À l’Université d’été Hexatrust, l’écosystème cyber et cloud souverain a livré un constat sans appel : explosion des cyberattaques, dépendance économique et technologique aux États-Unis, faiblesse des financements européens. Mais au-delà de ces constats partagés (et déjà connus), cette édition a pris une tournure éminemment politique avec d’un côté l’absence d’un ministre et de l’autre des intervenants qui ont insisté sur l’urgence d’agir, de manière pragmatique et réaliste.
Une ouverture hautement politique
La matinée s’est ouverte sans représentant gouvernemental, conséquence directe de la chute du gouvernement. Un trio improvisé — Jean-Noël de Galzain (Hexatrust), le député Philippe Latombe et Alain Garnier (Jamespot) — a alors pris la parole pour poser le décor. Tous trois ont insisté sur le décalage entre ambitions affichées et décisions concrètes.
Latombe a rappelé combien l’épisode VMware, racheté par l’américain Broadcom avant de voir ses tarifs flamber, incarne le coût de la dépendance européenne. De Galzain a martelé que « nous achetons en Europe 83 % de nos produits et services numériques hors du continent. Ce modèle est économiquement mortifère ». Quant à Alain Garnier, il a pointé la contradiction d’une commande publique qui, au lieu de soutenir les acteurs souverains, peut les concurrencer : « l’exemplarité de l’État devrait être un moteur, pas un frein. »
Passer des discours aux preuves
Si la souveraineté numérique est aujourd’hui affichée « au plus haut niveau de l’État », les acteurs présents tout au long de cette journée ont rappelé que les paroles ne suffisent plus. Geoffrey Célestin-Urbain, président du Campus Cyber, a particulièrement marqué les esprits : « Ce qui manque à la souveraineté numérique, ce n’est pas l’amour, mais les preuves d’amour. »
Vincent Strubel, directeur général de l’ANSSI, a insisté sur la nécessité d’objectiver les choix : « Il faut arrêter de parler seulement en termes de risques. Combien ça coûte ? Combien ça rapporte ? Voilà ce qu’il manque à la souveraineté numérique. »
Marc Darmon, président du CSF « Industrie de sécurité » et dirigeant chez Thales, a rappelé que la véritable indépendance se joue dans la maîtrise de la conception : « La souveraineté, ce n’est pas seulement fabriquer, c’est être capable de concevoir et de faire évoluer nos systèmes au plus près des utilisateurs. »
Coopérer plutôt que se diviser
Au-delà des appels à l’action, un message récurrent a émergé : il est temps d’arrêter de « se tirer dans les pattes » entre acteurs publics et privés. Plusieurs intervenants ont souligné que les Américains savent coordonner leur narratif entre État, industriels et clients avançant d’une seule voix. L’Europe, elle, souffre encore de rivalités internes qui affaiblissent son message et freinent l’émergence de champions.
Des leviers encore fragiles
Jean-Noël de Galzain a réitéré son appel à mobiliser la commande publique : « Chaque acte d’achat peut devenir un choix souverain. » Mais fragmentation de l’offre française reste un frein. Le besoin de consolidation est jugé indispensable pour proposer des solutions intégrées et lisibles, en particulier pour les PME et les collectivités. Sans ce passage à l’échelle, beaucoup redoutent de voir les pépites françaises continuer à passer sous pavillon étranger.
Le financement est un autre point de blocage. Si France 2030 a amélioré l’amorçage, le relais fait défaut au-delà des premiers tours. Sans investisseurs capables d’accompagner des levées de 30 millions d’euros et plus, les acteurs européens resteront vulnérables.
Réalisme contre illusions
La métaphore utilisée par Geoffrey Célestin-Urbain a résumé le dilemme. L’Europe vit dans un « triangle d’incompatibilité » : financements publics insuffisants, marchés de capitaux déséquilibrés, ouverture totale aux acteurs étrangers. Vouloir la souveraineté numérique sans rééquilibrer au moins deux de ces trois variables relève de l’illusion.
Entre explosion des menaces et dépendances persistantes, l’écosystème français et européen n’a plus le luxe de se contenter de constats. Pour transformer la souveraineté numérique en réalité, il faudra consolider l’offre, investir massivement et surtout aligner les actes d’achat avec les ambitions affichées. Le temps du « pourquoi » est clos : reste à prouver, enfin, le « comment ».