L’essor fulgurant de l’IA s’accompagne de défis complexes, notamment en matière de protection des données personnelles. Avec l’IA Act, une opportunité historique se dessine : celle d’aligner ces deux régulations pour garantir, ensemble, l’équilibre entre innovation technologique et protection des droits individuels. Les explications de Miguel Chebou, cofondateur de Smart Teem, pour nos lecteurs.
L’intelligence artificielle est en passe de transformer nos sociétés, nos économies et nos vies quotidiennes. Elle alimente des innovations spectaculaires, de la santé prédictive aux assistants vocaux, en passant par les systèmes automatisés de prise de décision. Cependant, cet essor fulgurant s’accompagne de défis complexes, notamment en matière de protection des données personnelles.
Depuis son adoption en 2018, le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) a établi une norme pour garantir le respect de la vie privée dans un monde de plus en plus numérisé. Cependant, l’IA pose des questions inédites. Ce cadre législatif, conçu avant la montée en puissance des modèles d’intelligence artificielle générative, peine aujourd’hui à anticiper les impacts de ces technologies sur nos droits fondamentaux.
Avec l’IA Act, une opportunité historique se dessine : celle d’aligner ces deux régulations pour garantir, ensemble, l’équilibre entre innovation technologique et protection des droits individuels.
Des modèles d’IA face à la donnée personnelle : un casse-tête réglementaire
Les modèles d’IA modernes, notamment ceux basés sur l’apprentissage automatique, nécessitent des quantités massives de données pour s’entraîner. Ces datasets, souvent hétérogènes et volumineux, incluent parfois des données personnelles, et probablement collectées sans consentement explicite ou via des sources douteuses.
Dans ce contexte, le RGPD impose des règles strictes : les données personnelles doivent être utilisées de manière transparente, sécurisée et avec le consentement de l’individu concerné. Cependant, lorsque ces données ont déjà été intégrées dans un modèle d’IA, les solutions ne sont pas toujours simples.
Réentraîner un modèle pour supprimer ou anonymiser ces données peut être coûteux en temps, en énergie et en ressources technologiques. En parallèle, ignorer ces exigences compromet directement les droits des individus, tout en exposant les entreprises à des sanctions juridiques et à des dommages réputationnels.
L’IA Act peut jouer un rôle déterminant en comblant ces lacunes. Par exemple, il pourrait imposer des obligations de transparence sur l’origine des datasets ou exiger l’intégration de mécanismes techniques pour supprimer rétroactivement les données personnelles compromises. Ce serait une manière pragmatique de respecter les principes du RGPD tout en s’adaptant aux réalités technologiques de l’IA.
Biais, équité et justice algorithmique
Un autre défi central réside dans les biais intégrés aux modèles d’IA. Ces biais proviennent souvent des données d’entraînement elles-mêmes, qui reflètent les inégalités sociales et culturelles existantes. Ces biais peuvent se manifester de manière pernicieuse, par exemple dans des systèmes de recrutement automatisés ou dans des outils de reconnaissance faciale.
L’IA Act doit aller plus loin que le RGPD en exigeant des évaluations régulières des modèles pour détecter et corriger ces biais. Cela implique non seulement une transparence accrue, mais aussi une responsabilité partagée entre les concepteurs de l’IA, les entreprises utilisatrices et les régulateurs.
Cybersécurité : le maillon faible ?
La montée en puissance de l’IA s’accompagne également de nouveaux risques en matière de cybersécurité. En effet, les systèmes d’IA, présentant des failles de sécurité, peuvent devenir des cibles pour les cyberattaques. Ces attaques pourraient avoir des conséquences dévastatrices, exposant des volumes massifs de données personnelles ou exploitant des failles pour manipuler les décisions des modèles.
Aujourd’hui, le RGPD impose des normes strictes en matière de sécurité des données, mais celles-ci restent insuffisantes face aux spécificités des technologies d’IA. L’IA Act doit donc introduire des normes adaptées : audits réguliers des systèmes, cryptage des données d’entraînement et protocoles de réponse en cas de détection de failles.
La France : un leadership à construire
À l’occasion du Sommet de l’IA 2025, la France a une opportunité historique de se positionner en leader de la régulation de l’intelligence artificielle. Avec une législation européenne en pleine évolution et un dialogue constructif entre acteurs publics, privés et académiques, la France peut jouer un rôle clé dans la définition d’un cadre légal équilibré. Un cadre qui favorise l’innovation tout en respectant les droits fondamentaux des citoyens européens.
En alignant le RGPD avec l’IA Act, l’Europe – et la France en particulier – peut montrer qu’il est possible de construire une IA éthique, inclusive et résiliente. Plus qu’un défi, c’est une responsabilité. Car dans un monde où les algorithmes façonnent de plus en plus nos décisions, protéger les données personnelles n’est pas une option. C’est un impératif.