Accueil Communications La téléphonie traditionnelle, c’est bientôt fini ! À quoi s’attendre ?

La téléphonie traditionnelle, c’est bientôt fini ! À quoi s’attendre ?

© Axione

Annoncée en 2017, la fin du réseau cuivre approche à grands pas. Les alternatives, fibre en tête, ont fait leurs preuves et sont largement déployées sur le territoire national mais  mieux vaut ne pas attendre le dernier moment – et l’interruption de service – pour préparer sa migration.

« Le mot-clé,
c’est “anticiper”. »
Emmanuel Mayer,
Orange Business

Le cuivre, c’est fini ! À horizon 2030, Orange entend avoir mis à l’arrêt l’ensemble du réseau historique. Si cette échéance peut paraître lointaine, les premiers commutateurs locaux seront fermés d’ici quelques semaines. Cette fin se fait progressivement, échelonnée par lots. Ainsi, ce sont 162 communes qui sont concernées depuis le 31 janvier dernier, puis 829 un an plus tard et enfin 2 145 le 31 janvier 2027. Un calendrier précis annoncé en 2018 par l’opérateur historique, en coordination avec le régulateur des télécoms et les collectivités territoriales. Pour Emmanuel Mayer, directeur des transformations marketing chez Orange Business, « les enjeux de cette fermeture sont de quatre natures : d’abord un enjeu de société lié à la transformation des usages. Ensuite, un enjeu environnemental avec un besoin d’efficacité sur l’empreinte carbone. Il y a également l’enjeu technologique de la fibre. Enfin, la quatrième raison est d’ordre économique : on maintient à l’heure actuelle deux réseaux parallèles sur un même territoire ».

 

Dix ans pour quitter le cuivre

« Passer à la fibre
revient à penser son
organisation pour
son futur. »
Nicolas Aubé, Céleste

En effet, maintenir un réseau cuivre vieillissant représente un coût pour les opérateurs. Chaque année, Orange et ses homologues doivent investir dans la maintenance de cette infrastructure, une tâche de plus en plus complexe et coûteuse au fur et à mesure du vieillissement du matériel. Le cuivre, en particulier dans les zones les moins densément peuplées, nécessite d’importants travaux de réparation et de mise à niveau, ce qui a un impact direct sur la rentabilité du réseau. « Il nous a fallu 40 ans pour construire le réseau cuivre », rappelle Emmanuel Mayer. Conçu à l’origine pour supporter des lignes téléphoniques analogiques, il a été déployé en France au cours du XXe siècle et est encore utilisé aujourd’hui pour la téléphonie fixe, pour les connexions ADSL et pour un certain nombre d’équipements spécifiques : systèmes d’alarme, lignes d’ascenseurs, machines à affranchir, sites techniques municipaux et autres systèmes industriels. « Ça se compte en centaines de milliers de lignes », souligne le directeur des transformations marketing chez Orange Business. « On pense qu’il y a 10 millions de lignes encore actives dans les entreprises et les collectivités », calcule pour sa part Nicolas Aubé, président et fondateur de Céleste.

Le cuivre a montré ses limites face aux exigences croissantes en bande passante, en vitesse de connexion et en faible latence. À tel point qu’il est désormais obsolète pour bon nombre d’usages, ses capacités s’avérant insuffisantes pour soutenir les besoins des entreprises en pleine transformation numérique. En parallèle, la fibre optique a émergé comme une technologie de remplacement. Plus rapide, proposant des débits bien plus élevés, elle s’est largement imposée sur le territoire français, bien aidée par le plan France THD (très haut débit) lancé par le gouvernement en 2013. Et les entreprises ont largement migré vers la fibre : InfraNum, fédération des acteurs des infrastructures numériques, indiquait dans une étude en 2023 que « depuis 2019, la progression des raccordements fibre des entreprises est spectaculaire, passant de 23 à 55 % en trois ans ». On estimait en fin d’année dernière qu’environ 63 % d’entre elles ont fait le choix d’une solution fibre. Plus largement, selon les chiffres de l’Arcep, la couverture en fibre optique atteint 89 % des locaux, soit 39,3 millions raccordables. Chez Orange, on considère que 95 % des entreprises sont éligibles à la fibre, un taux quasiment proche du 100 % sur les communes des trois lots concernés par l’arrêt du cuivre.

Les entreprises, angle mort de la migration

« 40 % des entreprises
n’ont pas migré. »
Denis Teissier, Covage

« Ce qui implique que 40 % des entreprises n’ont pas migré, dont une partie qui ne veulent pas passer à la fibre », précise Denis Teissier, directeur marketing chez Covage, filiale du groupe Altitude. Car, pour certains, le cuivre répond à leurs usages. D’autres sont « effrayés par l’impact de la migration sur leur activité, ils craignent notamment les coûts indirects », ajoute-t-il. Il faut également compter sur un défaut d’information des publics concernés, en premier lieu les entreprises. Un avis partagé par la majeure partie des personnes que nous avons interrogées. « Si on prend un peu de recul, la communication autour de ce projet a été principalement centrée sur le client final grand public, nous explique Adrien Plaza Oñate, chef de marché opérateurs nationaux chez Axione. La clientèle entreprise est potentiellement la moins bien traitée de tout le panel des clients des opérateurs de détails. Mais ce sont ces clients-là – TPE, PME, libéraux et artisans – qui sont les plus concernés, qui ont besoin de débit et d’accompagnement. » Ainsi, l’incitation à la migration est loin d’être optimale, d’où une posture au mieux attentiste, avec une migration « au dernier moment ».

Or, comme le rappelle Emmanuel Mayer, « le mot-clé, c’est “anticiper” », parce que les délais de production ne sont pas instantanés. D’autant que le plan France Très Haut Débit pourrait être victime de coupes budgétaires importantes dont s’alarmaient InfraNum et la FFTelecom en février 2024. Il ne s’agit pas de jouer les marchands de peur mais force est de reconnaître qu’il est nécessaire de ne pas attendre ce « dernier moment » pour se pencher sur la migration du cuivre à la fibre ou sur d’autres technologies. Car l’extinction du cuivre a des répercussions directes tant du point de vue technique qu’économique. « Tout ce qui est cuivre s’arrête, que ce soit VDSL ou ADSL », insiste le directeur des transformations marketing chez Orange Business, y compris, petite subtilité, les installations où l’architecture RTC a été reproduite sur fibre. Les entreprises conservant des lignes cuivre au-delà de la date butoir se trouveront donc confrontées à des interruptions de service, avec les conséquences que l’on imagine sur leurs activités.

Nouveaux usages, nouveau réseau

Prendre les devants, mais comment ? On ne pourra que conseiller aux porteurs de ces sujets – qu’il s’agisse d’un DSI, d’un responsable infra, du chef d’entreprise ou de l’informaticien de la boîte – de vérifier l’état de leur parc et de faire l’inventaire de leurs équipements connectés à la boucle locale cuivre. Se rapprocher d’un opérateur télécom peut s’avérer utile afin de vérifier la couverture disponible dans leur zone géographique et commencer à étudier les offres adaptées à leurs besoins. Surtout, « il est indispensable de répertorier les usages et de voir s’ils ont évolué, s’ils sont toujours utiles aujourd’hui, note Nicolas Aubé. Passer à la fibre revient à penser son organisation pour son futur et s’inscrit dans un projet plus large de transformation ». Valérie Legrand, directrice channel d’Alcatel-Lucent Enterprise, nous explique que « la fin du cuivre marque une rupture technologique, on le voit dans la modification du mode de consommation de nos clients, qui demandent du as a service : depuis la pandémie de Covid-19, les entreprises s’intéressent plus aux modes opex, un intérêt qui s’amplifie avec l’arrêt du cuivre ». De cet audit des usages (passage au cloud, solutions de communication unifiées, etc.), l’entreprise sera en mesure de connaître ses besoins en bande passante et de déterminer les solutions adaptées, fibre ou 4G/5G, mais aussi pour ses réseaux locaux, ses équipements, sa téléphonie… « C’est à l’aune de la migration de l’IT qu’il faut penser la fin du cuivre. C’est un vrai défi pour les entreprises mais c’est aussi l’occasion de remettre à plat son informatique, de repenser son organisation », appuie Denis Teissier.

Évidemment, cette migration a un coût. Chez Céleste, on estime que « le passage au tout fibre coûtera 15 milliards d’euros ». La majeure partie de ces investissements est assumée par les opérateurs mais les entreprises risquent de se trouver confrontées à des coûts indirects, notamment dans le cas de l’adaptation ou du remplacement des anciens équipements, voire de la desserte interne. Comptez également d’éventuels travaux d’infrastructure, pour faire passer les câbles fibre jusqu’aux locaux de l’entreprise par exemple. À noter que les utilisateurs de lignes fixes analogiques devront migrer vers des solutions de téléphonie sur IP. Cette transition peut être l’occasion de réévaluer les besoins en termes de communications unifiées. Toutefois, « la partie téléphonie n’est plus trop un sujet », selon Denis Teissier. Le directeur marketing de Covage est plus préoccupé par les équipements sur les lignes analogiques ou XDSL. « Ce sont des systèmes anciens, souvent au cœur du fonctionnement de l’entreprise. Les changer peut avoir des conséquences majeures. » Et cela a un coût, quand bien même ces vieux matériels freinent la transformation de l’entreprise. Autre solution, recourir à des convertisseurs qui transforment les signaux analogiques. Enfin, Adrien Plaza Oñate rappelle qu’il « n’y a pas d’obligation de migrer vers la fibre : il est toujours possible, si nécessaire, de basculer sur d’autres technologies (4G/5G, satellite, etc.) ».

Rapport coûts/avantages

Emmanuel Mayer relativise néanmoins cette problématique de coûts, appelant les utilisateurs à ne pas y voir un surcoût. « Un site qui a une quinzaine de lignes cuivre, ce sont 15 lignes indépendantes. Avec la fibre, nous les regroupons, on peut avoir autant de canaux que l’on souhaite. » Une rationalisation également perçue par le président de Céleste comme un chantier nécessaire pour les entreprises. « Oui, ça coûte de l’argent, reconnaît Nicolas Aubé. Mais une infrastructure représente un risque : il faut un minimum d’investissement dans des solutions modernes, notamment pour des questions de robustesse. Il faut établir un budget prévisionnel et préparer la transition. C’est un chantier, je pense que toutes les entreprises peuvent le faire mais encore faut-il qu’elles soient informées. » Un travail d’accompagnement qui échoit aux opérateurs.

« Les entreprises intéressées par la fibre sont celles qui ont déjà commencé leur transformation. Reste un bon nombre d’entreprises qui n’ont pas entamé leur migration et qui n’ont pas identifié de besoin de changer, qui ne voient pas l’intérêt de l’augmentation des débits », note Denis Teissier. Et ils sont plusieurs à nous signaler encore voir dans les appels d’offres des collectivités des demandes de lignes cuivre. « Notre approche consiste à montrer aux entreprises que la fibre permet de nombreux nouveaux usages et opportunités, en espérant les inciter à migrer », abonde Emmanuel Mayer. Tout va donc dépendre du degré de maturité numérique de l’entreprise. Mais, quoi qu’il en soit, elle n’aura pas le choix de rester sur le cuivre. Mieux vaut donc prendre le taureau par les cornes et préparer la migration sans attendre qu’Orange ne coupe la ligne.

 

Guillaume Périssat