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« La conjoncture met les jeunes talents IT à l’épreuve » : Soïg Le Bruchec, président fondateur de Néosoft

Alors que Numeum alerte sur un ralentissement brutal du marché du numérique, Soïg Le Bruchec, président fondateur de Néosoft, analyse les causes de cette crise et les leviers possibles pour y répondre. Entre pression sur les prix, concentration des panels fournisseurs, montée des intercontrats et insertion difficile des jeunes diplômés, il plaide pour une transformation du modèle des ESN et met en avant les choix stratégiques de son entreprise.

SNC : Numeum parle d’un ralentissement brutal. Comment cela se traduit-il concrètement ?

Soïg Le Bruchec : Depuis 20 ans que j’ai créé Néosoft, je n’ai jamais vu un prévisionnel de décroissance aussi important. Beaucoup de clients sont attentistes en termes d’investissements, compte tenu du contexte économique et politique, particulièrement en France. On observe une massification des panels de fournisseurs : les clients cherchent à réduire leurs coûts en concentrant leurs prestataires, en échange de conditions tarifaires plus avantageuses. Cela entraîne une décroissance des dépenses informatiques. On voit aussi une tendance à l’offshore, qui retire des parts d’activité aux sociétés françaises. Tous les secteurs ne sont pas touchés de la même manière : la finance est fortement impactée, les marchés publics restent stables, et l’aéronautique/défense est en croissance.

Vous évoquez une pression sur les prix et une montée des intercontrats. Qu’en est-il ?

S. L. B. : Les constats sont simples : on n’a jamais vu autant de chômeurs chez les jeunes diplômés au mois de septembre. C’est un vrai signal d’alerte. Certains freelances reviennent en CDI, faute de marché. Cela corrige aussi les excès des années 2021-2023, où l’on a vu une inflation salariale énorme. Aujourd’hui, les entreprises privilégient les profils expérimentés, au détriment des juniors. Et certaines tâches traditionnellement confiées aux débutants sont désormais réalisées par l’IA.

Comment analysez-vous cette insertion difficile des jeunes diplômés ?

S. L. B. : Le taux d’occupation des ESN est bien plus bas qu’en 2021-2023. Beaucoup de profils expérimentés sont disponibles, et naturellement, entreprises comme clients privilégient ces profils pour sécuriser leurs projets. Les juniors se retrouvent donc en difficulté. Les tâches à faible valeur ajoutée étant de plus en plus automatisées, il faut que les jeunes diplômés développent une créativité et une compréhension fonctionnelle des métiers pour ne pas être remplacés par l’IA.

Néosoft a choisi de se recentrer sur les missions à forte valeur ajoutée. Lesquelles ?

S. L. B. : Nous nous spécialisons de plus en plus sur la data, le cloud et la cybersécurité et l’IA. Nous investissons dans le recrutement, la formation et l’innovation sur ces segments, qui restent porteurs. Notre ambition est d’être une société reconnue pour son expertise, avec des spécialistes et non des profils trop généralistes. Nous voulons proposer une offre verticale complète : conseil, conception, architecture, déploiement, exploitation. C’est ainsi que nous créons de la valeur.

Vous parlez d’un passage du modèle régie au modèle forfait/centre de services. Comment cela se met-il en place ?

S. L. B. : On ne gère pas un projet en engagement comme on gère une mission en assistance technique. Nous avons donc mis en place une organisation adaptée : bid management, avant-vente spécialisée, process de validation des compétences, onboarding, engagement managers, delivery managers et chefs de projets internes. Aujourd’hui, 45 % de notre activité est réalisée en mode engagement, et nous visons plus de 60 % avec notre plan stratégique CAP 2028. Cela permet d’établir une vraie relation de partenariat et de partager les risques avec nos clients et de nous différencier des freelances ou acteurs restés uniquement en assistance technique.

Quelle est la place des practices techniques rattachées directement au COMEX ?

S. L. B. : Nous avons nommé un CTO au COMEX. Cela donne plus de poids à la technique et à l’innovation dans les orientations stratégiques. Cela nous permet aussi de parler d’égal à égal avec les DSI et directions métiers des clients, avec des experts capables d’apporter des réponses pointues. C’est une vraie évolution : la technique n’est pas un support, c’est un pilier de la stratégie.

Vous évoquez des partenariats stratégiques entre ESN. Est-ce un levier efficace face à la concentration du marché ?

S. L. B. : Oui, c’est devenu une quasi-obligation sur certains projets. Aucun acteur n’a toujours la couverture géographique ou technique suffisante. Certains clients veulent aussi réduire leur dépendance. Nous travaillons donc avec des concurrents sur certains dossiers, ce qui est vertueux : cela permet de mieux répondre aux besoins, et chacun apprend de l’écosystème.

Quels leviers vous paraissent les plus urgents pour préserver l’emploi ?

S. L. B. : La formation continue est une priorité, elle permet aux collaborateurs de rester à la pointe des technologies et de s’adapter à l’évolution rapide du marché. Le véritable défi consiste à proposer des parcours personnalisés et à mettre à disposition les bons outils. En ce qui concerne l’IA par exemple, nous avons conçu des formations pour chaque métier et développé NéoGen notre propre alternative IA, frugale, souveraine et open source.

Également, les collaborateurs et collaboratrices qui s’impliquent lors d’événements ou dans la rédaction de contenus renforcent leur visibilité et donc leur employabilité. Un engagement qui est d’ailleurs reconnu et récompensé au sein du groupe par notre dispositif Néo Rewards.

Enfin, il faut aussi assumer notre responsabilité sociale en tant qu’entreprise en privilégiant la préservation des équipes, même si cela implique parfois d’accepter une baisse ponctuelle des résultats.

Ce ralentissement est-il conjoncturel ou structurel ?

S. L. B. : Je pense qu’il est surtout conjoncturel : le manque de visibilité politique et les tensions géopolitiques ne dureront pas éternellement. La digitalisation est trop avancée pour que les budgets restent durablement à l’arrêt. Mais il y a aussi un élément structurel : l’IA va réduire certains besoins en consultants purement techniques. L’avenir est dans le couple « expertise technique + compréhension métier ».

Quel message adressez-vous aux décideurs et pouvoirs publics ?

S. L. B. : La stabilité est clé. Le manque de visibilité freine les investissements. Il faut aussi une politique volontariste pour attirer plus de femmes dans l’IT. Dans certains pays du Maghreb, 50 % des consultants sont des consultantes, alors qu’en France, les filières scientifiques restent peu valorisées. Enfin, il faudrait alléger la fiscalité et les contraintes sociales qui pèsent sur la compétitivité des ESN françaises, car elles limitent nos marges de manœuvre pour investir.