
La cyber est devenue une arme stratégique. Face à l’espionnage chinois, au sabotage et à la désinformation russes, l’Europe doit bâtir une vision commune, soutenir ses talents et renforcer sa souveraineté. À l’occasion de l’European Cyber Week qui se déroulera du 17 au 20 novembre 2025 à Rennes, nous avons interrogé le vice-amiral d’escadre (2S) Arnaud Coustillière qui rappelle l’urgente nécessité d’accroitre la résilience des acteurs.
SN : Les tensions sont importantes avec une possible cyberguerre. Pouvez-vous nous donner votre vision sur la situation ?
AC : En septembre 2025, les actions cyber à portée stratégique se sont intensifiées, avec des attaques ciblant des infrastructures critiques. Plusieurs aéroports européens (Berlin, Londres, Bruxelles) ont été paralysés les 20 et21 septembre par une cyberattaque visant leur système d’enregistrement, illustrant la vulnérabilité des réseaux interconnectés ; quelques jours après des drones « inconnus » perturbent la circulation aérienne civile, dans plusieurs pays européens. L’OTAN prend l’affaire très au sérieux. Un même secteur “harcelé” : coïncidence ou action concertée ?
SN : Ces attaques sont-elles une amorce de cyberguerre ?
AC : Peut-on parler de cyberguerre pour autant. Non car la guerre relève d’un cadre juridique bien normé et s’entend dans une confrontation assumée entre nations ou forces combattantes. Disons qu’ici nous sommes face à des attaques numériques à finalité stratégique très certainement commanditées par un Etat, mais qui justement restent en dessous d’un certain seuil de violence. C’est le brouillard de l’action cyber parfaitement adapté à une situation de crise, ou avant des confrontations plus directes, voire en appui à des négociations, il faut déstabiliser l’adversaire, le harceler, saper sa résilience, frapper son opinion publique, le tester…
Le cyber est une composante qui entre dans un vaste plan global de déstabilisation combinant actions dans le monde réel (drones, survols interdits, entrée dans l’espace aérien ou maritime, actions physiques…) et virtuel (attaque informatiques, fake news, ingérence, propagande…. L’action stratégique des États, tout comme la guerre, est globale.
SN : Quelles sont alors les actions stratégiques des États ?
AC : Ce n’est pas nouveau, la Russie et la Chine sont les principaux acteurs. La première privilégiant le sabotage et la désinformation ; elle amplifie son action sur fond de guerre en Ukraine et de remise à plat des relations au sein du monde occidental, du fait en particulier de la nouvelle doctrine américaine et du style déconcertant du président Trump. La seconde privilégie l’espionnage économique.
SN : Comment les démocraties occidentales peuvent-elles répondre ?
AC : Les démocraties, face à des régimes « désinhibés », se doivent de renforcer leurs défenses, mais aussi et surtout la résilience de leurs sociétés, des entreprises, des secteurs d’intérêts vitaux, des services publics….
Le risque d’intensification des attaques numériques, techniques et informationnelles est réel, l’actualité le montre, avec des conséquences sur la vie quotidienne des citoyens et des entreprises. Les États, mais surtout les entreprises et collectivités, doivent à présent mettre en place les mesures nécessaires, et ne plus faire la politique de l’autruche. Dans trop d’entités et en dépit des sensibilisations lancées depuis 15 ans, le cyber n’est pas pris à bon niveau de priorité.
Notre monde est devenu de plus en plus dangereux, instable et incertain. Le numérique concerne toutes nos activités. S’il n’y a pas encore de cyberguerre, les confrontations sont réelles, les effets constatés et nous sommes tous concernés. Le monde n’est pas près de s’apaiser, bien au contraire ; le risque numérique va s’amplifier. Il est temps de mettre la résilience dans le haut de nos priorités.
SN : Concernant le ECW, dites nous pourquoi il ne faut pas manquer cette nouvelle édition ?
C’est une décennie de réflexion stratégique ! Cette 10ᵉ édition marque un tournant. L’European Cyber Week est devenue un rendez-vous incontournable pour la cybersouveraineté européenne, la cyberdéfense et l’IA pour la défense.
L’European Cyber Week est un carrefour unique entre institutions, industries, startups et acteurs de la défense : c’est l’un des rares événements qui rassemble des experts civils et militaires, des chercheurs, des acteurs étatiques et des entrepreneurs dans un même espace de dialogue, d’échange et de confrontation de visions.
SN : Pourquoi est-ce un événement singulier ?
C’est une vitrine européenne pour les innovations de cybersécurité : les start-ups et sociétés innovantes exposent leurs technologies (post-quantique, IA de défense, …, résilience des systèmes), et ont la chance de pitcher devant des investisseurs et décideurs de premier plan.
Une occasion de bâtir une vision partagée des futures menaces et des réponses politiques : les conférences et tables rondes permettront de discuter des grands enjeux internationaux (cyberguerre, souveraineté numérique, régulation de l’IA, …) et de promouvoir une approche coordonnée et européenne de la cyberdéfense.
L’ECW est l’opportunité de soutenir l’émergence de nouvelles générations de cyber experts : par le biais des challenges, des espaces de formation, et des rencontres, l’ECW est un moment clé de renforcement des compétences en cyber — un enjeu essentiel dans un contexte de pénurie de talents sur ce sujet.
L’évènement met aussi en avant des initiatives dédiées à la diversité, comme le soutien et l’intégration des profils neuro-atypiques, essentiels pour enrichir et renforcer la filière.