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“Les hyperscalers américains sont devenus dominants grâce à la commande publique américaine”, Benoît Trémolet, Directeur Général de Retarus France

Benoît Trémolet, Directeur Général de Retarus France
Benoît Trémolet, Directeur Général de Retarus France

Annoncée par Gartner comme l’une des tendances technologiques majeures de 2026, la géopatriation, ce mouvement qui pousse les entreprises à rapatrier leurs données et applications vers des clouds souverains ou locaux, gagne rapidement du terrain en France. Pour Benoît Trémolet, Directeur Général de Retarus France, cette dynamique dépasse largement la seule question de la conformité RGPD : elle touche la sécurité, les contrats, les prix, la relation client et, surtout, la capacité de l’Europe à redevenir maître de son destin numérique.

Solutions Numériques & Cybersécurité : La géopatriation est pressentie par Gartner comme une tendance forte. Comment cette dynamique se manifeste-t-elle sur le terrain français ?

Benoît Trémolet : Avant même que Gartner ne commence à en parler, nous constations déjà en France une sensibilité accrue autour de la souveraineté. Historiquement, ce sujet concernait surtout les secteurs très réglementés, comme les notaires ou les administrations régaliennes. Depuis un an, le mouvement s’est nettement accéléré, porté par des préoccupations de data privacy et de respect du RGPD. Tout le monde parle de souveraineté, parfois sans vraiment savoir ce qu’on met derrière ce terme.
Aujourd’hui, la tendance est très nette : les acteurs publics, parapublics, les collectivités, mais aussi les partenaires comme Orange Cyberdefense ou SFR Business, recherchent activement des solutions européennes. Et cette dynamique est renforcée par les rachats successifs de certains acteurs français passés sous pavillon américain, ce qui élargit notre fenêtre de marché.

SNC : Quand un client évoque la souveraineté, qu’attend-il réellement ?

B.T : Il y a la souveraineté juridique : maîtriser son contrat, éviter les lois extraterritoriales, garantir que les données ne sont pas accessibles par des législations étrangères. Mais la souveraineté, c’est aussi la maîtrise de la relation : éviter les augmentations de prix imposées, la possibilité de parler à un support local, francophone, proche.
Dans les appels d’offres, il n’existe pas encore de critères pleinement définis — sauf sur la protection des données. Ce que les clients demandent avant tout, c’est un contrat en droit français et un support local. C’est devenu un élément déterminant dans les choix technologiques.

SNC : Faut-il viser un modèle 100 % souverain ou plutôt un modèle hybride ?

B.T : Chez Retarus, nous sommes 100 % souverains européens : capital européen, data centers européens, données qui ne sortent jamais du continent. Ce n’est pas du souverain strictement français, mais la logique reste la même.
Cependant, il faut être réaliste : certains usages, comme Office 365, n’ont quasiment pas d’alternatives crédibles pour le grand public ou pour certaines organisations. Seules quelques collectivités très engagées migrent vers des solutions alternatives. L’hybride demeure donc une réalité de terrain, même si la demande pour des briques souveraines augmente fortement.

SNC : On entend parfois que le cloud souverain serait moins innovant. C’est encore vrai ?

B.T : Honnêtement, si on se pose éternellement la question de savoir si le cloud souverain est “moins bien”, on n’avancera jamais. Les hyperscalers américains sont devenus dominants grâce à la commande publique américaine. Si l’Europe ne réserve pas une partie de sa commande publique aux acteurs européens, nous resterons en retard.
Sur les infrastructures de base, hébergement, sécurité, disponibilité, des acteurs comme OVH ou Outscale n’ont rien à envier aux hyperscalers. Après, oui, il existe toujours une fonctionnalité très spécifique disponible ailleurs. Mais cela ne change pas la qualité globale du service.

SNC : La Commission européenne a publié un score de souveraineté du cloud. C’est un outil fiable selon vous ?

B.T : C’est un excellent premier pas. Jusqu’ici, personne n’était capable de définir précisément la souveraineté, chacun avait sa propre définition. Là, on dispose enfin d’un référentiel clair, proposé par une autorité européenne.
Ce score donne une boîte à outils, un niveau d’assurance, une grille d’évaluation. Est-ce suffisant ? Non. Il faudrait aller plus loin et rendre obligatoire l’intégration de ces critères dans les appels d’offres. Mais pour un début, c’est une avancée très encourageante.

SNC : Pensez-vous que la réglementation européenne va devenir plus stricte ?

B.T : Oui, la tendance va clairement dans ce sens. Des associations comme Hexatrust militent fortement pour cela, et les gouvernements, notamment en France, suivent le sujet de très près. Le score de souveraineté n’a pas encore force de loi, mais il s’inscrit dans une dynamique politique plus large.
Et il faut aussi le reconnaître : l’instabilité géopolitique récente, la guerre en Ukraine, les tensions commerciales, a été un électrochoc. Ces événements ont montré à l’Europe qu’il fallait reprendre le contrôle de ses infrastructures numériques.