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Enquête Supply chain – La guerre est sanitaire et logistique

le groupe Rocher à La Gacilly
Production de gel hydroalcoolique par le groupe Rocher à La Gacilly

L’approvisionnement en matériel médical et de protection est une priorité pour nos soignants, en première ligne de la guerre contre le Covid-19. De nombreux professionnels de la production et de la logistique participent à l’effort de solidarité nationale pour fournir les équipements nécessaires.

« D’ici trois semaines, nous aurons multiplié par cinq la production de masques pour nos soignants en France et nous aurons produit 10 000 respirateurs supplémentaires de plus sur notre sol, » a déclaré le Président de la République Emmanuel Macron le 13 avril. Car si la pénurie a dicté la stratégie logistique française en matière de masques et équipements de protection contre le Covid-19 jusqu’à aujourd’hui, des initiatives technologiques, industrielles et logistiques se multiplient afin de réduire les difficultés d’approvisionnement. Mises ensemble, elles doivent rendre plus agiles les Supply Chain de bout en bout de ces équipements médicaux et de protection, de la production à la distribution.

En aval, la distribution de masques est pilotée par Santé Publique France, à travers ses Agences Régionales de Santé (ARS). La médecine de ville reçoit ainsi des approvisionnements désormais réguliers, via la livraison aux pharmacies de masques chirurgicaux, et parfois de masques FFP2. Dans l’ombre, les professionnels de la logistique exécutent. Geodis, filiale de la SNCF, a ainsi livré 21 000 colis de masques du 16 au 18 mars aux officines françaises. Le grossiste répartiteur OCP, premier avec 31 % du marché français et 46 établissements dans tout l’Hexagone, a distribué fin mars plusieurs centaines de milliers de masques et des blouses sur demande urgente de l’ARS Bourgogne-Franche-Comté.

L’ARS du Centre-Val de Loire a fait appel au groupe Legendre pour distribuer du gel hydroalcoolique. Ce logisticien prépare sur sa plateforme centrale, classée SEVESO seuil haut, les quantités allouées à chaque établissement ou professionnel de santé, et livre chaque semaine, sur rendez-vous, près de 130 points de consommation. Il garantit la traçabilité de l’ensemble de la chaîne de distribution grâce à des systèmes de tracking et IT.

plateforme centrale de Legendre
Colis de gel hydroalcoolique sur la plateforme centrale de Legendre
Une quête internationale

En amont, les importations de masques sont en cours, mais souffrent d’une compétition entre pays acheteurs. Geodis est chargé du transport d’un milliard de masques en provenance de Chine. 16 vols ont été planifiés à partir du 30 mars. Bolloré Logistics se mobilise pour faciliter l’acheminement de produits pharmaceutiques et de masques respiratoires en France et dans d’autres pays du monde. Il s’appuie sur Link, solution de tracking par géolocalisation afin d’assurer une visibilité optimale sur les opérations en temps réel, et de surveiller la température des conteneurs.

Bolloré Logistics s’appuie sur Link, solution de tracking par géolocalisation afin d’assurer une visibilité optimale sur les opérations en temps réel, et de surveiller la température des conteneurs.

Plateformes sourcing/achats

Côté achats, la plateforme en ligne StopCOVID19.fr, opérée par la société Mirakl avec le soutien du ministère de l’Economie et des Finances, permet aux établissements devant protéger leurs collaborateurs (santé, agroalimentaire, grande distribution, transports…) de passer et suivre des commandes en grande quantité auprès des producteurs et distributeurs de gel, masques et équipements de protection. Elle a pour but de fluidifier l’approvisionnement et présente de façon transparente les informations sur le prix et les produits.

La plateforme de sourcing cognitif Silex France a publié en ligne une étude sectorielle qui inclut notamment une liste, mise à jour régulièrement, de fournisseurs français de masques, protections du visage, solutions virucides, produits d’assistance respiratoire, tests de diagnostic et services de décontamination. La startup française identifie les fournisseurs grâce aux technologies d’intelligence artificielle.

La plateforme de sourcing cognitif Silex France, startup française, identifie les fournisseurs grâce aux technologies d’intelligence artificielle.

Objectif 10 000 respirateurs en 50 jours

Côté production, beaucoup d’entreprises participent à l’effort de solidarité, des grands groupes internationaux aux artisans. Air Liquide, fabricant de respirateurs via son entité Air Liquide Medical Systems, coordonne un groupe de travail réunissant le groupe PSA, Schneider Electric et Valeo, avec pour objectif de livrer 10 000 respirateurs en 50 jours. Cela implique de sécuriser les composants auprès de 100 fournisseurs, de réorganiser des ateliers pour augmenter la cadence de production, et de mobiliser 240 opérateurs supplémentaires d’Air Liquide à Antony et de PSA à Poissy, pour assembler les composants de ces respirateurs. Plus d’une centaine de respirateurs par semaine doivent être livrés jusqu’à mi-avril, puis plus de 1 000 par semaine.

Précieux masques

La quête des masques est prioritaire. Les volontaires de la Communauté du Masque s’élancent avec ardeur, à différents échelons et dans différentes régions pour développer la production nationale.

Michelin veut produire à terme, chaque semaine, dans ses ateliers ou en coordination avec des partenaires ou des sous-traitants, près de 400 000 masques chirurgicaux de catégorie 1. En Europe, dix sites, dont quatre en France, ont déjà été retenus. Le groupe clermontois coordonne également la sous-traitance de 10 000 visières. Et il fait partie, avec le CEA Grenoble qui a mis à disposition ses infrastructures et ses moyens de recherche et d’essais, de l’écosystème collaboratif coordonné par le collectif grenoblois de professionnels VOC-COV (Volonté d’Organiser, Contre le COVid-19). Ils ont conçu ensemble en moins de trois semaines OCOV, un masque réutilisable jusqu’à 100 fois, grâce à 5 filtres lavables. L’objectif de capacité de production en région Auvergne-Rhône-Alpes est d’un million de masques par semaine courant mai, avec une ambition de production dépassant cinq millions d’ici fin juin.

OCOV, un masque réutilisable jusqu’à 100 fois, grâce à 5 filtres lavables

 

 

Autre initiative, le projet Résilience est un groupement national rassemblant PME du textile, entreprises d’insertion et adaptées afin de fabriquer des millions de masques lavables. Ils seront vendus aux services publics (gendarmerie, administration pénitentiaire, travailleurs sociaux…), aux entreprises des secteurs prioritaires (agro-alimentaire, énergie, eau, déchets…). Ils seront également distribués à des associations d’aide aux plus démunis (Emmaüs, Armée du Salut, SAMU social…).

Par ailleurs, le Groupement CSF a été constitué, sous la direction du Comité Stratégique de la Filière (CSF) Mode et Luxe, pour valider un ou des modèles de masques à destination des industries et services essentiels à la continuité de la vie économique, centraliser les demandes de masques et surblouses et coordonner les ateliers, les fournisseurs matières et fournitures pour fabriquer masques et surblouses dans les plus grands volumes possible.

Le groupe Rocher, qui a arrêté son outil de production du fait de la fermeture des boutiques de ses dix marques dont Yves Rocher et Petit Bateau, a réorienté son outil vers la production de masques et gel hydroalcoolique. L’usine Petit Bateau à Troyes dans l’Aube a au 8 avril déjà fabriqué 50 000 masques, à un rythme quotidien de 5 000 masques et va poursuivre sa production. Le tissu est livré par la PME locale l’Atelier d’Ariane. L’usine livre l’ARS Grand Est qui les diffuse dans les hôpitaux publics. Le groupe a aussi répondu à une demande de gel hydroalcoolique de la part des autorités bretonnes avec l’une de ses usines cosmétiques de La Gacilly, berceau du Groupe, dans le Morbihan. Le démarrage de la production le 24 mars n’a nécessité que dix jours de préparation, grâce à la « task force » qui a réuni le laboratoire R&D pour la formule, les juristes pour le respect de la règlementation, et les achats pour les matières. L’usine produisait déjà ses propres flacons en PET recyclé. « Elle a produit jusqu’à la semaine du 6 avril ce qui était demandé pour tenir jusqu’à la mi-mai, soit 180 000 flacons de 190 ml de gel hydroalcoolique « solidaire », c’est-à-dire gratuit », indique Yann de Feraudy, directeur général adjoint du groupe Rocher, en charge des opérations et de l’IT. Le groupe se charge de l’expédition à l’Agence Régionale de Santé (ARS) qui les répartit dans les groupements hospitaliers territoriaux ; l’armée vient aussi prendre des flacons pour le compte de la préfecture du Morbihan qui centralise l’approvisionnement pour les 4 préfectures de Bretagne, afin de les distribuer à la médecine de ville.


Réseaux citoyens locaux
Ambre Couvidat, couturière, fabrique des masques et blouses pour les soignants. @ Ambre Couvidat 

A l’échelon local, les artisans et les particuliers s’organisent aussi au sein de réseaux citoyens. Ambre Couvidat, couturière professionnelle à Villejust dans l’Essonne, a appelé l’hôpital d’Orsay qui l’a orientée vers un réseau de coordinatrices. Depuis début avril, elle reçoit ainsi des tissus via ce réseau et fabrique des masques, calots et blouses. Des couturières amatrices du réseau font de même.

« Les produits sont distribués gratuitement aux hôpitaux, crèches et centre médico-sociaux d’une partie de l’Essonne,
explique-t-elle. La solidarité s’organise : un magasin Auchan nous a donné des matières premières en échange de masques. »

 

 

Un Ehpad des Deux-Sèvres : dispositif de téléconsultation en cours, tablettes et portables

Un Ehpad des Deux-Sèvres d’une capacité de 120 places – département peu touché par la pandémie avec 10 décès à l’hôpital au 14 avril – indique qu’en mars ses fournisseurs habituels de masques étaient en rupture de stock tandis que l’Agence Régionale de Santé (ARS) centralisait les approvisionnements. Il a puisé dans ses stocks avant de recevoir de l’ARS, à partir de fin mars, les précieux masques. S’il n’a pas eu de cas, à la demande de l’ARS, une zone dédiée aux personnes âgées malades du COVID dans un état non grave a été mise en place.

Le personnel de l’Ehpad prend sa température avant d’aller travailler. Les médecins visitent moins, mais toujours les personnes âgées. Un dispositif de téléconsultation compatible avec le système d’information de l’Ehpad est en cours de mise en place, pour les disciplines le permettant, comme la dermatologie. Le souci majeur est le risque de décompensation – dégradation de l’état – des personnes âgées privées de visites. Aussi les appels en visio avec les proches se développent avec les tablettes et portables de l’Ehpad, qui devrait prochainement en recevoir d’autres de l’ARS. Les espaces collectifs restent ouverts, avec des salons comportant moins de fauteuils, des zones de restauration multipliées, en veillant à la distanciation et aux mesures barrières. Des visites de personnes en fin de vie ou de personnes qui décompensent fortement sont autorisées, mais à l’extérieur du bâtiment.

 

 

 

 

Auteur : Christine Calais