L’éditeur américain de logiciels de retouches photo et vidéo rachète Figma, son jeune concurrent dans le secteur de la création de sites web et d’applications mobiles en mode collaboratif. Adobe a-t-il raison d’investir 20 Md$ dans cette start-up californienne qui fait de l’ombre à son logiciel de création XD ? Pas sûr.
Incroyable mais vrai, Adobe, le leader mondial des logiciels de retouches photo et vidéo, va débourser 20 milliards de dollars, dont 50 % par échange d’actions, pour s’offrir la start-up californienne Figma, l’un des leaders de la création de sites web et d’applications mobiles en mode collaboratif. Le media Bloomberg estime qu’il s’agit du plus gros rachat mondial d’un éditeur de logiciels non-côté.
« La plateforme de flux de travail collaboratif de Figma est la meilleure de sa catégorie »
Le rachat de Figma n’est pas le fruit du hasard. Cette start-up est vraiment bonne sur son créneau, jusqu’à faire de l’ombre à XD, le logiciel de création concurrent d’Adobe. D’ailleurs, quel sera le futur de celui-ci post acquisition ? D’autant que les quelques 4 millions de clients revendiqués par Figma apprécient surtout la simplicité de prise en main et le côté très collaboratif de sa plateforme logicielle de création numérique, ce qui n’est pas forcément le cas des logiciels d’Adobe.
Ce que confirme Sheila Mahoutchian, analyste principale du cabinet d’études Forrester : « La plateforme de flux de travail collaboratif de Figma, la meilleure de sa catégorie, a changé la donne en matière d’outils de conception, faisant évoluer le monde de la conception des contributeurs individuels à l’habilitation des équipes basée sur la collaboration. Nous sommes impatients d’en savoir plus sur la manière dont Adobe intégrera ces tendances et ces enseignements dans sa vaste gamme d’outils de conception. »
Un tel rachat au prix fort est-il seulement rentable à moyen terme pour Adobe ?
Le Financial Times parle « d’accord stupide d’Adobe » car la somme lui paraît très aberrante au regard des bénéfices réels et de la valorisation de Figma, qui n’était que d’à peine 10 Md$ il y a un an. Certes, la start-up devrait annoncer 400 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2022, contre la moitié un an plus tôt. Même si Figma double encore ses revenus en 2023, cela ne représentera toujours que 4 % des 20 milliards de dollars déboursés par Adobe…
Mais son chiffre d’affaires provient essentiellement de revenus récurrents issus d’un modèle de vente locatif opéré en mode Saas. Un modèle qu’affectionne Adobe, qui réalise également l’essentiel de ses quelques 16 milliards de dollars de revenus en vendant ses logiciels en ligne et sur abonnement. Par ailleurs, même si sa plateforme logicielle de création numérique n’est disponible que depuis 2016, Figma est parvenue à convaincre en mars 2022 des investisseurs d’injecter 200 millions de dollars dans la société. De la trésorerie qu’Adobe saura sans doute bien employer…
Adobe redoutait-il que Figma soit rachetée par un Google ou un Microsoft ?
Le fait que Figma ait pu être achetée par un Google ou un Microsoft, au hasard, a peut-être décidé Adobe à payer le prix fort pour empêcher ces leaders du Cloud d’enrichir leurs suites bureautiques collaboratives.
Par ailleurs, tous les acteurs du secteur ont également remarqué que la croissance annuelle très rapide de Figma est portée depuis deux ans, comme la leur, par l’intérêt des entreprises pour les outils collaboratifs à l’heure du télétravail hybride. Jay Pattisall, vice-président et analyste principal du cabinet d’études Forrester, nous confirme l’importance de cette nouvelle donne : « L’environnement de collaboration créative des agences a toujours été l’un de ses attributs importants. Pourtant, moins de 20 % des employés des agences sont retournés au bureau à plein temps, ce qui remet en cause l’avantage de leur culture créative. La combinaison d’Adobe Creative Cloud et de la technologie de collaboration de conception Figma sera un outil utile pour aider les industries créatives à maintenir et à réaliser leur valeur dans l’avenir du travail en tout lieu. »
Le célèbre éditeur américain de logiciels de retouches photo et vidéo a déjà beaucoup investit par le passé pour se diversifier, mais aussi afin de maintenir la valorisation de son action en bourse, laquelle a reculé d’un tiers en 2022. Dans le secteur du e-commerce notamment, où Adobe avait racheté en 2018 les logiciels de Magento et de Marketo pour respectivement 1,6 et 4,7 milliards de dollars. Adobe avait aussi acquis en 2019 Allegorithmic, un spécialiste clermontois de la création et de la retouche 3D dans le secteur des jeux vidéo et du divertissement.
