L’IA peut-elle jouer un rôle pour améliorer l’équité salariale ?

La directive européenne sur la transparence salariale entre progressivement en vigueur, et les entreprises européennes se préparent à un changement profond de leurs pratiques RH.
Pierre Gousset, Vice-Président ventes chez Workday, spécialiste des solutions cloud pour la gestion RH et financière, explique comment l’intelligence artificielle peut soutenir les organisations dans cette transition.

De la conformité à la transformation organisationnelle

Dès 2026, les salariés pourront exiger des informations sur leur rémunération par rapport à leurs pairs. En fonction de la taille des organisations, des rapports détaillés sur les écarts de salaires devront également être publiés. Une évolution légale majeure qui, selon Pierre Gousset, ne se résume pas à un simple exercice de reporting : « Ce n’est pas un sujet de reporting, mais bien d’organisation », insiste-t-il.

Les entreprises devront être capables de comparer des emplois de “valeur équivalente” et répondre, à tout moment, aux demandes individuelles d’information sur les rémunérations.
Cela suppose de collecter et d’analyser des volumes considérables de données, couvrant non seulement les salaires fixes, mais aussi les primes, avantages, gratifications ou rémunérations non monétisées.

Dans ce contexte, l’intelligence artificielle devient un allié précieux. Elle permet d’agréger des données issues de multiples systèmes RH et de les rendre comparables. Grâce à des modèles statistiques et à des algorithmes de corrélation, elle identifie les zones où persistent des écarts inexpliqués, tout en aidant les directions RH à comprendre les causes profondes de ces différences : pratiques managériales, structure des postes, politiques de recrutement, etc.

L’IA, un outil d’aide à la décision

L’analyse de ces données ne vise pas uniquement à constater les écarts, mais aussi à les corriger. L’intelligence artificielle permet désormais de simuler différents scénarios d’ajustement pour en mesurer les effets concrets.
« Nous utilisons des modèles prédictifs qui, au vu des écarts constatés, permettent de déterminer l’impact budgétaire nécessaire pour les combler », explique Pierre Gousset.
« Ces outils donnent aux entreprises la possibilité de simuler plusieurs trajectoires de correction, à six, douze, dix-huit ou vingt-quatre mois, et d’en estimer les conséquences financières. »

« Sans l’appui de l’intelligence artificielle, les entreprises auraient besoin de plusieurs mois pour réaliser ce travail à grande échelle, voire ne pourraient pas le faire du tout », souligne Pierre Gousset. L’automatisation et la fiabilité des calculs deviennent donc essentielles pour répondre à une directive exigeante, qui impose non seulement de mesurer, mais aussi de justifier les différences de rémunération.

Pour les petites et moyennes entreprises, souvent dépourvues de services RH structurés ou de ressources juridiques internes, ces outils offrent également une voie d’accès à la conformité sans recourir à des prestations externes lourdes ou coûteuses. L’IA permet ainsi d’intégrer la transparence salariale dans les systèmes existants, sans rupture technologique majeure.

Entre équité et vigilance

Si l’intelligence artificielle apparaît comme une solution pour objectiver les écarts, elle soulève néanmoins une question essentielle : comment éviter qu’elle ne reproduise les biais qu’elle cherche à corriger ? Pierre Gousset reconnaît que le risque existe, mais il estime que les progrès réalisés ces dernières années ont permis d’en limiter considérablement l’impact, il en parle à propos des recrutements :
« Les algorithmes ne prennent jamais seuls la décision d’exclure un candidat ou d’écarter un profil. Ils proposent, mais la décision finale revient toujours à l’humain », précise-t-il.

Les solutions d’analyse et de recrutement intègrent désormais les réglementations locales en matière de non-discrimination, garantissant une conformité légale dans plus de soixante-dix pays. Et si la neutralité absolue reste un horizon, l’IA atteint déjà, selon lui, « un niveau d’impartialité supérieur à celui d’un recruteur humain ».

La directive européenne sur la transparence salariale marque une étape majeure vers plus d’équité dans les entreprises, mais sa réussite dépendra moins de la technologie que de la capacité des organisations à s’en emparer pour transformer leurs pratiques.