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E-déchets et obsolescence programmée sous les feux de l’actualité

E-gaspillage : Apple et Epson font les gros titres, tandis que les déchets électroniques continuent de grossir les poubelles. 

En 2016, 44,7 millions de tonnes d’e-déchets ont été produits sur la planète, soit 8 % de plus qu’en 2014, indique le rapport  » The Global E-waste Monitor 2017  » récemment publié par les Nations Unies. Soit l’équivalent de presque 4 500 tours Eiffel ! La Chine mène la danse, avec 7,2 millions de tonnes de déchets électroniques produits l’an passé. Certes, de son côté, la France ne produit « que » 1,4 million de tonnes de déchets électroniques par an, mais la production rapportée au nombre d’habitants laisse songeur, chaque Français générant en moyenne 21,3 kg de déchets électroniques annuels. Les Allemands font pire : 22,8 kg produits par tête. En 2021, on dépassera dans le monde les 50 millions de tonnes pour atteindre le chiffre de 52,2 millions, avec une croissance annuelle de 3 à 4 % selon le rapport.

34,1 Mt de déchets électroniques passent sous les radars

Seuls 67 pays (66 % de la population mondiale) sont couverts par une législation des e-déchets. « Selon les exigences de la législation, au moins 8,9 Mt de déchets électroniques ont été déclarés officiellement collectés et recyclés par un système officiel de reprise. On estime qu’un total de 1,7 Mt d’e-déchets se retrouve dans les poubelles des pays les plus riches du monde », précise le rapport. Une grande majorité des e-déchets sont gérés en dehors de tout système officiel. Ainsi, 34,1 Mt de déchets électroniques générés dans le monde en 2016 ne sont pas détectés et ne sont pas déclarés, selon les estimations.

Le sort de 34,1 millions de tonnes d’e-déchets reste inconnu.

Etablir des critères de résistance minimum

Alors que les produits électro-ménagers et high tech se multiplient dans le monde, les parlementaires européens ont d’ailleurs demandé l’été dernier à la Commission européenne de légiférer contre l’obsolescence programmée, c’est-à-dire contre la stratégie de réduire sciemment la durée de vie ou d’utilisation d’un produit pour en favoriser le remplacement. Alors qu’un téléphone est changé en moyenne tous les 2 ans, le Parlement souhaite établir une liste de critères de résistance minimum. L’initiative s’inscrit dans le modèle de l’économie circulaire qui vise à réduire la production de déchets dans l’Union européenne en réutilisant, recyclant et réparant davantage nos produits

Pascal Durand

« Nous devons redévelopper la réparabilité de l’ensemble des produits mis sur le marché. Nous devons faire en sorte que les batteries ne soient plus collées, mais soient vissées pour qu’on n’ait plus besoin de jeter un téléphone quand la batterie tombe en panne. Nous devons faire en sorte que les consommateurs soient informés de la durée d’usage des produits et de notre capacité à les réparer »,  Pascal Durand (eurodéputé Verts/ALE, FR), rapporteur du texte.

 

Les rois de la tech, champions de l’obsolescence programmée

Des progrès importants restent effectivement à réaliser. En juillet dernier, une étude menée par Greenpeace et iFixit analysait les 44 smartphones, tablettes et ordinateurs portables les plus vendus entre 2015 et 2017 afin de déterminer leur niveau de réparabilité : démontage des appareils, disponibilité de pièces de rechange, présence d’un manuel de réparation, absence de nécessité d’outils spécifiques pour les remettre en état de marche… 17 marques au total avaient été testées. Dans la catégorie des smartphones, Samsung obtenait les pires notes : un 3 sur 10 pour son Galaxy S7 et S7 Edge, un 4 sur 10 pour le S8. Fairphone avec le Fairphone 2 était le seul à obtenir une note de 10/10. Apple était épinglé sur ses ordinateurs portables, le Retina MacBook et le MacBook Pro 13” Touch obtenant tous les deux un petit 1 sur 10. Le Surface Book de Microsoft obtenait la même, mauvaise, note. Dell et HP se démarquaient avec la meilleure note, 10/10, sur les Dell Latitude E 5270 et HP EliteBook 840 G3 Notebook PC. Côté tablette, si Apple arrachait un 2 sur 10, Microsoft était le dernier de la classe avec sa Surface Pro 5. Noté 10/10, le HP Elite X2 1012 G1 surpassait, en bien, tous les concurrents. En décembre, Apple a admis ralentir volontairement les anciens modèles d’iPhone, relançant le débat de l’obsolescence programmée.

Première action judiciaire française

Le 18 septembre dernier en France, l’association HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée) déposait une plainte contre les fabricants d’imprimantes pour « obsolescence programmée ».  Brother, Canon, Epson et HP figuraient parmi les marques citées par HOP les accusant de mettre en œuvre des « pratiques qui visent à raccourcir délibérément la durée de vie des imprimantes et des cartouches ». Il s’agissait de la première action judiciaire française menée sur le fondement du délit d’obsolescence programmée. HOP avait étayé sa démarche avec un rapport détaillé. « Ce rapport révèle que les pratiques dénoncées touchent l’ensemble des fabricants. Il appartient désormais au Procureur et à la justice de s’en assurer via notamment des expertises judiciaires. Ces faits pourraient aussi révéler une entente illégale entre les fabricants d’imprimante. C’est pourquoi nous avons également informé l’Autorité de la concurrence. Des millions de français propriétaires d’imprimantes pourraient être lésés », indiquait alors l’avocat de l’association, Me Emile Meunier.

Parmi les techniques mises en cause par l’association, « des éléments des imprimantes, tel que le tampon absorbeur d’encre, sont faussement indiqués en fin de vie » ou encore « le blocage des impressions au prétexte que les cartouches d’encre seraient vides alors qu’il reste encore de l’encre ». Si elles sont avérées, ces pratiques pourraient être qualifiées d’obsolescence programmée reconnue comme un délit depuis la loi Transition énergétique de 2015, et passible de deux ans de prison, de 300 K€ d’amende et d’une sanction financière pouvant atteindre 5% du chiffre d’affaires de l’entreprise coupable.

Le Procureur de la République de Nanterre, récepteur de la plainte de HOP, a donné suite à cette affaire. Une enquête préliminaire pour « obsolescence
programmée » et « tromperie » visant le fabricant d’imprimantes Epson a été en effet ouverte le 24 novembre à Nanterre. L’enquête, qui devra démontrer l’intention du fabricant, a été confiée aux services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), relevant du ministère de l’Economie. Des class actions contre des constructeurs d’imprimantes ont déjà été menées aux États-Unis, et certaines ont été remportées par les consommateurs. Mais s’attaquer au modèle consumériste est une tâche rude, « un produit qui ne s’use pas est une tragédie pour les affaires », lisait-on déjà en 1928 dans une revue spécialisée.