Accueil Numérique durable Sous les serveurs, la planète : infrastructures numériques, le grand angle mort

Sous les serveurs, la planète : infrastructures numériques, le grand angle mort

Thomas Jacobsen, responsable communication chez Infomaniak

Entre l’explosion des usages cloud et l’essor de l’IA générative, les infrastructures numériques n’ont jamais été aussi critiques. Pourtant, leur impact environnemental reste encore largement sous-estimé et souvent dissimulé. Alors que les géants du Web avancent des chiffres rassurants, quelques acteurs européens montrent qu’un autre modèle est possible.

À mesure que l’IA générative se diffuse dans les entreprises, les besoins en puissance de calcul s’envolent. Derrière chaque prompt, chaque chatbot ou outil de transcription vocale, ce sont des milliers de GPU répartis dans des datacenters qui chauffent, consomment et sollicitent massivement les réseaux.

« Un prompt consomme très peu d’électricité », affirmait récemment Sam Altman (OpenAI), relayé quelques semaines plus tard par Google, qui publiait une estimation de l’impact énergétique de Gemini. Le problème, c’est que ni l’un ni l’autre ne dévoilent une méthodologie claire. Aucun audit tiers indépendant, pas d’analyse de cycle de vie complète… Une opacité qui rend toute comparaison impossible. Face à ce manque de transparence, quelques initiatives émergent en Europe. En France, Mistral AI a amorcé une démarche publique de mesure d’impact avec des partenaires spécialisés.

En attendant des standards communs et vérifiables, l’impact environnemental des infrastructures numériques continue de croître. Selon l’étude Ademe/Arcep mise à jour début 2025, les datacenters représentent à eux seuls 46 % de l’empreinte carbone du numérique en France. Un chiffre majeur, auquel s’ajoute une consommation électrique estimée à 14,3 % de la consommation nationale totale si l’on inclut les centres situés à l’étranger mais utilisés pour des services français.

Nous nous engageons à adopter une méthodologie robuste, conforme aux recommandations du GHG Protocol et alignée avec les objectifs climatiques.

Ce poids énergétique s’explique non seulement par le fonctionnement continu des serveurs mais aussi par les besoins de refroidissement, les pertes en transformation électrique et le renouvellement du matériel. En matière de bilan carbone, la phase d’usage est donc aussi critique que celle de la fabrication, d’où l’intérêt d’adopter des architectures sobres, pilotées et optimisées.

Certaines entreprises européennes et françaises l’ont compris. Celeste, avec son datacenter Marilyn à Marne-la-Vallée, limite sa consommation énergétique de près de 35 % grâce au free cooling (environ 6 GWh économisés par an) et affiche un PUE de 1,3, parmi les plus efficaces du marché commercial. Elle complète ces mesures en produisant 65 000 kWh par an avec 173 mètres cubes de panneaux solaires, soit 2 % de ses besoins énergétiques. OVHcloud, leader français du cloud, affiche un PUE moyen entre 1,10 et 1,30, 77 % d’énergies renouvelables et propose un Environmental Impact Tracker pour calculer précisément l’empreinte carbone de ses services cloud. Eclairion, cloud souverain, optimise quant à elle ses datacenters haute densité avec les technologies Vertiv : refroidissement liquide direct, portes froides arrière et supervision thermique en temps réel. En Suisse, l’opérateur Infomaniak revendique une approche parmi les plus avancées d’Europe, combinant énergie renouvelable, refroidissement naturel et réutilisation de la chaleur.

Ces alternatives européennes montrent qu’il est possible d’aligner souveraineté numérique, performance industrielle et respect des limites planétaires. Encore faut-il que ces pratiques sortent du cercle des pionniers pour se généraliser.


AVIS D’EXPERT

« On maîtrise toute la chaîne de valeur : on construit nos datacenters et on développe nos logiciels et interfaces. »

Thomas Jacobsen, responsable communication chez Infomaniak

 

Infomaniak est l’un des rares hébergeurs européens à avoir bâti sa stratégie sur la durabilité. Basée à Genève, l’entreprise conçoit et exploite ses propres datacenters à haute performance énergétique, tout en développant des services cloud éthiques. Son porte-parole, Thomas Jacobsen, détaille ici les choix structurants d’Infomaniak.

Énergie 100 % renouvelable

« On alimente nos datacenters exclusivement avec de l’électricité verte d’origine hydraulique, provenant de barrages suisses. »

Refroidissement sans climatisation

« Depuis 2013, nos datacenters n’ont plus de climatisation. On refroidit uniquement à l’air extérieur filtré et, en cas de canicule, par adiabatique. »

Récupération de chaleur

« Notre nouveau datacenter revalorise 100 % de l’énergie consommée en chauffant jusqu’à 6 000 logements. »

Transparence assumée

« On compense à 200 % mais on refuse de le mettre en avant. La compensation est un mécanisme critiquable. Pour nous, c’est du greenwashing. »

Hébergement éthique

« On refuse d’héberger des services de minage de cryptomonnaie ou des clients qui n’acceptent pas de se conformer à nos exigences environnementales. […] Il faut secouer les croyances. Nos ingénieurs sont formés dans les mêmes écoles que ceux des Gafam. On peut tout à fait développer une filière cloud souveraine en Europe. »

 

 

Camille Suard