Marshall Erwin, RSSI de Fastly (plateforme qui comprend entre autres un CDN et un service de répartition de charge), décrypte pour Solutions Numériques & Cybersécurité l’évolution inquiétante des attaques DDoS, désormais plus ciblées, plus sophistiquées – notamment sur la couche applicative- et souvent motivées par des enjeux idéologiques. Il alerte également sur la vulnérabilité croissante des PME face à ces assauts.
Dans l’arène numérique actuelle, un phénomène inquiétant prend de l’ampleur : l’évolution des cibles et des tactiques des attaques par déni de service distribué (DDoS). Cette escalade ne constitue pas un événement isolé, mais s’inscrit dans une tendance persistante observée depuis la fin de l’année 2024.
Une menace en constante évolution
Pour mieux comprendre ces attaques, il est essentiel de saisir les différentes couches du modèle OSI (Open Systems Interconnection) :
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Couche 3 (Réseau) : où circulent les paquets de données — les attaques ciblent souvent le volume du trafic pour saturer les réseaux.
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Couche 4 (Transport) : qui gère la communication entre les hôtes — les attaques ici visent à perturber les connexions TCP/UDP.
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Couche 7 (Application) : où les utilisateurs interagissent avec les services — les nouvelles attaques DDoS exploitent cette couche pour submerger les serveurs avec des requêtes légitimes mais massives.
Si les attaques traditionnelles des couches 3 et 4 sont désormais relativement bien maîtrisées par les infrastructures modernes, les nouvelles menaces se concentrent au niveau de la couche 7 – celle des applications. Ces attaques sophistiquées sont particulièrement préoccupantes, car elles échappent plus facilement aux mécanismes de détection classiques et peuvent provoquer des dégâts considérables.
L’évolution la plus inquiétante concerne les attaques de couche 7 sophistiquées qui, à la différence des attaques classiques de couche 3 et 4, ciblent directement les applications et sont nettement plus difficiles à détecter. Ces attaques ne visent plus uniquement à saturer la bande passante, mais exploitent des vulnérabilités spécifiques des applications pour perturber les services tout en échappant aux défenses traditionnelles.
La solution repose non seulement sur la technologie, mais aussi sur notre capacité collective à anticiper ces nouvelles tactiques.
Des cibles variées, des motivations claires
Les résultats d‘une étude démontrent que les plus grands volumes d’attaques récentes ont été détectés dans cinq pays principaux : les États-Unis, l’Allemagne, Singapour, le Royaume-Uni et la France. L’apparition du Royaume-Uni dans ce classement est particulièrement révélatrice d’une intensification ciblée sur certains secteurs.
Ce constat traduit une évolution des motivations des attaquants. Les entreprises britanniques visées appartiennent majoritairement aux secteurs des technologies, des médias et des organisations défendant la liberté d’expression et la vie privée. Cette montée en puissance suggère que les attaques DDoS ne répondent plus uniquement à des logiques financières ou opportunistes, mais aussi à des stratégies idéologiques et politiques, visant à réduire au silence certaines voix ou à déstabiliser des acteurs influents.
Loin d’être aléatoires, ces attaques suivent souvent des objectifs précis, alignés sur les intérêts de leurs auteurs. Les organisations œuvrant pour la protection des données, la lutte contre la censure ou la défense des droits numériques ont tendance à attirer l’attention d’adversaires cherchant à limiter leur influence. Cela renforce l’idée que la cybersécurité n’est pas seulement un défi technique et technologique, mais aussi un enjeu fondamental de souveraineté et de liberté numérique.
Les PME en première ligne
Contrairement aux idées reçues, les grandes entreprises ne sont pas les seules visées. Les petites et moyennes entreprises (PME), souvent moins bien protégées, se retrouvent en première ligne.
Les attaquants adaptent leurs stratégies, calibrant leurs assauts selon la taille et la robustesse des infrastructures ciblées.
Le secteur technologique reste la cible principale, suivi du commerce et des médias/divertissement. Cette volatilité d’un mois à l’autre souligne l’imprévisibilité des attaquants et la nécessité pour chaque organisation, quelle que soit sa taille, d’adopter une vigilance constante.
L’urgence d’une action collective
Face à cette montée en puissance, les entreprises doivent réévaluer leurs stratégies de défense. Voici quelques actions essentielles:
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Anticiper l’évolution des menaces : aller au-delà de la défense des couches réseau traditionnelles et se concentrer sur la compréhension et la prévision des tactiques émergentes, en particulier celles utilisant l’IA.
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Évaluer son exposition : chaque secteur possède des vulnérabilités spécifiques. Une entreprise médiatique ne court pas les mêmes risques qu’un acteur du e-commerce.
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Investir dans des solutions adaptatives : opter pour des protections DDoS évolutives capables de distinguer en temps réel le trafic légitime des attaques malveillantes.
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Assurer une surveillance permanente : Les attaques ne connaissent plus de répit le week-end, ni même pendant les fêtes de fin d’année ! Un centre d’opérations de sécurité actif 24/7 n’est plus une option, mais une nécessité.
Construire une résilience numérique collective
Les attaques DDoS ne sont pas seulement une menace technique — elles mettent à l’épreuve notre résilience numérique collective.
Être préparé, c’est non seulement protéger des systèmes, mais aussi défendre une vision ouverte et sécurisée du web.
Dans cette course à l’armement numérique, la vigilance et l’innovation seront nos meilleurs alliés. L’inaction d’aujourd’hui pourrait bien devenir la vulnérabilité de demain.