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L’impression 3D, quels enjeux pour la propriété intellectuelle ?

Garance Mathias
Garance Mathias, avocat à la cour

Risques de contrefaçon ? Les risques sont plus à chercher du côté des réseaux du crime organisé que des particuliers. Le point avec Garance Mathias, Avocat à la Cour (www.avocats-mathias.com).

Selon la norme NF E 67-001, la fabrication additive ou impression 3D désigne un ensemble de « procédés permettant de fabriquer, couche par couche, par ajout de matière, un objet physique à partir d’un objet numérique ». En d’autres termes, aucun outillage n’est nécessaire si ce n’est le logiciel de conception assistée par ordinateur (CAO).

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’impression 3D n’est donc pas une nouveauté. Cependant, cette technologie a fait l’objet d’une médiatisation relativement récente, certainement expliquée par le fait qu’elle est arrivée à maturation et que ses distributeurs souhaitent en faire un produit de consommation grand public.

Les industriels inquiets des risques de contrefaçon

L’inquiétude des industriels porte donc sur l’usage que pourraient en faire les particuliers. A titre d’illustration, un modèle numérique d’une coque de smartphone serait téléchargé par un internaute. Ce dernier le reproduirait alors à l’identique sans l’autorisation du titulaire des droits de propriété intellectuelle portant sur cet objet. En termes juridiques, il s’agirait d’une contrefaçon.

La contrefaçon se définit comme la reproduction ou l’utilisation totale ou partielle d’un droit de propriété intellectuelle sans l’autorisation de son titulaire. De manière générale, cela consiste à imiter frauduleusement ou à fabriquer un bien au préjudice de la personne qui avait seule le droit de la fabriquer ou de la reproduire.

Pour l’anecdote, un internaute avait partagé un support de smartphone reprenant la forme du trône de la fameuse série Game of Thrones, la chaîne américaine HBO avait donc engagé des démarches pour faire retirer ce modèle numérique qui permettait aux propriétaires d’imprimantes 3D de le reproduire dans la matière de leur choix.

Tous les droits de propriété intellectuelle sont concernés en ce qui concerne la fabrication additive. Il peut s’agir d’une atteinte au droit d’auteur mais aussi à un brevet, un dessin et modèle ou une marque tridimensionnelle (comme la bouteille Coca-Cola®).

Les inquiétudes des industriels sont-elles fondées ?

Nous nous interrogeons sur l’accessibilité de telles imprimantes 3D pour un consommateur lambda (paramétrage, achat, etc.) et ce même si Gartner prévoit une perte de plus de 100 milliards de dollars par an en termes d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle à partir de 2018.

Il nous semble que l’inquiétude des industriels et des créateurs devrait plutôt se concentrer sur les réseaux de criminalité organisée. L’imprimante 3D pourrait effectivement se substituer à une main d’œuvre clandestine. La contrefaçon est en effet souvent intégrée à de vastes ensembles mafieux, s’agissant d’une source de revenus peu risquée, en comparaison avec d’autres activités criminelles comme la prostitution ou le trafic de stupéfiants ou d’armes. Déjà en 2003, le Conseil des Ministres de l’Union européenne déclarait « La contrefaçon est un vecteur pour le crime organisé et ne peut, dans sa complexité et sa gravité, être comparée qu’au trafic de stupéfiants ou d’armes. ».

Quelles solutions pour les victimes ?

Deux voies sont possibles pour les victimes de contrefaçon, le civil et le pénal. Cependant, en France, les actions au pénal sont rares et les peines sont rarement prononcées à leur plus haut niveau. La commission du délit de contrefaçon en bande organisée est passible de cinq ans d’emprisonnement et de 500 000 euros d’amende. Cela est loin d’être dissuasif pour les contrefacteurs « professionnels ». A titre de comparaison, l’importation, l’exportation, la production et la fabrication illicites de stupéfiants en bande organisée sont passibles de 30 ans de réclusion criminelle et 750 000 euros d’amende, voire la réclusion à perpétuité pour les dirigeants de tels réseaux.

Sur le plan civil, le régime d’évaluation des dommages et intérêts a évolué. Compte tenu de la montée en puissance de la grande criminalité, l’Union européenne a engagé des travaux d’harmonisation des procédures et des sanctions civiles (notamment à travers la directive du 29 avril 2004 instaurant un nouveau régime de responsabilité du contrefacteur). Ainsi, la loi du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon concernait entre autres la réparation du préjudice des victimes de contrefaçon. Désormais, pour le calcul des dommages et intérêts, les juridictions doivent notamment prendre en compte l’ensemble des profits réalisés par le contrefacteur, c’est-à-dire ses bénéfices et ses économies d’investissements.