Accueil Juridique La MAIF condamnée à verser plus de 4,6 millions d'euros à IBM

La MAIF condamnée à verser plus de 4,6 millions d'euros à IBM

Le jugement du 14 décembre 2009 du Tribunal de Grande Instance de Niort qui, de manière audacieuse, avait conclu à la réticence dolosive d'IBM France au détriment de la MAIF dans le cadre d'un contrat d'intégration, a été infirmé en toutes ses dispositions en appel par un arrêt de la première chambre civile de la Cour d'appel de Poitiers du 25 novembre 2011.

Le dol : une possibilité d'obtenir la nullité du contrat en cas de dérapage des coûts et des délais du projet ?

Pour mémoire, IBM France avait été retenue par la MAIF pour intégrer un progiciel de gestion de la relation sociétaire (GRS) – après une première tentative, avec l'éditeur, qui avait échoué. La société de services s'était engagée à fournir une solution intégrée conforme au périmètre fonctionnel et technique convenu avec son client, sur la base d'une obligation de résultat pour ses obligations de conseil, de mise en garde, de fourniture de livrables, en respectant un calendrier impératif pour un prix ferme et forfaitaire de 7,3 millions d'euros.

Des retards étant enregistrés, la MAIF avait accepté une revue à la hausse significative des conditions financières du projet, dans un premier protocole d'accord et un avenant au contrat initial, puis, quelques mois après, dans un deuxième protocole d'accord.

L'accumulation d'un certain nombre de difficultés a conduit la MAIF à mettre fin au projet GRS et à assigner IBM, notamment en nullité du contrat pour dol.

Par jugement du 14 décembre 2009, le Tribunal de Grande Instance de Niort avait fait droit à la demande la MAIF, considérant qu'IBM avait manqué à son obligation de conseil et avait volontairement masqué la réalité du projet en laissant croire à la MAIF qu'elle maîtrisait ce dernier, tout en sous-estimant le calendrier et en sous-évaluant le budget. Au surplus, le Tribunal avait condamné IBM, avec exécution provisoire, à restituer les sommes versées (1,6 millions d'euros) et au remboursement du préjudice d'exploitation subi par la MAIF (9,5 millions d'euros). IBM avait alors interjeté appel.

En retenant le fondement juridique du dol, ce jugement constituait une « première » en matière de jurisprudence applicable aux contrats d'intégration.

Pour la Cour d'appel, le client qui possède une direction informatique étoffée et qui a accepté contractuellement les modifications du projet initial, ne peut se prévaloir d'un dol

La Cour d'appel de Poitiers a considéré que la MAIF disposait d'une division informatique très étoffée et impliquée dans le projet (notamment pour avoir revu avec IBM les plans projet et demandé une redéfinition du périmètre) et ne pouvait par conséquent être considérée comme un profane de l'informatique – mais bel et bien apte à comprendre et mesurer les risques du projet.

Consciente, en outre, du risque élevé de retard du projet à la date de conclusion du contrat (notamment eu égard à l'échec du projet avec le précédent prestataire), la MAIF avait accepté de redéfinir le projet dans le cadre d'avenants successifs au contrat, couvrant ainsi le vice initial du projet et renonçant en conséquence à la possibilité de contester l'efficacité du contrat. La MAIF avait ainsi consenti de manière pleinement éclairée au « dérapage » du projet.

C'est donc en parfaite connaissance des enjeux techniques du projet et de leur possible évolution que la MAIF avait accepté des modifications successives du projet, aux termes d'accords qui se sont substitués au contrat d'intégration.

La Cour en conclut qu'aucun dol par réticence n'est venu vicier le contrat, dans la mesure où « il n'est pas établi qu'IBM a dissimulé de surcroît volontairement à la MAIF des informations majeures relatives au calendrier, au périmètre et au budget ».

La Cour ne retient pas plus une inexécution des obligations de conseil ou de résultat d'IBM

La Cour d'appel de Poitiers estime en outre que la MAIF ne peut reprocher à IBM de ne pas avoir respecté le calendrier prévu au contrat. C'est effet en pleine connaissance du dépassement de ce calendrier (réitéré à chaque CoPil), qu'elle a accepté, aux termes de deux protocoles successifs, de revoir les engagements initiaux dont elle ne pouvait plus en conséquence se prévaloir.

La Cour écarte également les demandes de la MAIF concernant un manquement d'IBM à son obligation de conseil et d'alerte. Il a été notamment reproché à la MAIF le fait qu'elle n'ait pas contesté formellement les réserves d'IBM mais également l'absence de mise en œuvre, dès le début du projet, d'une cellule assurant le suivi de cohérence des systèmes. La MAIF aurait ainsi contribué aux manquements qu'elle impute à IBM. A cet égard, en décidant de rompre unilatéralement le contrat, la MAIF a empêché IBM de mettre en œuvre tous les moyens pour assurer la mise en œuvre du projet.

Ainsi, en acceptant en connaissance de cause la révision du périmètre et des engagements contractuels dans le cadre de nouveaux accords, la MAIF a « avalisé le risque fort […] pris par IBM dans son rôle d'intégrateur au forfait ».

En outre, tous les éléments mentionnés ci-dessus constituent pour la Cour, un fait justificatif à l'absence de résultat auquel IBM s'était engagée, pleinement opposable à la MAIF.

Dès lors, la Cour juge qu'à défaut d'avoir démontré « compte tenu du contexte dans lequel les relations ont évolué, l'existence de fautes d'une exceptionnelle gravité », la MAIF doit être déboutée de toutes ses demandes.

Pour la Cour d'Appel de Poitiers, la résiliation du contrat pour l'avenir ne vaut pas renonciation à agir ultérieurement en nullité de ce même contrat

Contrairement à IBM qui soutenait que la MAIF ne serait pas fondée à demander la nullité pour dol du contrat d'intégration dès lors que la MAIF avait précédemment résilié ce contrat, la Cour décide qu'une résiliation pour l'avenir d'un contrat d'intégration ne signifie pas que la MAIF ait entendu renoncer à agir en nullité en vue de faire disparaître rétroactivement ce contrat.

Il n'en aurait été différemment que si la MAIF avait manifesté « sans équivoque » une telle renonciation.

Il est à noter qu'il résulte de la jurisprudence récente de la Cour de Cassation que l'action en résolution, pour défaut d'exécution d'un contrat, n'est pas recevable s'il a été préalablement mis fin à celui-ci (Cass. Civ. 3, 19 mai 2010, N° de pourvoi 09-13296).

La Cour d'Appel de Poitiers semble donc appliquer un régime différent à l'action en nullité pour dol alors que les deux actions tendent aux mêmes fins (annulation rétroactive du contrat avec restitution des sommes perçues).

En dépit de la solution de cet arrêt, il est prudent de veiller à ne pas résilier un contrat avant d'avoir formé toutes demandes en nullité ou résolution de celui-ci pour inexécution ou vice du consentement.

La MAIF a été condamnée à verser 4 664 400 € pour factures non réglées (à BNP Paribas Factor) et à restituer les sommes versées par IBM en exécution du jugement du TGI de Niort (soit 11 543 923 €), avec intérêts au taux légal, outre un paiement au titre des frais des conseils techniques privés.

la MAIF n'a pour l'instant pas précisé si elle avait l'intention de se pourvoir en cassation.