Et là, on ne parle plus seulement IT : les RH et les métiers sont impliqués.
Quelles tendances voyez-vous émerger dans les prochaines années ?
Le digital employee experience va devenir un enjeu clé, couvrant tous les outils numériques : métiers, collaboratifs, mobiles. Il y aura un focus fort sur l’adoption — pas seulement disposer des outils, mais qu’ils soient vraiment utilisés, efficaces.
L’intelligence artificielle et l’automatisation vont jouer un rôle central pour détecter les problèmes, corriger, personnaliser l’expérience selon le rôle, le contexte, les préférences de chacun. La personnalisation de l’IT, dont on parle depuis 10-15 ans, devient enfin concrète.
Les départements DEX apportent des données inédites, comme cet industriel anglais capable d’analyser précisément l’usage des applications et d’adapter la communication en temps réel, selon les profils ou sites.
Et pour résumer, quels sont les bénéfices concrets à court terme ?
D’abord, une meilleure visibilité : en cinq ans, on est passé de 6 à 12 applis par employé. Il faut s’assurer que chacun a les bons outils. Ensuite, une vie simplifiée pour l’employé : quand l’adoption est accompagnée, la satisfaction double et le temps pour certaines tâches chute de 20 à 50 %. Autre bénéfice : décharger le support IT, qui peut se concentrer sur la valeur ajoutée. Et enfin, accompagner l’usage de l’IA, comme Copilot : nos clients veulent comprendre les usages réels, éviter le shadow IT ou les erreurs de licences. Ils attendent un accompagnement clair, avec guides ou info-bulles intégrées. En plus, les données DEX permettent de mesurer les gains de productivité, les impacts sur le turnover et l’attractivité.
« Quand l’adoption est accompagnée, la satisfaction double et le temps pour certaines tâches chute de 20 % à 50 %. »
Cette fusion préfigure-t-elle une transformation plus large de l’entreprise ?
Je ne suis pas expert en stratégie d’organisation, mais je peux partager deux retours terrain. Un, d’une grande banque : si les employés n’ont pas une bonne expérience informatique, ils ne peuvent pas bien interagir avec les clients. L’interne se reflète à l’externe. Deux, plus globalement : l’expérience employé devient aussi importante que l’expérience client. Même en B2B, l’IT ne se limite plus à fournir des outils, elle aide chaque collaborateur à contribuer pleinement aux objectifs de l’entreprise.
*Etude internationale intitulée « The Experience Silo : The Future of HR and IT », qui s’appuie sur une enquête menée auprès de 1 100 responsables informatiques.