Pour nos lecteurs, Boris Guarisma, CTO Agence de Paris et Artificial Intelligence Lead chez Ippon Technologies, revient sur cette question avec raison. L’IA générative : opportunité ou risque mal maîtrisé pour les entreprises ?
L’IA ne remplace pas encore les experts, où qu’ils se trouvent, et encore moins dans le domaine de l’IT. Elle accélère probablement la production de logiciels et permet de construire des solutions encore plus complexes.
Sa véritable force réside dans sa capacité à augmenter la productivité et à démocratiser l’accès à des outils sophistiqués, sans pour autant remplacer l’expertise humaine. Prenons l’exemple du métier de photographe : malgré l’essor de la photographie numérique via les téléphones portables, ce métier n’a pas disparu. L’œil du professionnel, sa créativité et sa connaissance des règles (et des façons de s’en affranchir) rendent toujours son travail indispensable et différenciant.
Une analyse en deux axes :
I – L’urgence mal maîtrisée : une course effrénée aux technologies sans stratégie claire
Sous la pression de suivre la révolution technologique, de nombreuses organisations adoptent les systèmes d’intelligence artificielle générative (SIAG) sans préparation adéquate. Ce manque d’anticipation met en péril leurs infrastructures IT et compromet leur retour sur investissement.
Dans un contexte où l’innovation technologique est perçue comme un impératif de survie, de nombreuses organisations cèdent à une frénésie irrationnelle. Elles adoptent des SIAG non par conviction stratégique, mais par crainte de « rater le train ».
Pourtant, cette précipitation se révèle souvent contre-productive. Comme le souligne McKinsey, moins de 10 % des entreprises ayant intégré l’IA constatent un impact financier significatif, notamment sur leur Ebit. Cet écart entre investissements massifs et bénéfices réels traduit une absence criante de préparation et de réflexion sur les cas d’usage pertinents.
Prenons l’exemple des grands modèles de langage (LLM). Ces outils, souvent mal compris, sont intégrés sans évaluation rigoureuse de leurs limites : production d’informations erronées, amplification des biais ou encore utilisation de données protégées par des droits d’auteur. Le résultat ? Des projets coûteux qui échouent à générer la valeur attendue et qui exposent les entreprises à des risques juridiques et réputationnels majeurs.
Cette dynamique illustre un paradoxe : dans leur quête d’innovation, les organisations compromettent leur propre résilience.
II – Les limites structurelles des modèles actuels : un enthousiasme à nuancer
Les promesses des IA génératives reposent sur une technologie impressionnante mais imparfaite.
Les grands modèles de langage, par exemple, ne raisonnent pas : ils prédisent ce qui semble le plus probable en fonction des données d’entraînement. Cela explique pourquoi ils génèrent des réponses plausibles mais parfois incorrectes ou dépassées. Matteo Wong souligne dans The Atlantic que cette approche atteint ses limites : augmenter la taille des modèles ne suffit plus à améliorer leur efficacité.
OpenAI, consciente de ces limites, s’est orientée vers des modèles comme o3, qui dépassent le simple cadre de la prédiction pour intégrer un raisonnement structuré et progressif. o3 représente une avancée significative par rapport à o1, notamment grâce à sa capacité accrue à décomposer des problèmes complexes en étapes intermédiaires, à exceller dans des domaines exigeant rigueur et logique, et à améliorer la vérifiabilité de ses réponses.
Ces progrès, bien que notables, ne suppriment pas les limites inhérentes aux IA génératives. Les modèles comme o3 demeurent profondément dépendants des données d’entraînement et ne peuvent produire de véritables idées nouvelles. Leur sensibilité aux biais et leur coût computationnel élevé posent également des défis pour leur adoption généralisée. En outre, leur capacité à raisonner est étroitement liée à la structure des problèmes qu’ils traitent : ils brillent dans des contextes bien définis mais peinent dès que la créativité, l’intuition ou une compréhension nuancée sont nécessaires.
Ces faiblesses rappellent que, malgré les progrès, ces modèles ne constituent pas une solution universelle, mais des outils spécialisés à intégrer dans une approche pragmatique et raisonnée de l’intelligence artificielle.
La voie pragmatique : un accompagnement méthodologique pour maximiser la valeur
Face à ces constats, il devient évident qu’une adoption réussie de l’IA générative passe par une approche méthodique et réfléchie.
1 – Un guide stratégique pour évaluer la pertinence des SIAG (systèmes d’intelligence artificielle générative) dans les entreprises
L’intégration d’un SIAG nécessite une réflexion approfondie et structurée. C’est ici qu’intervient une méthodologie proposée par Meneceur Yannick qui aide les organisations à répondre à une question essentielle : « Ai-je réellement besoin d’un SIAG ? »
Cette méthodologie, conçue pour des décisions éclairées, repose sur un arbre de décision clair et détaillé, conçu pour guider les entreprises à travers une série d’étapes critiques. Elle ne se limite pas à évaluer l’intérêt technologique du SIAG, mais explore également des alternatives humaines ou technologiques plus simples, tout en tenant compte des implications juridiques, organisationnelles et éthiques.
À travers cette approche, les entreprises sont encouragées à :
- Analyser leurs processus de travail : Identifier les points spécifiques où un SIAG pourrait apporter une valeur ajoutée, sans réorganiser inutilement leurs activités autour de la technologie.
- Évaluer la pertinence d’un traitement informatique : Peser les avantages d’une automatisation par rapport à une intervention humaine.
- Qualifier la nécessité d’un SIAG : Déterminer si un SIAG est indispensable ou si des solutions plus simples suffiraient.
- Mesurer les impacts organisationnels et juridiques : Anticiper les risques pour l’entreprise et les tiers, notamment dans le cadre du Règlement sur l’Intelligence Artificielle (RIA) en vigueur dans l’Union européenne.
2 – Un outil pour gouverner avec discernement
Bien que cette méthodologie s’adresse principalement aux décideurs stratégiques, elle trouve également sa place dans des contextes pédagogiques. Elle offre un cadre structuré permettant aux dirigeants, managers et apprenants de comprendre comment choisir judicieusement entre diverses solutions technologiques ou humaines.
Cette approche favorise non seulement une prise de décision éclairée mais aussi une adoption plus fluide et responsable des technologies émergentes.
Dans un monde où la transformation digitale est souvent perçue comme une fin en soi, cette méthodologie rappelle l’importance de ne pas céder au solutionnisme technologique. Elle invite les entreprises à adopter une posture proactive mais mesurée, en s’assurant que chaque initiative technologique soit alignée avec leurs objectifs stratégiques et opérationnels.
En intégrant cette méthodologie dans leur processus décisionnel, les entreprises peuvent :
- Réduire les risques liés à des investissements inutiles ou mal ciblés.
- Renforcer leur conformité juridique face aux régulations croissantes.
- Maximiser l’impact positif des technologies tout en minimisant leurs effets secondaires sur l’organisation et ses parties prenantes.
3 – Un appel à l’action pour les leaders de demain
Pour les entrepreneurs et leaders du secteur technologique, cette méthodologie ne doit pas seulement être vue comme un outil d’évaluation mais comme un levier stratégique. Elle offre une opportunité unique de transformer la complexité des choix technologiques en un avantage concurrentiel durable.
Ainsi, avant de plonger tête baissée dans l’adoption d’un SIAG, il est important de se poser cette question : l’organisation est-elle prête à intégrer cette technologie avec discernement ? Si la réponse est oui, alors ce guide sera le meilleur allié pour naviguer avec succès dans l’univers complexe mais prometteur des SIAG.
Les entreprises qui parviendront à équilibrer innovation et pragmatisme seront les grandes gagnantes de cette révolution. Elles pourront non seulement rester compétitives dans un monde où la technologie est un impératif, mais aussi renforcer leur résilience et leur agilité face aux évolutions futures.
L’IA générative est une opportunité unique, mais encore faut-il savoir l’exploiter avec discernement.
Sources :
- https://fr.ippon.tech/publications/livre-blanc/tendances-tech-incontournables-2025
- Quiret Matthieu, « IA : les entreprises vont dans le mur prévient McKinsey »
- Wong Matteo, “The GPT Era Is Already Ending”
- Meneceur Yannick, “IA générative et professionnels du droit”, LexisNexis, ISBN 9782711041657, novembre 2024