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L'ERP à l'ère du Big Data

Au cœur même des SI des entreprises, comment ce géant indispensable qu'est l'ERP s'accommode-t-il des grandes tendances IT actuelles ? Nous avons mené l'enquête auprès de quelques éditeurs représentatifs du marché français.

On a souvent tendance à opposer l'ERP, technologie réputée ancienne, parfois même présentée comme obsolescente, aux nouvelles tendances de l'IT que sont le Big Data, mais aussi la Mobilité, le Cloud et les réseaux sociaux. Or, s'il est une application qui se trouve au cœur de l'activité de l'entreprise, c'est bien l'ERP : depuis la chaîne commerciale, de la prise de commande voire même en amont si l'on considère que le CRM en fait partie, jusqu'à la comptabilisation en passant par la logistique, les stocks ou encore la production, il est indispensable. L'ERP renferme des informations factuelles et objectives, des données structurées essentielles au fonctionnement de l'entreprise.

A contrario, toutes les tendances actuelles, du Big Data aux réseaux sociaux, peuvent être considérées comme des améliorations fonctionnelles, techniques et technologiques de ces briques de base. Consulter un compte client, c'est bien. Le consulter depuis l'extérieur de l'entreprise, voire depuis chez le client lui-même, c'est plus efficace. Prendre des décisions sur la base de gros listings statistiques, c'était bien. Le faire grâce à un tableau de bord apparaissant sur son poste de travail, voire sur sa tablette, c'est plus pratique. Mais ces technologies viennent en plus, se greffent par-dessus l'ERP, pour en analyser les données, les comparer à celles des réseaux sociaux, les restituer à l'autre bout du monde ou les stocker quelque part dans le nuage.

Nous avons demandé à divers éditeurs d'ERP de quelle manière ils appréhendaient ces tendances et les intégraient dans leurs produits pour répondre aux demandes de leurs clients, si demande il y a.

Cloud et SaaS

L'approche du Cloud est très réservée lorsqu'il s'agit de l'ERP. Ainsi Infor a-t-il une stratégie hybride : «nous proposons à nos clients d'avoir à la fois des applications on-premise et sur le Cloud», explique Frédéric Champalbert, directeur général pour la région EMEA. «La gestion des notes de frais, des RH, la GMAO sont de bons candidats pour le Cloud. Mais le cœur de l'ERP n'est pas sur le Cloud». L'offre ERP sur le Cloud est toutefois en cours de construction chez Infor. «Notre démarche consiste à proposer des solutions adaptées à chacun de nos clients et à son métier. Sur des processus critiques, le Cloud ne permet pas, surtout lorsqu'on est en vrai SaaS, c'est-à-dire en multi-tenant (ou multi-locataire), d'avoir des facteurs différenciateurs. Non seulement l'utilisation de logiciels standard ne convient généralement pas, mais la standardisation est une cause majeure d'échec».

«Parmi les clients de Qualiac, il n'y a pas réellement de demande en SaaS», constate Vincent Lieffroy, chargé de la stratégie marketing de l'offre de l'éditeur. Et d'ajouter, à l'instar de son confrère d'Infor, que des applications comme la gestion des notes de frais lui paraissent bien plus  adaptées au Cloud que l'ERP. Pourtant, là aussi, un portage de Qualiac ERP dans le Cloud est en cours d'expérimentation. Le chantier a été initié cet été et «le but est de proposer des solutions plus simples aux clients», précise Vincent Lieffroy.

Même constat chez Eurêka Solutions : «ERP et SaaS ne font pas bon ménage, car les clients ont toujours un minimum de spécifique», commente Henri Stuckert, son président. «Une gestion de production est difficile à mettre dans le Cloud, car les processus sont souvent particuliers. Nous ne croyons pas à l'ERP en SaaS».

Sylob en revanche, s'inscrit dans la démarche inverse et souhaite pousser une offre Sylob cloud, adaptée aux PME en termes de tarifs et de souplesse, qui sera annoncée lors du prochain salon ERP, début octobre. «Il y a encore des freins à l'adoption de ce type d'offres», constate Jean-Marie Vigroux, président de Sylob. «Nos clients se posent des questions quant à la sécurité, mais l'hébergement extérieur est plus sûr que des serveurs internes. Les entreprises doivent pouvoir se concentrer sur leur cœur de métier et confier la gestion de l'infrastructure à des professionnels qu'ils ne sont par définition pas». Cette offre reposera sur un hébergement chez Caplaser à Castres et sera en fait de l'ASP et non du véritable SaaS multi-tenant.

Mobilité

Les éditeurs sont beaucoup plus enthousiastes par rapport à la mobilité, qu'ils considèrent comme un vrai besoin des entreprises à l'heure actuelle.

«Nous ressentons des besoins en la matière chez nos clients, qui veulent disposer d'outils collaboratifs», constate Henri Stuckert. «Il est nécessaire de pousser l'information vers ceux qui en ont besoin. Cependant, le mouvement se fait doucement : certaines entreprises sont frileuses et rechignent encore à faire sortir les informations de leur système d'information, ne serait-ce que pour que les commerciaux ne partent pas à la concurrence avec elles». L'offre d'Eurêka Solutions intègre un CRM full Web interagissant avec l'ERP. Des applications pour smartphones ont également été développées. En dehors de cela, l'ERP demeure accessible via une connexion 3G, mais aucune application spécifique n'a été développée pour l'instant.

La nouvelle génération de produits d'Infor, baptisée 10x, intègre des fonctionnalités permettant de concevoir, de construire et de déployer des applications mobiles et de les intégrer aux applications en place. Road Warrior, par exemple, est la partie mobile du CRM. «Il permet d'accéder à la base clients, de gérer ses leads, les comptes, les ordres, la facturation etc.», précise Frédéric Champalbert. Infor propose de nombreux autres outils mobiles, comme Motion Shop Floor, qui permet de contrôler l'atelier de production en faisant par exemple des déclarations en ligne sans se déplacer. Motion Activity Deck, quant à lui, permet de piloter les indicateurs à partir de déclencheurs et d'alertes et d'utiliser les applications où on le souhaite. Le middleware Ion donne une autre dimension à la mobilité et assure la connexion entre les applications, Infor ou non, comme par exemple pour faire dialoguer Infor M3 et Salesforce.com. «Ion intéresse beaucoup nos clients», assure Frédéric Champalbert.

Vincent Lieffroy ne peut que confirmer les besoins de ses clients en matière de mobilité : «c'est très important et l'ERP est concerné. C'est un axe de développement pour nous», commente-t-il. Chez Qualiac, des solutions mobiles vont sortir d'ici quelques jours, sur plusieurs plateformes. La GMAO sera la première de ces applications. Puis, au fil de l'eau, ce sera le suivi d'inventaire physique et la gestion des notes de frais. «Il y aura aussi une version mobile de notre module XRM pour la gestion des contacts, mais aussi la validation des commandes d'achats», indique Vincent Lieffroy. XRM, pour eXtended Relationship Management, est l'offre Qualiac de gestion, qualifiée d'étendue, de la relation client, censée en donner une «vision 360°».

Réseaux sociaux

Les éditeurs d'ERP amalgament en général réseaux sociaux et fonctions collaboratives. Ainsi, chez Qualiac cherche-t-on à disposer «de vraies fonctions collaboratives dans le module XRM, capables de gérer tous les tiers, la messagerie instantanée etc.», nous explique Vincent Lieffroy qui assure qu'il y a parallèlement un travail en cours pour récupérer des informations depuis Linkedin, pour s'intégrer dans une vision «self-service». Mais il admet que «les réseaux sociaux ne sont pas vraiment au cœur de l'offre», tout en estimant que cette technologie n'est pas mature.

Henri Stuckert considère que le workflow de services permettant de gérer les notes de frais, les cartes de paiement diverses et les demandes de congés des salariés entre dans la catégorie des réseaux sociaux. Mais Eurêka Solutions ne va pas au-delà et ne gère pas le recrutement, par exemple. «Il faut être spécialiste de la chose», estime notre interlocuteur, qui ne ressent toutefois pas de demande importante au-delà, parmi ses clients qui sont essentiellement des PME comme ACE France, Bucher Vaslin, Savoye ou encore Unisto. «Si l'on veut aller plus loin, il existe des outils spécialisés», lance Henri Stuckert.

La vision est différente chez Infor, où Frédéric Champalbert constate que «les clients souhaitent créer des réseaux sociaux dans leur entreprise». Il admet que pour l'heure il a des installations en cours mais qu'aucune n'est encore opérationnelle. «En conjuguant mobilité et plate-forme sociale, on pourra véhiculer un ensemble d'informations pertinentes qui vont permettre d'analyser la demande du client et produire la commande, le cas échéant. Ensuite, la production ajustera son planning en conséquence et en retour l'ensemble du réseau social pourra être informé de l'évolution de cette commande».

Big Data

La définition de cette notion étant particulièrement floue, allant de la simple augmentation exponentielle des volumes de données aux fameux 4V, elle est sujette à des interprétations diverses de la part des éditeurs.

Ainsi, chez Infor trouve-t-on Business Vault, un référentiel unique au sein duquel sont stockées les données de l'entreprise issues de diverses sources. «L'outil fonctionne à partir d'événements métier, qui circulent au travers de Ion», précise Frédéric Champalbert, qui estime que 50 % des clients utilisant les applications analytiques d'Infor ne sont pas utilisatrices de l'un des ERP Infor. D'où l'utilité d'un outil agnostique, dans ce type d'environnement hétérogène. Cependant, notre interlocuteur ne voit pas vraiment les volumes de données se développer de manière exponentielle sur le terrain. Mais il estime que grâce aux possibilités du Big Data il n'est plus nécessaire de «faire de la chirurgie» et qu'au lieu d'aller récupérer un numéro de client dans une facture, par exemple, on peut se permettre de récupérer le document complet, qu'on ira analyser par la suite via une application.

Dans l'ensemble, les éditeurs d'ERP ont tous une offre de Business Intelligence, qu'ils assimilent souvent à des outils de Big Data sans que cela en fasse forcément partie. Ainsi chez Qualiac met-on en avant le partenariat avec Tableau Software et sa solution de nouvelle génération, intégrée à Qualiac ERP. Des connecteurs standard permettent en outre de se connecter à différentes sources de données. Mais le Big Data semble encore loin à Vincent Lieffroy, qui estime qu'il n'y a pas encore de vraie prise de conscience du côté de ses clients, même si à l'évidence chacun se rend bien compte que les volumes de données augmentent. «Il y a un accroissement de la demande en matière de BI et les clients veulent pouvoir prendre des décisions à partir de leur ERP», constate-t-il. «Mais le Big Data ne fait pas encore partie de leurs préoccupations».

Chez Eurêka Solutions, on propose diverses solutions de BI, dont celle de Qliktech, mais aussi Qlick&Decide, un requêteur publié par la société Montpelliéraine éponyme. L'éditeur a également développé son propre outil de BI : baptisé Data Vision, il est livré avec l'ERP. Quant au Big Data, Henri Stuckert ne se sent pas concerné : «le Power i permet de stocker de grandes quantités de données, qu'elles soient structurées on non structurées. Techniquement, nous avons de quoi voir venir une augmentation des volumes de données. Nous ne nous posons même pas la question», dit-il. Précisons que les produits d'Eurêka Solutions fonctionnent exclusivement en environnement Power i d'IBM.

Indéniablement, la mobilité, poussée par les utilisateurs, qui ont de vrais besoins en la matière, a bien été prise en compte par les éditeurs, qui proposent ou sont en passe de proposer des solutions spécifiques dans ce domaine. Le Cloud et le SaaS se distinguent de la mobilité par le fait qu'il s'agit de possibilités techniques dont les utilisateurs ne voient pas nécessairement l'intérêt. D'où la faiblesse de la demande perçue et réelle. S'il va dans le sens de l'histoire, les éditeurs s'accordent à dire qu'il est encore trop tôt pour que les utilisateurs confient le cœur même des données stratégiques de leur entreprise au nuage. Big Data et réseaux sociaux semblent en revanche être des préoccupations relativement éloignées du quotidien des éditeurs et de leurs clients, ou alors à la marge. Même s'ils perçoivent bien l'intérêt qu'il peut y avoir à analyser les données des réseaux sociaux pour en tirer des enseignements, via une application le plus souvent de type Big Data, leurs solutions les intègrent encore peu. Mais là aussi, ce n'est qu'une question de temps et l'ERP de demain, tiré par les géants du secteur comme SAP ou Oracle, mais aussi Infor, sera social, traitera des données externes et s'utilisera en mobilité et sur le Cloud. 

Modularisation, tendance forte des éditeurs 

L'ERP doit se réinventer, évoluer, pour mieux répondre aux besoins des entreprises. Ainsi, chez Qualiac, a-t-on défini un nouvel axe de positionnement, pour répondre à des besoins métier. L'éditeur va créer un certain nombre de solutions logicielles répondant à des besoins précis, qu'il n'hésite pas à qualifier de «best-of-breed». La première de ces solutions dédiées est la gestion de parc immobilier.

Basée sur des briques existantes de l'ERP, cette solution a été développée en collaboration avec le cabinet de conseil spécialisé dans le domaine, Artimon. Elle se destine aux directions immobilières d'hôpitaux, de groupes de distribution, de banques, d'OPH etc., que les organisations soient propriétaires ou uniquement occupantes d'un parc immobilier. Elle inclut, entre autres, la gestion de la maintenance, des achats, des stocks, les achats, la gestion documentaire.

«Notre solution va au-delà de la GMAO (Gestion de la Maintenance Assistée par Ordinateur) car elle intègre aussi les achats, le contrôle budgétaire et d'autres fonctionnalités comme les immobilisations, les stocks, les contrats d'entretien», explique Vincent Lieffroy, chargé de la stratégie marketing de l'offre chez Qualiac. «Nous nous positionnons plus sur le créneau de la gestion des actifs, au sens large. En outre, de nombreuses fonctions sont connectées et la solution s'intègre avec notre ERP». Deux publics distincts sont visés par la gestion de parc immobilier de Qualiac : les décideurs, qui disposent d'un reporting, d'un suivi budgétaire, des plans pluriannuels et de la valeur du parc, et les opérationnels qui vont suivre les contrats, les pannes via des bons d'intervention et de façon générale gérer la maintenance. «C'est la première offre de ce type, mais il y en aura d'autres», assure Vincent Lieffroy.

L'apparition de modules métier de ce type, qui correspond à une verticalisation qui ne dit pas son nom, est une tendance assez large. Ainsi chez Sylob, par exemple, éditeur d'ERP pour les PME industrielles, a-t-on lancé il y a quelques mois, à l'occasion du dernier salon du Bourget, une édition «Aéro», destinée aux sous-traitants de l'aéronautique. Certains acteurs de ce secteur utilisant Sylob 5 ou Sylob 9 sont passés sur Sylob Aéro, de même que quelques nouveaux comptes, pour un total d'une dizaine d'entreprises. Mais l'éditeur propose d'autres solutions métier, dont Sylob Affaire, solution destinée aux entreprises travaillant sur des projets unitaires, comme la construction de machines spéciales ou d'équipements sur mesures. Quant à l'agro-alimentaire, «il existe déjà une version métier de Sylob 7 et il n'est pas impossible que Sylob 9 suive», nous prédit Jean-Marie Vigroux, président de Sylob. Enfin, précisons que l'éditeur  développe actuellement des modules de gestion financière full Web qui viendront s'intégrer naturellement à n'importe laquelle des solutions Sylob et dont la sortie est prévue pour le printemps 2014.