Accueil Business «Tester et laisser mourir… Leave and let die» d'Olivier Denoo

«Tester et laisser mourir… Leave and let die» d'Olivier Denoo

Un peu d'humour dans un monde de tests…Le Comité Français des Tests Logiciels présente « Tester ou laisser mourir », un nouvel épisode de la série des « Bond-ieuseries », le best-seller des professionnels du test logiciel, signé Olivier Denoo, vice-président du CFTL. Dans cette nouvelle aventure de l'agent Triple Zéro, Olivier Denoo s'interroge sur la légitimité de tester à l'heure où les applications mobiles sont de plus en plus éphémères. Notez qu’à l’occasion des 10 ans du CFTL, un recueil  de toutes les bond-ieuseries, illustré par Cointe, va bientôt sortir.

Londres – Mayfair – quelque part entre Picadilly et Oxford St

La sonnerie avait interrompu sa série télé favorite – Derrick allait attraper le vilain Schnitzel  qui avait renversé le chien de Klaus – et c’est fort mécontent, et la charentaise au poing, qu’il alla accueillir le gêneur. Bond crut d’abord à un piège ou à une farce lorsque le facteur lui remit un colis en provenance du Mexique.

Puis, tout lui revint en mémoire : Acapulco[1], Véra…ou était-ce Alma ?, et le réceptionniste. Il déballa donc le paquet contenant son arme de service. Elle était accompagnée d’une lettre dactylographiée contenant un bien étrange texte : « Si vous voulez savoir à quoi elle a servi, passez sur BBC1 »

Bond s’exécuta sans trop se poser de question. La chaîne diffusait un programme culinaire sans grand intérêt, où un candidat malheureux tentait de récupérer un soufflé quasiment carbonisé sous les quolibets d’un chef connu.

Avec l’acuité qui le caractérise, 000 relut la lettre, incrédule. En rouge et en gras, il était inscrit en bas de page :

« BBC1, j’ai dit ! pas Sports Channel, triple buse ! »

– Ah oui, en effet, merci, dit Bond pour lui-même en changeant de chaîne.

Sur BBC1, un journaliste d’investigation relatait le meurtre toujours inexpliqué du Cheick Hassan huit jours plus tôt au Grand Hôtel d’Acapulco. Le dignitaire des E.A.U. grand ami de la Grande Bretagne et ami personnel de SM le Prince Charles, y avait été assassiné dans des conditions particulièrement mystérieuses. Des documents confidentiels mentionnant une liste d’agents secrets ennemis en service au Moyen Orient aurait été dérobée alors qu’il s’apprêtait à la remettre à un agent du MI5. Dans des circonstances non moins mystérieuses, ce dernier aurait disparu. Les enquêteurs n’excluent donc pas l’hypothèse d’un meurtre perpétré par un agent double ou retourné.

Bond éteignit le récepteur, médusé. Il contempla l’arme du crime dans sa boîte, elle était accompagnée d’une douille – il y avait eu trois coups de feu, selon les enquêteurs, nul doute que les deux autres avaient été laissées sur le terrain pour l’accabler. Au dos du paquet, Bond trouva encore un petit mot à son attention : « vous voulez en savoir plus ? Rendez-vous après demain à la Suite 456 Hôtel Fairmont aux Bermudes, elle est réservée à votre nom…et ne tardez pas, votre vol part dans moins de deux heures »
On aurait presque pu entendre un rire satanique retentir en guise de point final. 000 envoya un mail à M
[2], puis se mit en route vers Heathrow et son destin.

Langley (siège de la CIA)

A plusieurs milliers de kilomètres de là, le directeur général de l’agence américaine, qui répondait au nom de code JOB, venait de recevoir un rapport accablant concernant un agent britannique en service.

Il convia dans son immense bureau capitonné l’agent de terrain Smith qui le lui avait fait parvenir, puis passa la bande sonore, une fois encore, en attendant sa venue. On y entendait distinctement l’agent discuter avec une voix féminine non répertoriée que Smith attribuait à un agent ennemi :

000 – J’en ai un peu marre de faire toujours la même chose pour les mêmes gens…

Xxx – cela tombe bien, je dois te retourner…

000 – Mais je ne demande que cela…

Xxx  – si tu veux que cela marche tu devrais tuer Cheick Hassan qui vient de débarquer au Grand Hôtel. Le matériel est dans la valise.

000 – cela va être chaud

xxx – c’est pour demain

Job interrompit l’enregistrement

–  Vous êtes sûr ?  aboya Job à l’adresse de Smith, qui venait d’entrer. L’autre se contenta de hocher de la tête pour toute réponse.

– Mais encore ?  Il faut que je sois 100% sûr, sinon les rosbifs ne vont pas me louper

– Les balles correspondent, la voix est la sienne…on l’a passée au scanner, on a même trouvé un fragment d’empreinte plein de confiture sur le bouton de porte

– De confiture ?

– Est-ce que je sais, moi, peut-être s’est-il envoyé un plein de scones ou un doughnut aux framboises avant de buter l’autre roi du pétrole, allez savoir !

– Et cet « ami qui nous veut du bien » ?

– Un vrai courant d’air. Il nous a conduits à l’enregistrement, puis il a disparu sans laisser de traces. Un pro, sans aucun doute.

– Et pourquoi nous aiderait-il, selon vous ?

– Peut-être est-il lui-même l’un des agents menacés sur cette fameuse liste…ou simplement un mari jaloux, vu le comportement un peu volage de 000

– Mmmh ! Et la liste en question ?

– Aucune idée. Il faudra sans doute lui demander quand on mettra le grappin sur lui

– Justement c’est pour bientôt. Si mes informations sont correctes – et elles le sont toujours…sauf pour l’Irak…enfin bref – il devrait résider aux Bermudes pour deux nuits.

– Alors il faut faire vite, ils vont sans doute en profiter pour l’exfiltrer vers Cuba. Ce serait donner des baies aux cochons.

– Des diamants aux porcs, voulez-vous dire ? Bien, vous prenez en charge les opérations et moi je contacte M et sa clique de bons samaritains pour leur annoncer la bonne nouvelle.

– J’aime mieux pour vous…

Bermudes 5 décembre 2014 – Hôtel Fairmont

– Votre suite, Mr Bond

– Merci, elle sera parfaite, dit 000 en remettant un généreux pourboire au garçon d’étage.

Quand la fille en tanga rouge sortit de la salle de bains, il lui dit simplement :

– Je vous attendais

– C’est le Dr DeNoo qui m’envoie, répondit-elle simplement. Nous avons encore un peu de temps devant nous avant son arrivée. Le champagne vous convient ?

– Oui, votre employeur fait bien les choses, Kidibul[3] est ma marque favorite

– Je prends cela pour un compliment, dit la fille en s’allongeant sur les draps repassés de frais, servez-moi donc un verre histoire de rendre l’attente moins longue.

La nuit promettait d’être longue et riche en rebondissements.

Sur un aéroport militaire de Floride, un hélicoptère de combat équipé pour les missions furtives venait de charger un commando d’intervention rapide armé jusqu’aux dents. Le Lt Marlowe commandant l’expédition attendit le feu vert de l’agent Smith, son officier de liaison, avant de donner le signal de départ. Le destin était en marche et rien ne pourrait plus l’arrêter (sauf moi, chers lecteurs, mais cela vous le découvrirez dans notre prochain et dernier épisode des Bondieuseries.)



[1]Citron ou orange, au choix

[2]« M, ne croyez pas ce que disent les journaux, ce sont tous des vendus de bolcheviks. Je prends 4 jours de RTT, je serai de retour au bureau lundi prochain, bizzz votre B.B.000»

[3] Cidre sans alcool (pour enfants) de la marque Stassen

 

Lors de la dernière Journée Française des Tests Logiciels, il y a quelques mois déjà, j’avais eu le plaisir de m’interroger publiquement[1]  sur le(s) devenir(s) possible(s) de notre profession et sur la manière dont notre marché, en perpétuelle mutation, était prêt à valoriser les métiers du test. (http://www.youtube.com/watch?v=WkXj8Ihbk0g)

 

Il est temps pour moi, en conservant dans un premier temps le même style narratif, de vous livrer quelques réflexions complémentaires sur ce sujet crucial pour notre profession :

 

24 janvier 2014 – 11h58 quelque part en Belgique

 

En me connectant sur ma boîte mail privée, je découvre une annonce publicitaire d’un distributeur de café mondialement connu qui me vante les qualités gustatives exceptionnelles de son dernier grand cru. Aguiché par cette annonce – je dois bien vous l’avouer, je suis un gourmet et un gourmand – mais aussi par la qualité souvent exceptionnelle des publicités en ligne de cette marque, je clique sur le lien destiné à m’amener sur le site web promotionnel[2] et je découvre, derrière les images aussi léchées qu’alléchantes… « une hénaurme fôte d’aurtografe ». Le genre de fautes que même la récente réforme ne pourrait excuser, une faute du genre que l’on obtient en traduisant « brut de fonderie » un site chinois dans Google Translate en passant par le « youpoltchèque oriental » comme langue intermédiaire.

 

24 janvier 2014 – 14h33 à Villeneuve d’Ascq (59)

 

Fier de ma trouvaille – il s’agit après tout d’un groupe mondialement connu et brassant, outre l’arabica et le robusta, des millions d’euros en bourse – je décide faire découvrir l’infâme coquille à mes collaborateurs et là, déception totale, le site affiche maintenant une page parfaitement correcte au sens orthographique s’entend[3].

 

Certes, il n’y a là rien d’extraordinaire. Aujourd’hui, plus personne dans le monde du web ne s’étonne d’une telle mise à jour « express ». Ce mode est d’ailleurs couramment utilisé et certaines pages peuvent ainsi être mises à jour plusieurs fois par jour.

 

Dans le même veine, les applications mobiles – qui selon les analystes spécialisés – représentent l’avenir de l’informatique[4], subissent mises à jour et correctifs à un rythme effréné[5] ; et ce ne sont pas les joueurs qui me contrediront tant la valse des livraisons successives s’accélère au fil du temps.

 

Oui, et alors, me direz-vous ?

 

Et alors, chers lecteurs, je m’interroge.

 

Je m’interroge sur ces comportements qui nous paraissent si naturels – après tout, il est bien normal de corriger des défauts avérés rapidement, non ?

 

Je m’interroge aussi sur les conséquences de ces mises à jours perpétuelles, au fil de l’eau ; sur ces pratiques que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier d’agiles – sans doute parce qu’ils n’ont rien compris de la philosophie Agile, de ses méthodes et de ses contraintes – quand je ne puis que les qualifier, pour ma part, de chaotiques ; sur le rôle du testeur et sur les risques associés à une toujours possible régression.

 

En cédant à ce culte de l’immédiateté tant pratiqué par les générations Y et C[6], en banalisant des comportements pas si ordinaires qu’il y paraît, en créant des attentes chez nos utilisateurs, ne sommes-nous pas en train de confondre vitesse et précipitation[7] ?

 

A l’heure où les testeurs se sentent de plus en plus écartelés entre Métier, Utilisateurs, DSI et Production[8], quel sera leur véritable rôle face à des applications de plus en plus éphémères quand elles ne sont pas tout simplement jetables ?

 

Quel niveau de qualité peut-on bien exiger d’une application :

 

dont la durée de vie est ou peut paraître éphémère

 

pour laquelle tous s’attendent à de fréquentes et rapides mises à jour

 

pour laquelle le niveau d’attentes en matière de fonctionnalités voire de qualité reste souvent flou (sorte d’attente passive du consommateur – ou « run » d’essai du produit)

 

pour laquelle les Conditions Générales de Vente annoncent haut et clair que quoi qu’il arrive, ce sera votre faute et qu’aucune réclamation en dommages et intérêts ne pourra s’appliquer

 

qui réutilise sans se poser de questions et surtout sans y contribuer le moins du monde, bibliothèques et composants ouverts à tous (NDLA : sans faire un procès quelconque à ces derniers ni pratiquer une comparaison ou un jugement de valeur par rapport à leurs pendants commerciaux ou propriétaires)

 

dont le positionnement est tout au début de la phase de maturité

 

dont le développement est souvent assuré par de nouvelles structures qui vont et viennent au gré des modes et des tendances et qui ont peu à perdre et tout à gagner.

 

pour laquelle les contrôles « institutionnels » ou « communautaires » se révèlent insuffisants[9]

 

Sommes-nous en train de répliquer un modèle qui a fait ses preuves dans la société d’ultra-consommation des années ’70 et ’80 et qui est aujourd’hui vivement contesté par la vague écologique, celui du prêt-à-jeter, de l’usage unique ?

 

A l’heure où nous changeons de portable tous les 6 mois et où les appareils électroniques, de plus en plus connectés[10] ou communicants remplissent les poubelles de l’histoire technologique et du monde[11], je m’interroge enfin sur le rôle du testeur et sur son évolution face à ces incroyables défis.

 

Là où aujourd’hui nous avons tant de difficultés à convaincre les décideurs de la valeur et de la valeur ajoutée de notre communauté, il nous faudra redoubler d’efforts pour éviter demain d’être sacrifiés à l’éphémère et tout simplement jetés avec l’eau du bain. Le testeur jetable, en quelque sorte !

 

Pourtant, je reste confiant dans nos capacités à rebondir, à nous adapter sans cesse à cette société qui change et se réinvente. Car après tout, derrière toute application, même volatile ou éphémère, se cache un business, un moyen de générer des revenus et des bénéfices, quels qu’ils soient. Et s’il y a de l’argent en jeu, alors il y a un risque et une nécessité de le couvrir…et donc un besoin, fût-il ténu[12] de qualité…et donc de test. A nous de savoir le comprendre et de pouvoir l’adresser.

 

Passent les applications, passent les modes et les années….tester et laisser mourir, telle est notre nouvelle devise…éphémère.

 

 



[1]Au travers d’un OVNI visuel et sémantique appelé « palindrome »

[2]Et accessoirement à soulager mon portefeuille – électronique s’entend – de quelques € supplémentaires

[3]Je serais même passé pour un vantard ou un plaisantin si je n’avais pas pris le soin de faire une capture d’écran de mon éphémère trouvaille 

[4]Le XXIe siècle sera connecté dans le cloud ou ne sera pas – aurait pu dire A. Malraux s’il avait connu la révolution informatique…ou pas, allez savoir !

[5]Cela doit bien faire la 10ème fois que je télécharge la même application depuis que j’ai reçu mon nouveau portable, c’est dire

[6]On se croirait dans un roman d’A. Huxley, vous ne trouvez pas ? (non je prétende comparer ma plume à celle de ce maître de la littérature, cela va de soi, je faisais juste référence aux « castes » de ce Brave New World connecté)

[7]La réponse face au risque majeur qu’OpenSSL a fait peser sur le web en est un bel exemple, puisque, selon un récent article de LMI, l’application erronée ou insuffisante des consignes correctives a amené de nombreux sites à s’exposer encore plus à la vulnérabilité qu’avant même leur application – http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-heartbleed-des-erreurs-dans-l-application-des-certificats-et-des-correctifs-57441.html

[8]Que les méthodes Agiles et les pratiques DevOps me jettent la première pierre…

[9]Je n’en veux pour preuve que la recrudescence de faux antivirus sur les plateformes officielles de Google, Apple ou Microsoft (par exemple : http://geeko.lesoir.be/2014/04/08/virus-shield-un-faux-antivirus-vendu-plus-de-10000-fois-sur-android/)

[10]On attend plus de 10 milliards d’objets connectés d’ici à 10 ans, entendais-je encore récemment

[11]Surtout celui en voie de développement, pour ce qui est des décharges en tout cas

[12]Et pas futile et nu