Quand l’IA Act redéfinit les contours de l’intelligence artificielle en Europe, certains y voient un frein à l’innovation. Pour Nicolas Bourgerie, fondateur de Teach Up, c’est tout l’inverse. L’entreprise, spécialisée dans les IA appliquées au learning, il défend une approche “éthique by design” où la transparence, la co-responsabilité et la confiance deviennent les véritables leviers de performance.
Solutions Numériques : L’AI Act est souvent perçu comme une contrainte pour l’innovation. Vous, vous y voyez une opportunité. Pourquoi ?
Nicolas Bourgerie : Oui, une opportunité, mais surtout une opportunité de réflexion collective. Cela fait plus de vingt ans que je travaille dans le domaine de l’apprentissage, et l’intelligence artificielle est pour moi une chance d’aller plus loin dans la personnalisation et la transmission du savoir. L’AI Act ne bride pas cette dynamique : il pousse les acteurs à se poser les bonnes questions sur l’usage des données, la transparence et la responsabilité. En somme, il incite à créer de la valeur sans perdre de vue l’humain.
SNC : Vous parlez d’une IA “éthique by design”. Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ?
NB : C’est une question de clarté et de transparence. Chez Teach Up, chaque fois que l’IA évalue une personne, nous expliquons ce qui est fait, comment, et à quelles fins. L’apprenant sait si la donnée issue de son entraînement remonte ou non à son manager. Cette visibilité change tout : elle crée de la confiance. Nous voulons que l’IA soit un partenaire d’apprentissage, pas une boîte noire qui agit à la place de l’humain.
SNC : Quels impacts techniques l’AI Act a-t-il sur la conception de vos modèles ?
NB : Le cadre posé par l’AI Act nous oblige à penser tous les cas de figure possibles, notamment ceux où un mauvais usage de la donnée ou de l’évaluation pourrait avoir un impact humain fort. Cela nous pousse à renforcer le contrôle de nos algorithmes : nous avons dû créer des agents qui contrôlent nos agents, pour vérifier que ce que nous faisons est juste et explicable. Le cadre de l’AI Act a surtout rendu cette réflexion collective : il met tout le monde autour de la table, éditeurs comme clients, avec une co-responsabilité sur l’usage des technologies.
SNC : L’IA ne risque-t-elle pas d’homogénéiser les parcours d’apprentissage ?
NB : Au contraire, elle les individualise. Grâce à l’IA prédictive, nous pouvons suggérer à chacun des contenus adaptés à son niveau et à son rythme. Et grâce à l’IA générative, nous produisons des feedbacks instantanés et personnalisés, souvent en moins de dix secondes après un exercice. Loin de standardiser les formations, cela permet d’accompagner chaque apprenant sur son propre chemin de progression.
SNC : Le learning pourrait-il devenir un modèle d’éthique pour les autres secteurs de la tech ?
NB : Je le pense. L’apprentissage touche tout le monde, et l’IA y agit comme un révélateur. C’est un terrain d’expérimentation où l’on mesure immédiatement les effets sur la motivation, la confiance et les compétences. Le secteur du learning montre qu’on peut concilier innovation technologique, performance et respect des individus. Si on arrive à le faire ici, d’autres domaines peuvent s’en inspirer.
SNC : Teach Up revendique une approche “fermée” de la donnée. Pourquoi ce choix ?
NB : Parce que la fiabilité d’une IA dépend du cadre dans lequel elle apprend. Nos modèles sont installés sur des serveurs sécurisés, avec des bases documentaires internes aux entreprises. L’IA ne puise pas dans le web, elle s’appuie sur la connaissance vérifiée et contextualisée de l’organisation. Cela garantit une cohérence et une maîtrise de la donnée que les modèles ouverts ne peuvent pas offrir.
SNC : L’AI Act pourrait-il freiner votre croissance à l’international ?
NB : Pas nécessairement. Oui, les règles européennes sont plus strictes, mais elles nous différencient. Nous préférons grandir avec des partis pris clairs comme la transparence, éthique, responsabilité plutôt que viser la taille à tout prix. Ce sont ces valeurs qui font le succès, y compris face à des concurrents étrangers.








