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DROIT DES CADRES A LA DECONNEXION « La fermeture à 18 heures procède de la désinformation »

Suite à l’accord portant sur les forfaits jours passé entre le patronat des sociétés d’ingénierie et de conseil et des bureaux d’études (Syntec et Cinov), la CFDT et la CGC, et affirmant une « obligation de déconnexion des outils de communication à distance », Solutions & Logiciels IT revient sur le sujet. Max Balensi, délégué général de la Fédération Syntec, répond à nos questions.

 

Solutions & Logiciels IT : Vous avez passé un accord de branche, plus précisément il s'agit d'un avenant, sur la durée du travail de la branche des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs conseils, sociétés de conseils. De quel accord s'agit-il précisément ?

Max Balensi : Il convient de faire un rappel sur la situation antérieure au 1er avril 2014 : l'accord Syntec du 22 juin 1999 a été déclaré insuffisant par la Cour de cassation. La Cour de cassation, dans un arrêt du 24 avril 2013, a stipulé que l'accord Syntec du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail n'était « pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié ».

En conséquence, il n'était pas possible de mettre en œuvre des conventions individuelles de forfait jours valables sur la base d'une application directe de l'accord Syntec du 22 juin 1999. La nullité de ces conventions était ainsi encourue et donnait lieu à des demandes importantes de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires en cas de contentieux. Cette situation était très problématique pour de nombreuses entreprises de la branche Syntec qui, compte tenu de leur taille, et en l'absence de représentants du personnel avec qui négocier des accords d'entreprise, faisaient donc une application directe de l'accord du 22 juin 1999.

Quels types de salariés sont concernés et combien ?

Les métiers couverts par la branche Syntec sont le numérique, l’ingénierie, les études, le conseil et l’évènementiel. Ce sont des prestations intellectuelles. Les salariés en forfait jours sont des cadres en autonomie complète. Ils représentent de 200 000 à 250 000 salariés, qui sont en général dotés d’outils permettant la mobilité (smartphone, PC portable…). Il faut donc tenir compte des « relations numériques de travail », d’autant que certains d’entre eux peuvent se déplacer.

Qu'est-ce que cette « obligation de déconnexion des outils de communication à distance » ? Pourquoi vous semble-t-elle nécessaire ?

L’avenant du 1er avril 2014 s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui, depuis le 17 février 2004, stipule qu’un employeur ne peut pas sanctionner ou licencier un salarié qui n’a pas répondu aux appels téléphoniques sur son téléphone portable pendant son temps de repos. Il s’inscrit également dans une continuité de prévention de la santé au travail et notamment de l’avenant du 19 février 2013 sur les risques psychosociaux. L’obligation de déconnexion des outils de communication à distance pour le salarié participe à la garantie d’un véritable temps de repos et répond aux impératifs de garantie de la santé et de la sécurité du salarié tels qu’énoncés par la Cour de cassation le 24 avril 2013.

L’avenant du 1er avril 2014 crée une obligation de déconnexion pour le salarié durant ses heures de repos : « L’effectivité du respect par le salarié de ces durées minimales de repos implique pour ce dernier une obligation de déconnexion des outils de communication à distance ».

L’avenant ne crée donc pas une obligation générale de déconnexion des outils de communication (notamment Internet) à la charge de l’employeur à partir d’une certaine heure.

L’avenant n’interdit pas à l’entreprise et à ses salariés d’envoyer des emails après 18 heures contrairement aux publications fantaisistes de la presse étrangère. L’avenant n’a pas institué une obligation pour l’employeur de bloquer les messageries ou les téléphones de ses employés durant certaines plages horaires.

Cette obligation de déconnexion repose sur le salarié puisque l’employeur se doit simplement de prendre « les dispositions nécessaires afin que le salarié ait la possibilité de se déconnecter des outils de communication à distance mis à sa disposition » pendant son temps de repos. En termes clairs, chaque employeur devra permettre à son salarié de couper son téléphone professionnel ou d’éteindre son ordinateur, mais pas de bloquer par exemple l'accès à ses emails à partir d’une certaine heure. C’est au salarié d’effectuer l’action de couper son téléphone et son ordinateur.

Pourquoi le terme « obligation » est-il employé ? Les entreprises doivent-elles fermer leur messagerie à partir d'une certaine heure par exemple ?

Non, les entreprises ne devront pas fermer leur messagerie à partir d’une certaine heure. Cela n’est pas possible car elles doivent assurer les services à leurs clients, gérer leurs activités dans un contexte international pour beaucoup… Bref ce n’est donc pas envisageable car simplement pas opératoire. Cela n’a du reste pas été sérieusement envisagé, même si proposé par des organisations syndicales dans le cadre de la négociation.

La fermeture à 18 heures relayée par une partie de la presse anglo-saxonne procède de la désinformation. En pratique, il n’y a pas d’obligation générale de déconnexion à la charge de l’employeur. Le salarié en forfait jours a l’obligation de déconnexion des outils de communication à distance pendant son temps de repos, étant entendu qu’il s’agit d’un salarié autonome dans la gestion de son temps de travail et de son temps de repos. C’est au salarié de couper son téléphone portable ou de ne pas consulter sa messagerie. L’employeur ne pourra pas le sanctionner ou le licencier d’avoir déconnecté des outils de communication.

L’employeur s’assure des dispositions nécessaires : dans la convention de forfait, il est recommandé à  l’employeur de lister les outils de communication à la disposition du salarié (smartphone ou ordinateur portable par exemple) et de mentionner cette obligation.

Coresponsabilité, dialogue et pragmatisme, telle est  la trilogie qui devrait permettre de préserver la santé des salariés