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La révolution des « chatbots » est en marche

La révolution des chatbots , ces agents conversationnels dotés d’intelligence artificielle, est-elle en marche ? La Banque Royale d’Écosse ou encore Arte y croient dur comme fer.

 

Gartner prévoit que 85 % des requêtes des internautes seront traitées sans humain d’ici 2020. De son côté, le cabinet TechSci Research table sur une croissance de 75 % pour le secteur de l’intelligence artificielle sur la période 2016-2021 et présage d’un avenir florissant pour les chatbots. Les chatbots, ces robots logiciels permettant de simuler une conversation humaine et d’aider les clients dans leur recherche, semblent donc promis à un bel avenir, dans l’e-commerce ou encore l’assistance aux utilisateurs. Les leaders de l’industrie comme Google, Facebook, Apple ou Microsoft se sont emparés du sujet et investissent des ressources importantes pour s’imposer durablement comme les spécialistes du marché. Le patron de Microsoft Satya Nadella ne soutient-il pas que les bots vont être la troisième grande démocratisation de l’informatique ? De son côté, Facebook a ouvert son service de messagerie aux annonceurs qui peuvent développer des chatbots permettant à 900 millions d’utilisateurs d’interagir avec une marque à propos de leurs produits et de leurs services.

« Même si un nombre grandissant de clients préfèrent communiquer de cette façon, il y en a d’autres qui préféreront toujours avoir affaire à des humains. »

Alain Logbo, LogMeIn

Les entreprises se lancent…

Des grandes entreprises, à l’instar d’un H&M ou d’un KLM Airlines, ont déjà sauté le pas et utilisent les bots de chat sur des plateformes de messagerie. La Banque Royale d’Écosse a collaboré avec IBM Watson pour lancer son chatbot nommé « Luvo », qui a commencé à aider les clients en décembre 2016, en répondant à leurs questions ou en transférant rapidement leurs demandes à un conseiller. Luvo utilise IBM Watson Conversation, un service cognitif basé sur le Cloud. La banque a testé son robot logiciel avec environ 10 % de ses clients qui utilisent la discussion en ligne. « Comment autoriser l’utilisation de ma carte dans les pays d’outre-mer ? », « Comment puis-je mettre à jour mon adresse personnelle avec la banque ? » : Luvo doit être capable de répondre à ces simples questions en une fraction de seconde tout en dirigeant les clients vers un humain pour répondre aux questions plus complexes. L’essai réussi, Luvo est mis en place pour les clients de la banque NatWest. Cet essai client fait suite à deux mois de test réussi de la technologie sur 1 200 employés de la Banque Royale d’Écosse et de NatWest, gérant essentiellement des requêtes de clients de petites entreprises avec des problèmes tels que la perte de la carte d’entreprise ou des codes oubliés. La banque ne s’arrêtera pas là. Dans le futur, le chatbot cognitif pourrait commencer à utiliser le service IBM Watson Alchemy Language pour mieux comprendre les sentiments des clients – par exemple s’ils sont mécontents ou frustrés – et changer ensuite son ton et ses actions en conséquence.

Chris Withers

« Comme ce système cognitif continue d’apprendre avec le temps, la Banque Royale d’Écosse et NatWest devront être en mesure d’étendre les capacités de Luvo à des domaines plus complexes, comme fournir une personnalisation plus importante et utiliser l’analyse prédictive pour détecter les éventuels problèmes avant qu’ils ne se produisent pour recommander des actions », explique Chris Withers, Head of Financial Services Europe, IBM Watson Group.

Simplifier l’accès aux programmes télé

En France, la chaîne de télévision franco-allemande Arte a lancé le développement d’un bot « apprenant », capable de répondre rapidement et avec pertinence aux questions les plus courantes de ses téléspectateurs. Porté par les solutions d’intelligence artificielle de Microsoft, ce nouvel outil conversationnel va, à terme, simplifier l’accès aux programmes de la chaîne, enrichir l’expérience des téléspectateurs et favoriser les échanges, promet la chaîne. « À première vue, le bot pourrait donner l’impression que l’on va déshumaniser la relation avec la chaîne de télévision, qui passe aujourd’hui par un call center et des gens qui répondent au téléphone. En réalité, cela va être l’occasion de fournir plus de services à nos téléspectateurs et de répondre plus vite à des questions très simples, comme « Quand est-ce que vous rediffusez tel programme ? ». indique Valentin Duboc, responsable du marketing chez Arte. A l’occasion de la présentation de ses programmes pour la saison à venir, Alain Le Diberder, le directeur des programmes de la chaîne indiquait fin août que cet assistant virtuel, grâce à l’intelligence artificielle, « permettra de trouver les programmes de façon plus ludique ».

Les entreprises ont-elles toutes intérêt à prendre le train en marche ?

Pour Alain Logbo, directeur commercial Entreprises EMEA chez LogMeIn, les entreprises doivent prendre en compte trois éléments. Selon lui, les clients ne sont pas tous prêts. « Même si un nombre grandissant de clients préfèrent communiquer de cette façon, il y en a d’autres qui préféreront toujours avoir affaire à des humains. Par exemple, la plupart des millennials préfèrent contacter les marques via des applications ou des chats, alors que les clients plus âgés – ceux qui sont moins à l’aise avec les nouvelles technologies, ou qui ont une faible connexion internet – voudront peut-être communiquer via des méthodes plus classiques. »

Le chatbot « Beauty Bot » sur le site Sephora conversait avec les clients en manque d’inspiration pour Noël.

Il souligne ensuite que les interfaces ne sont pas toutes adaptées aux chatbots. « Les bots sont peut-être la dernière tendance en date mais cela n’annonce pas forcément la mort de « l’appification » (l’usage croissant des applications). Les applications et les bots ont des utilisations différentes dans le processus opérationnel et sont souvent complémentaires. Si une opération peut être réalisée plus efficacement via une application, il faut peut-être en rester là », estime-t-il.

Les bots ne règlent pas tous les problèmes

Enfin, les problèmes ne se règlent pas tous via des chatbots, note-t-il. « Certains experts ont classé le niveau actuel d’avancée de l’intelligence artificielle comme « Artificial Narrow Intelligence » (ANI). L’ANI implique que les bots alimentés par la technologie actuelle peuvent suivre des instructions très précises. Plus l’ordre se rapprochera d’une question ouverte, plus le processus de réponse sera compliqué. Avec la technologie actuellement disponible sur le marché, les chatbots seront parfaits pour répondre à des demandes directes, formulées simplement, mais toutes les requêtes des clients ne respectent pas forcément ce critère. Tout comme les voitures sans conducteur possèdent des fonctions qui nous rendent presque obsolètes, il y a encore des fonctionnalités pour lesquelles une interaction humaine est essentielle – comme pour refaire le plein par exemple. C’est la même chose pour les chatbots. On aura toujours besoin des experts du service client pour offrir une aide personnalisée en cas de problème technique délicat. »

Patrick Séguéla, directeur de Synapse Développement, distingue deux principaux intérêts, usages, pour les robots conversationnels. D’abord les dédier à une tâche précise « comme la recommandation de produits ou de contenus, assurer un support utilisateur de niveau 1 ou encore pré-qualifier une demande ». Ensuite, en faire des robots « qui questionnent plutôt que des robots qui répondent. L’objectif étant alors de guider l’humain dans sa réflexion et de lui permettre de poser les bonnes questions pour accéder aux bonnes réponses. » L’une des pistes pour améliorer la performance et l’interactivité des robots est la génération automatique de questions à partir de la « lecture » de textes qualifiés, soutient-il. « Via le “machine reading”, le robot acquiert alors la capacité de synthétiser des connaissances écrites par des humains et de les rendre accessibles facilement. En effet, à la différence des humains, les robots sont en mesure d’intégrer une masse d’informations considérable et de générer automatiquement de nombreuses questions pour exploiter au mieux les informations des textes ». Concrètement, en utilisant du “machine reading”, il devient possible d’accélérer la phase d’apprentissage et de connaissance du sujet que le robot-assistant va devoir évoquer. Le robot va ainsi aider l’utilisateur à poser la bonne question et à bien la formuler pour accéder à la réponse la plus pertinente. En tout cas, il lui apparaît clairement que le rôle des robots consiste à aider un utilisateur dans la réalisation d’une tâche. Il ne faut donc pas « surestimer le rôle social que vont jouer les robots dans notre quotidien ».

Des chatbots potentiellement décevants

Gare donc, si les bots peuvent être efficaces dans certaines circonstances, ils peuvent aussi décevoir, comme le soutient Forrester, qui déconseille aux banques de les utiliser maintenant : « La technologie actuelle cause souvent une expérience de qualité irrégulière, voire mauvaise pour les clients des banques. » Le cabinet d’analyse estime qu’une fois sur trois environ, les chatbots actuels ne permettent pas au client de finaliser sa requête ou offrent une expérience laborieuse. « Si la commande de tacos via un bot est laborieuse ou ne marche pas, cela n’est pas très grave. En revanche, lorsqu’il s’agit d’opérations ou de conseils portant sur l’argent, les enjeux sont trop élevés », souligne Peter Wannemacher, analyste chez Forrester. En tout cas, cela n’empêche pas Mastercard de s’être lancé. Il y a un an, il annonçait son intention de lancer des plateformes de bots reposant sur l’intelligence artificielle (IA) qui permettent aux consommateurs d’effectuer des transactions, de gérer leurs finances et de réaliser leurs achats via des plateformes de messagerie. Ces bots sont destinés à la fois à ses banques partenaires et aux commerçants. « Chez Mastercard, nous estimons que les conversations entre les entreprises et leurs clients reposant sur l’intelligence artificielle peuvent conduire à des expériences de consommation plus optimales dans les lieux ou sur les plateformes que les consommateurs fréquentent », en est persuadée Kiki Del Valle, Senior Vice-President Commerce for Every Device, Mastercard. « Le Mastercard Labs a testé l’intégration de produits et de services clés Mastercard au sein de différentes plateformes de messagerie. Nous passons à présent d’une démarche d’apprentissage à l’étape suivante en développant des chatbots qui sont naturellement embarqués dans la vie quotidienne du consommateur et aident nos partenaires à susciter des interactions commerciales toujours plus conversationnelles. »

Kiki Del Valle

 

Lors de la phase pilote, Mastercard s’est associé à Kasisto, une entreprise qui conçoit des assistants virtuels personnalisés et des bots intelligents pour les services financiers, et qui participe actuellement au programme Mastercard Start Path Global. Le bot Mastercard est conçu par KAI Banking, une plateforme AI conversationnelle avec une connaissance approfondie des services financiers. Ce bot peut répondre aux requêtes clients et résoudre leurs problèmes sur des plateformes de messagerie telles que Facebook Messenger et par SMS. Début 2017, les consommateurs aux Etats-Unis ont pu interroger le bot sur l’état de leurs comptes, visionner leur historique d’achat, surveiller leur niveau de dépenses, en savoir davantage sur les avantages des cartes Mastercard pour leurs détenteurs, recevoir des offres promotionnelles ou encore se faire aider en matière d’éducation financière.

La question de l’éthique

Au delà des questions techniques, l’utilisation des chatbots, et de façon plus large de l’intelligence artificielle, soulève des questions éthiques. Eneric Lopez, Strategy Director portant l’intelligence artificielle chez Microsoft France, explique que « L’intelligence artificielle sert à augmenter l’ingéniosité humaine et ne remplace pas l’homme » (lire notre article consacré à l’intelligence artificielle chez Microsoft). L’éditeur Sage, parallèlement à la conception de ses programmes de machine learning et d’intelligence artificielle, est même allé jusqu’à élaborer un document intitulé « L’éthique du code » et dans lequel il identifie les points essentiels qui posent question en matière d’éthique.

Comme l’explique Kriti Shama, vice-présidente Bots et IA chez Sage, « S’il est facile de concevoir des chatbots et des solutions d’intelligence artificielle pour aider nos clients, la montée de l’IA soulève en revanche de vastes questions plus que jamais d’actualité. C’est pourquoi nous avons développé notre intelligence artificielle en observant un certain nombre de règles, élaborées, vérifiées et discutées à chaque étape de conception. Cela nous a permis d’en concevoir des principes, selon nous fondamentaux et universels, pour la conception de produits sûrs et éthiques.

Une IA reflétant chaque utilisateur

“L’Éthique du code” a pour vocation de protéger l’utilisateur et de s’assurer que les géants de la technologie, tels que Sage, développent une IA sûre, sécurisée, adaptée aux besoins et, plus important encore, parfaitement inclusive afin de refléter la diversité des utilisateurs. En tant que chef de file de l’IA pour les entreprises, nous exhortons l’ensemble des acteurs, quelle que soit leur taille, y compris les hackers, à garder à l’esprit ces principes lors du développement ou du déploiement de leur propre solution d’IA. »