Accueil Applications L’ERP est mort, vive l’ERP !

L’ERP est mort, vive l’ERP !

L’ERP a mauvaise réputation : peu flexible, coûteux, long à mettre en place, complexe à maintenir à jour… Pourtant, ces logiciels jouent un rôle central dans la gestion des processus métiers des entreprises, de la comptabilité à la gestion des stocks. Or, les innovations technologiques telles que le cloud et l’intelligence artificielle (IA) ont redéfini non seulement le modèle économique de ces solutions mais aussi leur utilisation. Pour peut-être redorer le blason de l’ERP.

Quand on passe en mode SaaS, la solution est la même
pour tout le monde, ce qui rend les mises
à jour beaucoup plus indolores. »
Gilles Santene, EY

L’ERP, ou Enterprise Resource Planning, désigne les solutions centralisant et automatisant la gestion d’un certain nombre de fonctions clés de l’entreprise : comptabilité, gestion des stocks, ressources humaines, production, relation client et fournisseurs… Ces progiciels, déployés localement, ont été largement plébiscités dans les années 1990 et 2000 par les entreprises désireuses de saisir cette opportunité de refondre leurs systèmes informatiques vieillissants. « Historiquement, l’ERP est né d’une vision logistique et “procurement”, pour que les entreprises qui fabriquent aient les bons matériaux au bon endroit au bon moment », nous explique Gilles Santene, associé EY et spécialiste ERP. Puis une vision “finances” s’est superposée, dans laquelle on a relié les opérations métiers aux systèmes comptables, à des fins de contrôles financiers et de gestion. » Dans une troisième phase, l’ERP est revenu à l’aspect logistique, avec l’ajout d’une dimension relation client et fournisseur.

Pour Nicolas Mellin, directeur de l’innovation chez Sage France, qui revendique accompagner une entreprise sur deux dans l’Hexagone, l’ERP se définit comme « un système central dans les entreprises qui va permettre le suivi, la gestion et le pilotage, de la comptabilité à la gestion commerciale en passant par la trésorerie ». Pourtant, ces solutions on premise étaient souvent complexes, tant à déployer qu’à maintenir. Les ERP sur site sont connus pour être peu flexibles et l’intégration de nouveaux modules ou fonctionnalités nécessitait souvent des développements coûteux et longs. En raison de la lourdeur des processus de mise à jour et de la lenteur des cycles d’innovation, ces systèmes ne parvenaient pas toujours à suivre l’évolution rapide des besoins des entreprises.

Nous n’en sommes plus au stade où les DAF se demandent s’ils doivent mettre de l’IA dans leur système mais comment la rentabiliser
Nicolas Mellin, Sage France

On notera néanmoins que, au cours de son histoire, l’ERP a bénéficié des avancées du hardware. L’arrivée du in memory a changé le rapport à la donnée, avec des modèles de données plus intégrés. Il devient dès lors plus facile pour l’utilisateur d’accéder à la donnée sans avoir à faire les multiples jointures auparavant nécessaires. À ce surcroît de puissance matérielle s’est additionnée une évolution des interfaces, décrites par Nicolas Mellin comme « historiquement assez moches, avec beaucoup d’informations visibles à l’écran et certains codes qui ne rendaient pas l’outil intuitif ». Ce qui est devenu un problème majeur à partir des années 2000 : l’informatique mettant de plus en plus l’accent sur l’ergonomie et l’expérience utilisateur, ces derniers ont perdu l’habitude de devoir consulter un mode d’emploi de plusieurs centaines de pages pour utiliser une application. Les éditeurs ont donc, pour la plupart, fait grand cas de transformer leurs interfaces avec des catalogues plus accessibles et intuitifs.

Cloud tous azimuts

C’est un effet structurant des offres SaaS,
on livre tous les trimestres les mêmes
fonctionnalités pour tous nos clients sur Fusion. »
Stéphanie Achard, Oracle France

Pour autant, malgré ces évolutions, l’achat et la gestion des serveurs, des bases de données, des systèmes de sauvegarde, des mises à jour logicielles ainsi que le personnel nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du système constituaient un fardeau. La gestion de ces solutions ERP nécessitait des investissements considérables en termes de capital, d’infrastructures et de ressources humaines. L’arrivée du cloud computing lors de la décennie écoulée a marqué un tournant décisif dans le monde des ERP. Ce modèle a transformé non seulement la manière dont les solutions ERP sont déployées mais aussi leur mode de consommation et leur accessibilité. Un virage pris tardivement par les éditeurs d’ERP, comparativement à d’autres secteurs du logiciel, mais qui s’explique par une refonte souvent complète de ces solutions. « Chez Oracle, nous avons fait le choix de complètement redévelopper nos offres sur Fusion, et non de prendre E-Business et Peoplesoft pour remettre une couche par-dessus », indique Stéphanie Achard, vice-présidente Apps chez Oracle France.

Le passage au cloud, c’est la promesse de solutions ERP plus flexibles, plus « scalables ». En utilisant un ERP cloud, une entreprise peut facilement augmenter ou réduire la capacité de son système en fonction de ses besoins spécifiques, sans nécessiter d’investissements en mode Capex en infrastructure. « Le move to cloud incite à la simplification, surtout de la maintenance de la solution. Dans un projet ERP, beaucoup de clients ne vont pas se contenter de ce qu’il offre en standard mais demandent des développements spécifiques, du code qu’il va falloir tester, dont il faut s’assurer qu’il ne régresse pas et ce à chaque évolution de l’ERP. Et si ces développements spécifiques ne supportent pas la mise à jour du cœur de l’ERP, il faut les mettre à jour également. Ce qui prend du temps et des ressources, d’autant que les compétences sur ces spécifiques n’existent peut-être plus en interne », décrit Gilles Santene.

Une innovation plus fréquente

C’est l’un des autres grands changements du passage du on premise au cloud. Un ERP sur site requiert une intervention physique de l’intégrateur pour pousser les mises à jour sur l’ERP. Avec le modèle cloud, la solution bénéficie de mises à jour régulières et automatiques, sans que l’intégrateur ait à intervenir. Ce qui permet aux utilisateurs d’être constamment à jour avec les dernières fonctionnalités et correctifs, sans avoir à se soucier de la gestion des mises à jour manuelles. Ce modèle évite les pannes ou interruptions de service liées à des versions obsolètes mais permet aussi et surtout aux entreprises d’intégrer rapidement de nouvelles fonctionnalités sans nécessiter des périodes d’arrêt prolongées pour réinstaller de nouvelles versions logicielles. « Quand on passe en mode SaaS, la solution est la même pour tout le monde, ce qui rend les mises à jour beaucoup plus indolores, poursuit le consultant d’EY. C’est une question de compromis : suis-je prêt à abandonner les spécificités, à faire un effort organisationnel (processus et autres) au profit de la standardisation ? »

D’où des ajouts de nouvelles fonctionnalités bien plus fréquents. « Les clients qui font le choix du SaaS veulent aller vite, éviter l’effet tunnel. C’est un effet structurant des offres SaaS ; on livre tous les trimestres les mêmes fonctionnalités pour tous nos clients sur Fusion », précise Stéphanie Achard. Et si le virage vers le cloud était tardif, les éditeurs l’ont pris sur les chapeaux de roue. « Chez Oracle, nous n’allons pas lâcher les gens qui ont investi dans nos ERP on premise sur 20 ou 30 ans, nous continuons de les accompagner, précise la vice-présidente Apps d’Oracle France. Mais nous n’amènerons pas les innovations sur les plateformes on premise. » Tendance également observée chez un SAP et chez la majorité des acteurs du secteur. La standardisation n’empêche toutefois pas le développement de certains spécifiques. Les éditeurs d’ERP, à l’instar du géant SAP, fournissent les ressources et les outils (BTP dans le cas de SAP) « pour développer à côté du cœur de l’ERP des applications connexes dont les connecteurs tiennent lors des montées de versions », comme nous l’explique Fatma Ben Zhioua, experte technique et manager du pôle SAP chez Aymax.

Stratégie d’écosystème

Le présent et l’avenir de l’ERP résident
dans des solutions faciles à déployer
et grandement personnalisable. »
Thomas Ciezar, Zoho

Enfin, flexibilité oblige, le passage au cloud a eu des effets bénéfiques sur la gestion des processus métiers. « Pour nous, le présent et l’avenir de l’ERP résident dans des solutions faciles à déployer et grandement personnalisables », nous assure Thomas Ciezar, directeur marketing France de Zoho. Car l’ERP en mode SaaS se veut plus modulaire et personnalisable en fonction des besoins spécifiques des utilisateurs, sans développements supplémentaires donc. Les entreprises bénéficient également d’une meilleure flexibilité et agilité dans leurs processus métiers, car elles peuvent rapidement ajuster leurs systèmes ERP en fonction des évolutions du marché, des changements réglementaires ou des exigences sectorielles. À ce sujet, Fatma Ben Zhioua ajoute que la modélisation de l’application devient une activité prépondérante chez les intégrateurs. Ce design repose aussi bien sur les fonctions internes à l’ERP – aux applications connexes développées pour tenir compte des spécificités du contexte de l’utilisateur – que sur applications tierces. Car le cloud a permis une meilleure intégration des ERP avec des systèmes externes, comme des outils CRM, des solutions de gestion de la chaîne logistique ou des applications analytiques avancées, créant ainsi des écosystèmes plus cohérents et unifiant la donnée. « Je vois les ERP comme des solutions munies d’un cœur – modules achats, ventes, finances, contrôle de gestion – qui grandit, notamment avec l’intégration de CRM et des satellites qui vont tourner autour : SIRH, gestion de trésorerie, etc. », indique Gilles Santene. Là où certains acteurs vont surtout s’appuyer sur des rachats et des développements internes, afin de conserver la main sur cet écosystème, d’autres vont procéder à l’aide de partenaires et d’API. « La base de notre réussite, c’est l’ouverture sur les autres, les connecteurs ! On veut garder cette philosophie, cette possibilité de se connecter aux solutions tierces : on n’a pas pour rôle de tout développer », précise Nicolas Mellin. Quelle que soit la stratégie, l’objectif est commun : unifier la donnée pour simplifier la tâche des utilisateurs. À noter que l’obligation de la facturation électronique devrait avoir une externalité positive, celle d’uniformiser un peu plus les données.

Automatisation et GenAI au service des processus métiers

Nous voilà donc avec des données structurellement déjà intégrées, aisément accessibles avec le in memory… La clôture mensuelle ou trimestrielle, avec ses réconciliations et ses jointures, ô combien traumatisante pour beaucoup, pourrait bientôt ne plus être qu’un mauvais souvenir. « Avec les données en temps réel, ces épisodes que vous aviez une fois par mois ou par trimestre vont être remplacés par une comptabilité analytique, dynamique et continue, explique le directeur de l’innovation chez Sage France. L’ERP, c’est souvent le back office, un élément qu’on ne voit pas forcément. Notre rôle, c’est de le rendre le plus invisible possible. Aujourd’hui, tout ce qu’on y met en termes de nouveautés a un seul objectif : rendre nos clients plus efficaces pour qu’ils se concentrent sur leur fonction. »

Première étape, l’automatisation, ou comment rendre les process plus simples, à l’instar de tâches répétitives telles que la gestion des stocks ou le calcul des factures. Mais l’automatisation va aujourd’hui plus loin grâce à l’IA générative. En embarquant la GenAI, les ERP, comme celui d’Oracle, sont en mesure de « rédiger automatiquement des fiches produits, l’opérateur n’a plus qu’à vérifier et compléter le cas échéant », nous explique Stéphanie Achard. Les prompts peuvent également servir à l’analytics sur la partie reporting mais aussi à la rédaction du narratif. « Cela permet aux personnes chargées de présenter ces documents de se concentrer sur l’essentiel et sur le pitch », souligne la vice-présidente Apps d’Oracle France.

Prévoir, c’est déjà agir

Deuxième étape, la détection – des anomalies, notamment – l’ERP devenant un soutien en alertant quand il manque un document, dans le cas d’une double saisie… et désormais en prévoyant ces cas de figure. La prédictibilité est le nouveau dada du secteur. Prévoir des ruptures de stock ou des tendances de consommation sur la base de données historiques, générant ainsi des recommandations en matière d’approvisionnement ou d’ajustement de la production, générer des prévisions sur les besoins de main-d’œuvre, automatiser les prévisions budgétaires… ce sont là quelques-un des usages de l’IA en matière de capacités prédictives des ERP. « Sage Copilot va permettre à l’utilisateur, en cliquant sur un bouton, de lister les tâches qu’il doit faire à partir des données qui sont dans l’ERP », note Nicolas Mellin. Et en attendant les chatbots et autres assistants virtuels dopés à la GenAI, « on est très avancé dans le domaine de la création d’applications avec l’intelligence artificielle : je m’attends à voir des propositions qui prémâchent le travail des développeurs, soutient Gilles Santene. On utilise aussi l’IA dans les projets de conversion ERP pour des développements de spécifiques qui n’ont pas été documentés, qui sont anciens. L’intelligence artificielle va servir pour recréer de la documentation. » De l’avis de toutes les personnes interrogées pour ce dossier, si les DAF ont longtemps été réticents à l’intégration de l’IA dans les produits de type ERP, ils la plébiscitent désormais et l’adoptent. « Nous n’en sommes plus au stade où les DAF se demandent s’ils doivent mettre de l’IA et de l’automatisation dans leur système, assure le directeur de l’innovation chez Sage France, mais comment la rentabiliser ».

L’évolution des ERP au fil des ans, du modèle on premise au cloud et de l’automatisation à l’intelligence générative, marque un changement profond dans la manière dont les  entreprises gèrent leurs opérations. L’IA, comme le cloud il y a quelques années, semble donner une nouvelle impulsion aux ERP. « Le passage d’un ERP à un autre est relativement rare, même le fait de passer de ECC à S4. Ce sont des investissements que les clients font sur des décennies. Mais je pense aussi que ces ruptures et les projets qui en découlent créent des momentums où les entreprises vont se demander si leurs processus sont correctement conçus et toujours pertinents, et les adapter à l’entreprise d’aujourd’hui, pas à celle d’il y a 20 ou 30 ans. Il faut profiter de ces moments de rupture pour se poser les bonnes questions et concevoir des systèmes, pas seulement pour aujourd’hui mais aussi pour les décennies à venir », conclut Gilles Santene.

 

Guillaume Périssat