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Données publicitaires : comment les smartphones exposent des agents du renseignement et des sites stratégiques français

Une enquête du Monde met en lumière une vulnérabilité majeure : des données publicitaires collectées par les smartphones permettent de géolocaliser avec précision des militaires, des policiers d’élite et des agents du renseignement français. Une exposition silencieuse, légale et largement sous-estimée. 

Des identités sensibles reconstituées à partir de données commerciales

L’identité des espions, militaires ou policiers d’élite figure parmi les secrets les mieux protégés de l’État. Pourtant, l’enquête publiée par Le Monde montre qu’il est possible d’identifier et de localiser certains d’entre eux à partir de simples données publicitaires issues de leurs téléphones mobiles.

Les journalistes ont pu déterminer, avec certitude ou un haut niveau de probabilité, le domicile, les habitudes quotidiennes et les lieux de travail de plusieurs dizaines de personnes rattachées à des entités sensibles. Ces informations, dont la divulgation est pénalement répréhensible, ont pourtant été obtenues par des moyens légaux, via l’achat de bases de données commerciales.

Une industrie publicitaire qui capte et revend la géolocalisation fine

Selon Le Monde, l’origine du problème réside dans le fonctionnement même de l’écosystème publicitaire mobile. Les smartphones transmettent en continu des données de localisation extrêmement précises, parfois à quelques mètres près, via des identifiants publicitaires activés lors de l’utilisation d’applications grand public.

Ces données sont collectées par des régies, puis revendues à des courtiers spécialisés. RTL précise que certaines bases sont mises à jour toutes les quinze minutes. Pour leur enquête, les journalistes ont acheté un fichier contenant plus de 16 millions d’identifiants publicitaires et environ un milliard de points de géolocalisation.

Militaires, GIGN, dissuasion nucléaire : des périmètres exposés

L’enquête montre que l’exposition concerne l’ensemble des personnels travaillant dans des environnements critiques. Officiers du renseignement, policiers chargés de la protection de hautes personnalités, membres du GIGN, militaires affectés à la dissuasion nucléaire, surveillants pénitentiaires ou salariés de centrales nucléaires figurent parmi les profils identifiés.

Le Monde décrit notamment le suivi du quotidien d’un militaire impliqué dans la dissuasion nucléaire, depuis son domicile jusqu’à des sites accueillant des sous-marins nucléaires, en passant par des lieux de vie ordinaires. Des installations perçues comme hautement sécurisées apparaissent ainsi comme parfaitement traçables.

Sécurité présidentielle et industrie de défense également concernées

La sécurité présidentielle est elle aussi touchée. D’après RTL, les journalistes ont pu reconstituer les déplacements d’un membre de l’équipe chargée de la protection du président de la République, depuis l’Élysée jusqu’à Villacoublay, puis vers un hôtel à Honfleur.

Les cadres de l’industrie de défense sont également exposés. Des profils travaillant pour des groupes stratégiques comme Thales, Naval Group ou KNDS ont pu être localisés et suivis, jusqu’à des éléments relevant de leur vie privée. Pour Le Monde, l’enjeu est d’autant plus critique que ces données sont accessibles à faible coût, y compris pour des acteurs malveillants structurés.

Des réactions institutionnelles prudentes

À la suite de ces révélations, les réactions officielles restent limitées. L’Élysée n’a pas répondu aux sollicitations du Monde. Thales a indiqué prendre le sujet très au sérieux, EDF a évoqué des actions de sensibilisation de ses collaborateurs, et KNDS a reconnu l’importance du problème. Le ministère des Armées a rappelé l’existence de recommandations adressées à ses effectifs.

Des prises de position qui laissent intacte la question centrale soulevée par l’enquête : malgré les consignes et la sensibilisation, les données de géolocalisation continuent de circuler librement dans l’écosystème publicitaire, exposant des personnels et des sites parmi les plus sensibles du pays.