Accueil Expert Comment penser « sobriété numérique » alors que la transformation digitale s’accélère ?

Comment penser « sobriété numérique » alors que la transformation digitale s’accélère ?

Mehdi Medjaoui est fondateur d'Apidays, la plus grande conférence autour des API, entrepreneur, auteur de livres, expert de la Commission européenne, professeur invité à HEC et EM Lyon et conférencier international sur l'économie programmable.
TRIBUNE EXCLUSIVE – La transition accélérée des entreprises, qui ne respecte pas les principes d’un numérique soutenable, est-elle en train de gâcher l’opportunité unique d’atteindre les objectifs de décarbonation ?
Mehdi Medjaoui, fondateur d’Apidays, la plus grande conférence autour des API, donne des pistes très concrêtes aux lecteurs de Solutions Numériques pour entrer dans l’ère de la sobriété numérique.

 

La digitalisation s’est faite à marche forcée dans les entreprises depuis le premier confinement, souvent dans la précipitation. Alors que le numérique est clamé par beaucoup comme le meilleur moyen de passer à une société plus sobre en énergie, il semble que cette transition accélérée, qui ne respecte pas les principes d’un numérique soutenable, est en train de gâcher cette opportunité unique d’atteindre les objectifs de décarbonation de la société.

Le rôle du numérique dans la transition écologique

Selon le Shift Project, l’impact environnemental du numérique était de 4% des GES  (gaz à effet de serre) en 2019, soit plus que l’aviation dans le monde. Si nous ne modifions pas nos usages, le numérique représentera 8% des GeS en 2025, soit plus que les voitures.

La consommation d’énergie du numérique est en effet aujourd’hui en hausse de 9 % par an du fait de l’explosion des usages. Il est possible de la ramener à 1,5 % par an selon le Shift Project en adoptant la « sobriété numérique » comme principe d’action. Mais pour cela, il faut agir, il est temps de mettre en application les bonnes pratiques de sobriété numérique dans les services IT des entreprises, d’en comprendre les grands principes, de se fixer des objectifs et de mettre en place des outils de mesures pour monitorer son activité.

Cela passe par la création d’une culture “GreenOps” au sein des services IT, au même titre que les DevOps et DataOps, rassemblant métier, concepteur, designer, architecte, et développeur dans un objectif commun de livrer des projets IT plus sobres, moins consommateurs de ressources matérielles (Cloud, c’est-à-dire datacenter en bout de chaîne, smartphone, ordinateur etc.) dans le but d’être moins énergivore et plus efficace.

La Sobriété numérique passe
par la création d’une culture “GreenOps” au sein
des services IT

La sobriété numérique est passée au second plan à cause du Covid-19

Qui a le plus accéléré votre transformation digitale ? Un cabinet de consultant, n champion interne, un manager de talent? Pour la plupart des entreprises, les 2 précédents confinements auront eu plus d’impact que n’importe quelles visions d’experts, conseils de consultants ou retour clients.
Mais cette transition s’est faite sans penser à la soutenabilité technique et surtout environnementale des infrastructures. On est allé au plus pressé sans penser à l’après. Il fallait maintenir / sauver l’activité à tout prix.

Il est temps de « refactorer » l’industrie du numérique aux principes de l’éco-design

Experience utilisateur, code informatique et systèmes d’exploitation obèse, architecture cloud et datacenters, obsolescence des terminaux…. sont autant de sujets à traiter pour un numérique qui compense les effets négatifs des émissions de gaz à effet de serre passées. C’est possible uniquement à deux conditions. Des usages numériques responsables, et des technologies numériques sobres. Alors que la première est plutôt un sujet de société, la seconde est un sujet technique qui peut être résolu dès à présent.
Il est intéressant de noter que les grands fournisseurs de datacenters font des efforts mais peinent à absorber l’explosion du trafic. Selon l’association Green IT, la consommation électrique des datacenters a augmenté de 6 % seulement depuis 2010 alors que la demande a été multipliée par 6. Ces efforts, bien que notables, doivent être accélérés et répliqués chez tous les fournisseurs informatiques.

Deux conditions sont nécessaires : des usages numériques responsables et des technologies numériques sobres

Une demande des grands groupes, des collaborateurs, mais une offre de conseil peu présente

De plus en plus d’entreprises veulent se positionner sur la question environnementale, mais n’ont pas eu jusque-là les moyens de le faire dans leurs infrastructures numériques ou tout simplement ne savent pas comment s’y prendre. De l’autre côté, les collaborateurs, la génération millenials et les développeurs sont de plus en plus concernés par les sujets environnementaux, et souhaitent aligner leur activité avec leurs convictions. La nouvelle génération veut rester alignée et respecter entre 9h et 19h les principes qu’ils appliquent dans leur vie personnelle.

Ainsi la sobriété numérique pour les entreprises représentent non seulement un challenge pour agir pour le climat mais également un atout pour :

  • Une attractivité des entreprises auprès des talents
  • Une amélioration des process et de la culture tech en interne
  • Une facture réduite de consommation Cloud
  • Un positionnement sur un sujet en vogue qui va devenir incontournable à tous les plans (juridique, technique, financier, comptable…) dans les années à venir.

Pour cela, le secteur IT dans son ensemble (consultant, solution SaaS, intégrateur, etc,) doit faire émerger une communauté d’avocats du climat ayant à disposition formation, outil, culture et moyen pour agir. Cela passe par :

  • La compréhension et la mise en place de pratiques d’éco-design dans la conception et le design des projets IT,
  • La construction d’architecture efficace et sobre,
  • L’application de principes de management de la donnée responsable,
  • L’optimisation du code par les développeurs,
  • Et enfin la mise en place d’outils de mesure pertinents pour monitorer son action

Quels rôles pour les entreprises ?

En parallèle des actions menées par le secteur IT, les entreprises peuvent elles aussi jouer un rôle :

1 Inscrire la sobriété numérique dans la RSE

La RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises, ou Responsabilité Sociétale des Entreprises) regroupe l’ensemble des pratiques mises en place par les entreprises dans le but de respecter les principes du développement durable, c’est-à-dire être économiquement viable, avoir un impact positif sur la société mais aussi mieux respecter l’environnement. Ancrer la notion de sobriété numérique dans les statuts RSE de son entreprise, c’est agir pour impliquer collaborateurs, partenaires et prestataires à suivre une ligne directrice et fixer des objectifs chiffrés pour que les services IT soient alignés au même titre que les autres départements de l’entreprise avec les enjeux environnementaux.

Des services IT alignés au même titre que les autres départements de l’entreprise avec les enjeux environnementaux

2 Ancrer la sobriété numérique dans les appels d’offre

L’IT d’une entreprise à l’heure du Cloud fonctionne avec des milliers de solutions SaaS. Respecter les enjeux de sobriété numérique, c’est également exiger de ses partenaires et fournisseurs qu’ils s’engagent également à respecter ces mêmes principes eux-mêmes. Mon offre Cloud est-elle soucieuse des enjeux climatiques? Quelles actions les fournisseurs prennent-ils concrètement pour s’engager dans un IT plus soutenable? Les solutions SaaS appliquent-elles des principes d’éco-conception, de design sobre, d’architecture Cloud optimisée de leur plateforme ? Les fournisseurs sont-ils capables de mesurer leur impact et de communiquer auprès de leurs clients en toute transparence ? C’est le cas de Google Cloud qui détaille projets et méthodologie pour des data centers tournant à 100 % aux énergies renouvelables: https://sustainability.google/progress/ 

3 Augmenter la durée de vie de mon matériel informatique ou agir pour une obsolescence déprogrammée

Ordinateurs, smartphones, tablettes et IoT, autant de devices utilisés au quotidien par les collaborateurs de l’entreprise. Sommes-nous en mesure de savoir à quelle fréquence ce matériel est renouvelé et que puis-je faire pour en augmenter la durée de vie ? Peut-on s’approvisionner en matériel de seconde main pour certains usages ? Exemple : Back Market fournit du matériel reconditionné avec la garantie que chaque appareil a été vérifié et restauré par des experts. Au-delà de l’attractivité du prix que représente du matériel de seconde main, réutiliser plutôt que jeter est une des actions les plus impactantes pour contribuer aux enjeux climatiques dans le secteur IT.

4 S’informer, se former et créer une communauté de Green Hat

Plusieurs initiatives existent pour se former aux enjeux de l’impact environnemental de l’IT:

  • Se documenter avec The Shift Project

The Shift Project est un think tank qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone. Association loi 1901 reconnue d’intérêt général et guidée par l’exigence de la rigueur scientifique, notre mission est d’éclairer et influencer le débat sur la transition énergétique, en France et en Europe. Le projet « Lean ICT » du Shift présente une réflexion sur les pratiques et actions permettant de limiter les impacts environnementaux directs et indirects du numérique, tout en maximisant l’effet net des leviers du Numérique en matière de transition écologique.

  • Se former avec Green IT

Créée en 2004, GreenIT.fr est la communauté des acteurs du numérique responsable qui s’intéressent, entre autre, à la sobriété numérique, à l’écoconception des services numériques, à la low tech, et plus globalement à un avenir numérique alternatif. GreenIt propose des formations au numérique responsable, formation en éco conception web et de service numérique , formation sobriété numérique à destination des professionnels du secteur.

  • Collaborer avec le Challenge Sobriété Numérique par apidays & GreeNet.io

L’initiative a pour objectif de déconstruire les idées reçues sur le numérique et l’environnement, et de créer une pratique professionnelle sur le sujet au sein des équipes IT des entreprises :

-Quels sont les vrais leviers sérieux qui ont un impact réel sur l’environnement ? Sa pollution étant principalement invisible, presque virtuelle, seule une sensibilisation peut aider à la percevoir et à en prendre conscience et éviter le greenwashing et la green candeur.

-Permettre aux participants de construire un discours argumenté en lien avec les problématiques actuelles des entreprises. Quels sont les leviers pour changer les pratiques?

-Quelles sont les demandes des consommateurs digitaux ? Est prise en compte toute la chaîne de développement d’un produit numérique, en particulier dès l’étape du design et de l’éco-design.

Ainsi, le Challenge Sobriété Numérique vise à : 

-Permettre aux professionnels du numérique, de la transition numérique et du Cloud intéressés par la démarche d’éco-conception de s’informer et se former sur l’état de l’art des bonnes pratiques en les appliquant sur un de leurs projets dans le cadre du challenge.

-Déterminer des indicateurs communs crédibles de “sobriété numérique” applicables raisonnablement par les professionnels du Cloud d’une façon collaborative.

-Réunir et fédérer les communautés existantes dans la durée, autour d’une communauté de Green Hats, des praticiens techniques et métiers qui pensent l’éco-conception comme un système.