Accueil Le secteur public fait sa révolution numérique

Le secteur public fait sa révolution numérique

Améliorer d’un côté les services numériques rendus aux usagers, et les rendre plus accessibles, et de l’autre faire bouger les structures et le mode de fonctionnement de l’ensemble de la sphère publique, la révolution numérique de l’Etat semble dorénavant bien engagée.

 

A l’heure de la révolution numérique, un vent de modernisation et de créativité, parfois poussé par la réduction des budgets ou par des nouvelles contraintes légales, souffle sur l’Etat, les administrations, les établissements publics ou encore les communes. Les cinq agences sanitaires nationales qui unissent leurs efforts pour réaliser un nouveau système d’information financier commun en sont un bon exemple : « On sait désormais que le travail en commun, sur une large échelle, est possible, ce qui ouvre le champ à d’autres mutualisations, notamment dans le domaine des systèmes d’information », se réjouit Christian Poiret, chef de service, secrétaire général de la Direction Générale de la Santé, qui nous a fait partager en exclusivité l’expérience des agences dépendant du ministère de la Santé dans notre dossier E-public. Dans le même ordre d’idée, la mutualisation des systèmes d’information est aussi un gisement d’économies pour les collectivités territoriales, comme c’est le cas pour la Communauté d’Agglomération Hérault-Méditerranée, qui regroupe dix-neuf communes. Laurent Miserey, son DSI, en témoigne également dans notre dossier E-public.

L’Etat en quête d’innovation pour les usagers…

Au-delà des économies espérées parfois, la France fait aussi bouger ses services publics et est en quête d’innovation. « Il existe aujourd’hui une réelle volonté politique de faire bouger les choses dans le cadre de la modernisation de l’État. Le gouvernement a engagé des mesures fortes dans ce sens pour faire évoluer ses structures, ses services informatiques et rendre l’accès à l’information plus facile pour le contribuable », analyse Franck Lacroix, directeur associé en charge du Secteur Public chez le cabinet mc2i Groupe, qui accompagne la ville de Paris dans la mise en place du futur « Compte parisien ». Cette plate-forme de services devra permettre aux administrés, à partir d’un identifiant unique, d’accéder à l’ensemble des prestations proposées par la ville et de gérer leurs procédures administratives de façon dématérialisée. A la mi-octobre 2015, l’Etat organisait justement pour la deuxième année « sa semaine de l’innovation publique » à travers toute la France pour mettre en lumière les projets développés dans les services publics. Ici sur l’Emploi-Store, portail des services web et mobiles de l’emploi à Aurillac, là sur le lancement d’un démonstrateur de démarches en ligne à Châlon-en-Champagne. Une semaine pilotée par le SGMAP, la cheville ouvrière de la réforme de l’Etat, en charge de la politique de modernisation de l’action publique et récemment réformée en deux entités : la direction interministérielle pour l’accompagnement des transformations publiques et la direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’Etat (DINSIC).

 

… et pour lui-même

A vocation nouvelle, cette dernière division allie les fonctions d’une DSI et une mission de transformation numérique. « L’Etat a une longue histoire avec l’informatique. C’est lui qui fonde l’informatique à la française dans les années 70. Et il l’utilise. En ce moment même, on caracole en tête des classements internationaux  en matière de e-gouvernement », souligne Henri Verdier, le nouveau patron de la DINSIC, dans une interview qu’il nous a accordé. Quand la philosophie et les idées d’un créateur de start-ups, convaincu par l’open data, le logiciel libre et les méthodes agiles, arrivent à la nouvelle DSI de l’Etat, cela signifie bien que les mentalités sont déjà en train de changer. Henri Verdier revendique aussi pour la DINSIC une mission d’ « acclimatation dans l’Etat de stratégies proprement numériques », comme l’open data ou le « gouvernement ouvert ». Axelle Lemaire vient d’ailleurs d’annoncer que la base Siren (10 millions d’entreprises) serait gratuite à partir de janvier 2017. De même, des projets comme France Connect, l’Etat plateforme ou la diffusion des data sciences lui semblent essentiels à la diffusion de cette « modernité numérique ». il faut dire que l’Etat a eu quelques ratés. On pense notamment à SI-Paye, le système centralisé de paie des fonctionnaires qui a été abandonné au printemps 2014 par l’ancienne Disic et qui devrait coûter 1 milliard d’euros selon le Senat… Mais il a dorénavant à son actif des chantiers en cours de réussite, qui peuvent servir d’exemple à l’ensemble de la collectivité. Comme en témoigne Régine Diyani, directrice de l’Agence pour l’informatique Financière de l’Etat (AIFE) avec Chorus Portail Pro, plateforme mutualisée permettant l’ échange de factures dématérialisées entre l’ensemble de la sphère publique et les entreprises. « Nous pensons que cela aura un effet d’entraînement pour toute la facturation électronique interentreprises, s’enthousiasme-t-elle, en nous parlant de son projet dans notre dossier E-public. La France est même en avance dans ce domaine, par rapport aux pays du Sud de l’Europe comme le Portugal, l’Espagne ou l’Italie, soutient Claude Molly-Mitton, Communications Manager & Competitive Intelligence Manager à l’AIFE, et les solutions de dématérialisation choisie servent d’exemple à l’Union Européenne qui peaufine son propre projet de dématérialisation des factures.

 

Une volonté d’avancer

« Une visibilité sur l’effort digital est nettement plus importante », souligne Jean-Philippe Labille, un témoin de « l’intérieur ». qui est DSI adjoint en charge de la transformation digitale à la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC), et auteur de plusieurs publications sur le numérique (Les défis du numérique, Institut Esprit Service, Livre blanc du PMI sur les projets de transformation, PMIF). « On sent bien que la dynamique est orientée vers l’amélioration du service usager : la simplification de l’accès à l’information, l’offre de nouveaux services digitaux. Il existe une vraie volonté d’avancé sur ces sujets-là. ». La façon d’aborder le sujet change également, nous confie-t-il. « Aujourd’hui il n’y a pas un projet sur lequel la question du digital ne se pose pas : par exemple, quel canal pour distribuer l’information ? Faut-il un service Cloud ? Et la cybersécurité… ». L’ attention est plus marquée sur l’interface utilisateur et la qualité des services offerts, y compris pour les services délivrés aux agents eux-mêmes, souligne Jean-Philippe Labille. Enfin, la conduite de projet à changer également, remarque-t-il : « Pendant très longtemps, on a favorisé les grands projets, étalé sur des années avec des ambitions extraordinaires et des budgets colossaux. Aujourd’hui on va produire plus vite, on adopte des méthodes agiles, on fait appel à l’open source, à la créativité… Et l’on remet les résultats dans les objectifs. Il y a des bénéfices à évaluer, et il faut que ces deniers soient atteints. »

Un point de rupture à ne pas dépasser

Il y a un vrai effort de mise en marche de la révolution digitale au sein de l’administration, mais cela se conjugue avec des difficultés de ressources financières et RH. « Je ne suis pas certain que l’administration mettent tous les moyens pour pouvoir justement privilégier les talents numériques qui s’y trouvent », analyse Jean-Philippe Labille. Et côté budget ? « Cela fait 9 ans que je suis dans la fonction publique, et cela fait 9 ans que les budgets sont en baisse. Le danger, c’est au final de sacrifier la qualité et la performance. Il y a des points de rupture au-delà desquels on ne pourra pas aller. »