En visant plusieurs figures européennes engagées dans la régulation du numérique, Washington transforme un débat juridique en rapport de force politique. Paris et Bruxelles dénoncent une tentative d’intimidation qui dépasse les cas individuels et interroge directement l’autonomie réglementaire européenne.
Une décision américaine inédite
Le département d’État américain a pris la décision d’interdire l’entrée aux États-Unis à ces cinq personnalités européennes impliquées dans la régulation du numérique.
Sont concernés Thierry Breton, ancien commissaire européen au Marché intérieur, Imran Ahmed, directeur du Centre for Countering Digital Hate, Josephine Ballon et Anna-Lena von Hodenberg, codirectrices de l’ONG allemande HateAid, ainsi que Clare Melford, dirigeante du Global Disinformation Index, lit-on chez AP News.
Ces restrictions s’inscrivent dans la logique avancée par Washington selon laquelle ces responsables auraient exercé des pressions sur des plateformes américaines pour modérer certains contenus. Une démarche assimilée à une forme de censure de points de vue américains par l’administration américaine, mais vivement contestée par les gouvernements européens.
Une réponse politique
Le message d’Emmanuel Macron est bref, mais clair. Dans un tweet publié mercredi, Emmanuel Macron dénonce les restrictions de visa décidées par les États-Unis à l’encontre de Thierry Breton et de quatre autres personnalités européennes. Le chef de l’État parle explicitement « d’intimidation et de coercition » visant la souveraineté numérique européenne, et rappelle que les règles numériques de l’Union ne sont ni arbitraires ni extraterritoriales, mais issues d’un processus démocratique.
La France dénonce les décisions de restriction de visa prises par les États-Unis à l’encontre de Thierry Breton et de quatre autres personnalités européennes.
Ces mesures relèvent de l’intimidation et de la coercition à l’encontre de la souveraineté numérique européenne.…
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) December 24, 2025
Cette prise de position marque un changement de registre. Jusqu’ici, les tensions transatlantiques autour du numérique se jouaient surtout dans l’arène des négociations commerciales, des enquêtes antitrust ou des débats sur la protection des données. La sanction personnelle, via l’interdiction de séjour, ouvre un nouveau chapitre, beaucoup plus politique.
La régulation européenne, cible assumée
Derrière les noms, c’est bien le cadre réglementaire européen qui est visé. En particulier le Digital Services Act, adopté à une très large majorité par le Parlement européen et le Conseil. Thierry Breton l’a rappelé sans détour sur X : « 90 % du Parlement européen, démocratiquement élu, et les 27 États membres à l’unanimité ont voté le DSA. »
Un vent de maccarthysme souffle-t-il à nouveau ? 🧹
Pour rappel : 90 % du Parlement européen — démocratiquement élu — et les 27 États membres à l’unanimité ont voté le DSA 🇪🇺
À nos amis américains : « La censure n’est pas là où vous le pensez. »
— Thierry Breton (@ThierryBreton) December 23, 2025
Côté américain, le discours est inverse. Le secrétaire d’État Marco Rubio évoque une forme de censure exercée par des « idéologues européens » contre des plateformes américaines. Une accusation frontalement rejetée par Paris et Bruxelles, qui rappellent que le DSA vise à faire respecter en ligne des règles déjà applicables hors ligne : lutte contre les contenus illicites, transparence algorithmique, responsabilité des plateformes dominantes.
Pour Commission européenne, le sujet n’est pas idéologique mais juridique. Elle a demandé des clarifications à Washington et prévient qu’une réponse « rapide et décisive » n’est pas exclue si ces mesures sont jugées injustifiées.
Un signal fort pour les décideurs numériques
Au-delà de la polémique diplomatique, l’épisode envoie un message clair aux acteurs du numérique européens, et en particulier aux DSI et responsables IT. La régulation n’est plus seulement un cadre de conformité : elle devient un marqueur stratégique de souveraineté, susceptible de déclencher des réactions géopolitiques.
Lorsque Emmanuel Macron affirme que « les règles qui s’appliquent à l’espace numérique de l’Union européenne n’ont pas vocation à être déterminées hors d’Europe », il trace une ligne rouge. Pour les entreprises, cela signifie que les choix d’architecture, de fournisseurs cloud ou de plateformes ne peuvent plus être pensés uniquement sous l’angle technico-économique. Ils s’inscrivent désormais dans un contexte de rapports de force réglementaires assumés.
La question n’est donc plus de savoir si l’Europe régule trop ou pas assez, mais si elle est prête à tenir cette régulation face aux pressions extérieures. À en juger par la fermeté affichée à Paris comme à Bruxelles, la souveraineté numérique européenne n’est plus un concept, c’est un combat politique.
Je viens de m’entretenir avec @ThierryBreton. Je l’ai remercié pour le travail considérable accompli au service de l’Europe. Nous ne céderons rien et nous protègerons l’indépendance de l’Europe et la liberté des Européens.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) December 24, 2025








