Lors de la 6e édition de Ready For IT, qui s’est tenue à Monaco, un changement fondamental a été observé par ses organisateurs comme par les participants : la cybersécurité, longtemps considérée comme une affaire purement technique, est en train de devenir un pilier stratégique pour les entreprises. Maria Iacono, directrice de l’évènement, livre un constat limpide : « Les DSI ne sont plus seulement des gardiens de la conformité. Ils sont désormais appelés à devenir des architectes de valeur pour l’entreprise. »
Ce repositionnement s’inscrit dans une transformation plus large du rôle des directions informatiques, confrontées à des enjeux business croissants, dans un contexte marqué par la crise financière et la pression de la performance.
Quant aux enjeux de cybersécurité, cette nouvelle posture ne s’est pas faite en un jour. Elle est le fruit de plusieurs années de sensibilisation, de crises cyber médiatisées, de montée en puissance des menaces, mais aussi de la pression croissante des réglementations européennes. Et surtout, elle est portée par un mouvement collectif : celui d’une communauté professionnelle qui refuse l’isolement et s’organise pour affronter les défis ensemble.
Une maturité nouvelle portée par la pression réglementaire
Ce tournant vers une cybersécurité stratégique est largement stimulé par l’entrée en vigueur de textes comme NIS2, DORA, le Cyber Resilience Act ou encore le RGPD, qui obligent les entreprises à revoir en profondeur leur gouvernance des risques numériques. Ces normes ne concernent plus uniquement les grands groupes ou les opérateurs critiques. Elles s’appliquent aussi aux PME innovantes, aux acteurs publics, aux fournisseurs de services cloud ou industriels. « Ce que nous observons, c’est que les réglementations ont cessé d’être perçues comme des freins. Elles deviennent des cadres utiles pour structurer l’action, partager les responsabilités et décloisonner les silos », note Maria Iacono.
Dans ce contexte, la cybersécurité devient une question de gouvernance, d’orchestration de la chaîne de valeur, de pilotage des fournisseurs, de sensibilisation RH et même de communication externe. Elle oblige les directions générales à s’impliquer, les conseils d’administration à s’interroger, et les DSI à dialoguer avec des métiers toujours plus concernés. « Les attaques contre les hôpitaux ou les mairies ont fait office d’électrochocs. Même les décideurs les plus éloignés du numérique ont compris que l’impact d’un incident cyber pouvait geler toute une organisation, jusqu’à empêcher la gestion des repas ou des examens médicaux. »
Une communauté qui s’organise et coopère
Ce basculement s’opère également grâce à une dynamique communautaire croissante. Ready For IT en est l’un des reflets les plus intéressants : un événement qui fédère à la fois des grands groupes, des acteurs régionaux, des éditeurs de solutions, des institutions, mais aussi des associations professionnelles et des collectivités territoriales. Cette diversité crée un effet réseau particulièrement fertile. « La concurrence reste bien sûr présente. Mais sur les sujets de cybersécurité, il existe une forme de coopération naturelle. Le besoin de mutualiser les efforts, de partager les bonnes pratiques, et même de structurer des offres communes dépasse les rivalités commerciales », insiste Maria Iacono.
Cette logique se traduit par des collaborations plus nombreuses, y compris entre partenaires technologiques dont les offres permettent des synergies intéressantes et complémentaires, par des dynamiques de mutualisation territoriale, et par l’émergence de formats de dialogue pérennes. « Les petites structures, notamment en région, n’ont ni les moyens d’attirer les meilleurs profils, ni toujours la maturité pour tout gérer seules. La solution passera par le collectif. »
Le facteur humain au cœur de la stratégie des DSI
Face à la pénurie de talents, les entreprises sont contraintes de revoir leurs approches RH. Embaucher un expert informatique sur le marché libre est devenu presque impossible pour bon nombre d’entre elles. Les salaires explosent, les profils sont rares, et les missions toujours plus exigeantes. Dès lors, plusieurs stratégies se dessinent : le transfert de compétences internes, le recours aux formations continues, la reconversion de profils non technophiles vers des fonctions plus techniques, et surtout une approche à long terme plus flexible. « Le budget n’est plus forcément alloué à un recrutement direct. On préfère aujourd’hui sécuriser un partenariat, intégrer une compétence partagée, ou construire un socle interne adaptable à l’évolution des technologies. »
Ce mouvement est renforcé par l’arrivée d’une nouvelle génération de professionnels, plus sensibles aux enjeux de souveraineté, de durabilité, de responsabilité numérique. Les cursus évoluent, les formations s’adaptent, et l’on assiste à l’émergence d’un nouveau type de profil hybride, entre gouvernance, ingénierie, et gestion des risques.
Un changement culturel profond, catalysé par l’IA
Au-delà des outils, c’est un véritable changement culturel qui s’opère. Là où l’on parlait hier d’antivirus et de pare-feu, on parle aujourd’hui de gouvernance, d’anticipation, d’architecture de confiance. L’intelligence artificielle, omniprésente dans les débats, n’est plus perçue seulement comme une menace potentielle (deepfakes, automatisation des attaques), mais aussi comme une opportunité d’optimisation des défenses. « L’IA ne doit pas servir uniquement à identifier les menaces, mais à produire mieux, plus vite, avec moins de ressources. C’est un levier d’efficience, à condition d’être bien encadrée. »
Ces réflexions ont notamment été portées par Gilles Babinet lors de la conférence d’ouverture, soulignant la nécessité d’une gouvernance numérique ambitieuse, alignée avec les enjeux de souveraineté, de résilience et de compétitivité.
Maria Iacono résume bien cet enjeu : « La transformation numérique des entreprises, ce n’est plus une question d’outils. C’est une culture à construire, une gouvernance à faire évoluer, un projet d’entreprise à partager. » La promesse de Ready For IT – celle d’une communauté active, ouverte, et engagée – devient ainsi un modèle : celui d’un écosystème où la solidarité numérique renforce la compétitivité.
Mathieu Fitamant