Alors que l’IA s’impose dans tous les secteurs, la question de la souveraineté numérique devient cruciale. Entre hébergement des données, choix des modèles et gouvernance des usages, Camille Thébault, consultant en intelligence artificielle chez Luminess, alerte sur les risques d’une dépendance technologique silencieuse et plaide pour une IA vraiment maîtrisée, fondée sur des infrastructures et des données souveraines.
À l’heure où l’IA gagne tous les métiers, chaque entreprise française confiant ses données à un modèle d’intelligence artificielle hébergé hors d’Europe renonce à une part de sa souveraineté numérique. En effet, si l’IA est un levier exceptionnel d’innovation et de productivité, elle peut rapidement devenir une dépendance silencieuse, à la fois technologique et stratégique, et parfois irréversible.
La donnée, nerf de la souveraineté
L’essor de l’intelligence artificielle pose une question centrale : peut-on déployer des systèmes performants sans perdre la maîtrise des données ni devenir dépendant d’acteurs étrangers ? Car la véritable richesse générée par l’intelligence artificielle ne réside pas tant dans la performance des modèles, que dans les données qui les nourrissent. Ce sont elles qui confèrent à l’IA sa valeur et, parfois, qui révèlent les secrets les plus sensibles. Un hôpital qui envoie ses images médicales vers un modèle hébergé à l’étranger s’expose ainsi à des risques concrets : intrusion juridique, exploitation commerciale ou fuite stratégique. Même logique pour une banque ou une assurance. Perdre la maîtrise de ses données revient à perdre un pouvoir essentiel. Une IA brillante mais opaque sur la gestion des données n’est donc pas une avancée, c’est au contraire une véritable boîte noire.
Infrastructures et modèles : des choix décisifs
Les enjeux de souveraineté inhérents à l’IA se jouent aussi dans les infrastructures. Où tourne l’IA ? Qui détient les serveurs ? L’hébergement dans un environnement certifié SecNumCloud n’est pas un détail : c’est une garantie qu’aucune puissance étrangère ne pourra accéder aux données.
Le choix des modèles est tout aussi stratégique. Beaucoup se disent « open source » mais ne le sont pas vraiment. La plupart ne livrent que leurs poids (« open weight » désigne un modèle d’intelligence artificielle dont les poids du réseau neuronal, c’est-à-dire les paramètres appris pendant l’entraînement sont rendus publics). En d’autres termes, il est possible de connaître la recette finale, mais sans les ingrédients ni la méthode. À l’inverse, certains modèles se veulent réellement open source et publient leur code ainsi qu’une partie de leur méthodologie d’entraînement (toutefois sans offrir à ce jour une transparence totale sur l’ensemble des données utilisées). Dans un cas, il est possible d’auditer et d’adapter ; dans l’autre, la dépendance demeure.
Ces décisions ne sont pas seulement techniques : elles tracent la frontière entre indépendance et vassalité numérique.
Agents IA : prolonger l’IA, multiplier les risques
Demain, les modèles ne se contenteront plus de générer du texte ou des images : ils agiront. L’essor annoncé des agents IA autonomes, capables d’enchaîner des tâches, démultiplieront les risques autour des données et des infrastructures. Un agent mal gouverné peut amplifier des biais, provoquer des fuites ou automatiser des décisions opaques.
Là encore, la clé reste identique : garder la main. Structurer ses données, tracer chaque action, maintenir un contrôle humain permanent. Sans ce socle, l’IA agentique ne sera pas un outil de souveraineté, mais un amplificateur de dépendance.
À l’ère de l’IA générative et agentique, la souveraineté ne se proclame pas, elle se construit. Elle repose sur trois piliers : la maîtrise des données ; des infrastructures de confiance et des modèles auditables ; et une gouvernance stricte des usages. En France, l’IA irrigue déjà nos entreprises et nos administrations. La question n’est pas de savoir si nous l’utiliserons : c’est acquis. La question est de savoir si nous voulons la subir… ou la maîtriser.








