La généralisation du cloud a offert aux entreprises puissance et agilité, mais aussi une dépendance croissante à des écosystèmes fermés. Dans cet avis d’expert, Gaspard Plantrou, Chief Product Officer chez NumSpot, analyse comment Kubernetes s’impose comme un socle de souveraineté numérique, en offrant un cadre ouvert pour déployer, orchestrer et migrer les applications sans contrainte de fournisseur.
Si les fournisseurs de services cloud ont profondément transformé le marché du logiciel, cette révolution s’est accompagnée d’une dépendance accrue à des écosystèmes propriétaires. Confier ses applications et ses données à une seule plateforme, c’est risquer de perdre la maîtrise de son environnement numérique. Dès lors, comment concilier la promesse d’efficacité du cloud avec l’exigence croissante d’indépendance et de souveraineté numérique ? Kubernetes offre aujourd’hui une alternative technique et stratégique : un cadre ouvert pour standardiser l’exécution des workloads, réduire la dépendance aux fournisseurs et renforcer la souveraineté numérique.
De Google à la CNCF : la genèse d’un standard universel
Issu de l’expérience de Google à travers les projets Borg et Omega, Kubernetes a été lancé en 2014 en open source avant d’être confié à la Cloud Native Computing Foundation (CNCF). Cette filiation explique sa robustesse à grande échelle et sa conception “production-grade”, pensée pour des environnements critiques. Sa diffusion rapide s’appuie sur la standardisation de la containerisation, une communauté mondiale très active et un écosystème d’outils tels que CNI, CSI ou Helm, qui ont uniformisé les pratiques DevOps. Kubernetes a ainsi mis fin à la fragmentation des outils et simplifié le déploiement d’applications complexes.
En apportant un modèle unifié pour orchestrer les conteneurs, automatiser les déploiements et garantir la reproductibilité des environnements, Kubernetes s’est imposé comme la référence mondiale. Selon la CNCF, en 2024, près de 80 % des entreprises membres utilisaient Kubernetes en production, contre 50 % pour la simple containerisation. Ce chiffre illustre sa position centrale dans l’architecture cloud-native moderne.
L’abstraction comme clé de l’indépendance
L’un des apports majeurs de Kubernetes est la création d’une couche d’abstraction universelle entre l’application et l’infrastructure. Grâce à ses API (Pods, Services, Deployments), il devient possible d’exécuter la même application sur un cluster interne, un cloud public ou une infrastructure souveraine. Là où chaque fournisseur imposait autrefois ses propres API, formats et outils d’automatisation, Kubernetes a normalisé le langage de déploiement et d’exécution des applications.
Cette standardisation libère les équipes techniques de la dépendance aux outils propriétaires. Sur le plan stratégique, elle redonne aux organisations la possibilité de choisir un fournisseur en fonction de critères de performance, de conformité ou de localisation, sans craindre de devoir tout reconstruire. Kubernetes ne supprime pas totalement le risque de verrouillage, certains services managés, systèmes de stockage ou de gestion d’identité conservant leurs spécificités, mais il en réduit considérablement la portée. La décision de choisir un fournisseur de cloud devient ainsi réversible.
Migrer sans s’enfermer
La portabilité de Kubernetes est réelle et permet aux entreprises de réaliser des migrations bien moins traumatisantes qu’avant. En contrepartie, elle exige des choix d’architecture portant sur le stockage, les sauvegardes ou encore les abstractions sur les services managés, pour éviter de recréer un nouveau verrou.
Toutefois, si Kubernetes est bien open source, cela ne garantit pas l’absence totale de verrouillage, car les acteurs peuvent proposer des outils propriétaires autour de la technologie. C’est donc à ce niveau que doit se renforcer l’engagement envers l’open source. Au-delà du simple fait d’utiliser Kubernetes, il est aussi important de comprendre son fonctionnement, de combiner son usage avec des bonnes pratiques, comme le respect des standards CSI/CNI ou la pratique de sauvegardes, et d’éviter les solutions propriétaires non maîtrisées en favorisant l’usage de l’open source.
L’indépendance numérique passe par l’adoption de standards ouverts, par la compréhension des mécanismes logiciels mais aussi par l’instauration d’une discipline architecturale : Kubernetes constitue la brique centrale de cet écosystème. Les utilisateurs pourront prendre le contrôle de leur destin numérique en comprenant mieux sa façon de fonctionner et en améliorant leur maîtrise des outils.








