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Le marché unique numérique : une réforme européenne du e-commerce est en cours

Muriel Assuline, avocate du cabinet Assuline & Partners, experte en droit des nouvelles technologies de l’information et de la propriété intellectuelle, nous donne des précisions sur le paquet de mesures présenté par la Commission européenne visant à favoriser le développement du commerce électronique à l´échelle européenne..

 

Mettant en œuvre ses stratégies sur le marché unique numérique, la Commission européenne a présenté le 25 mai 2016 un paquet de mesures visant à favoriser le développement du commerce électronique à l´échelle européenne. Parmi les mesures-phares de ce paquet, on retrouve notamment la lutte contre le blocage géographique, la facilitation de la livraison transfrontière de colis et le renforcement de la confiance des consommateurs. A ce paquet s´ajoute une proposition inédite qui cible les plateformes en ligne, parmi lesquelles sont notamment visés les géants du Web.

L´une des préoccupations prioritaires sur l´agenda de la Commission Juncker constitue le  marché unique numérique. Parmi les premières propositions de la Commission européenne en ce sens, on retrouve notamment l´offre de contenus numériques et les ventes en ligne. La Commission a aussi annoncé pour l´automne 2016 une proposition de simplification de la TVA.

Il restait l´un des piliers les plus importants : le commerce électronique. En effet et comme l´a souligné la Commission européenne, les obstacles à la mise en œuvre d´un commerce électronique prospère à l´échelle européenne sont actuellement nombreux. Or, cela constitue une entrave à plusieurs libertés de circulation dans le cadre du marché unique. C´est pour cette raison que la Commission européenne a présenté, le 25 mai 2016, un paquet des mesures visant à favoriser le développement du commerce électronique. Dans le même sens, la Commission vise à adopter sa propre approche à l´égard des plateformes en ligne, mesure qui s´encadre dans un contexte général de responsabilisation des géants du Web.

Les mesures-phares du paquet sur « l´e-commerce »

Le 18 mars 2016, la Commission européenne a publié les résultats de son enquête sectorielle sur le commerce électronique lancée en mai 2016. Cette enquête visait à permettre à la Commission de mieux comprendre si, et dans quelle mesure, les obstacles érigés par les entreprises ont une incidence sur les marchés européens du commerce électronique. La Commission est arrivée à la conclusion que l´entrave centrale à la libre prestation des services et à la vente des produits par Internet constitue le blocage géographique, qui empêche les consommateurs d’acheter des biens de consommation et d’accéder à du contenu en ligne dans un autre pays de l’Union européenne. Ainsi, 38 % des détaillants interrogés vendant des biens de consommation et 68 % des fournisseurs de contenu numérique ont indiqué recourir à cette pratique.

Pour cette raison, la Commission a présenté le 25 mai 2016 une série de mesures permettant aux consommateurs et aux entreprises d´acheter et de vendre en ligne des produits et des services de façon plus aisée et plus fiable dans toute l’UE. Le paquet «commerce électronique»  vise à enlever le blocage géographique injustifié et d´autres formes de discrimination fondée sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu d´établissement, interdites par les traités. Ainsi, les consommateurs qui cherchent à acheter des biens ou des services dans un autre pays de l’UE, que ce soit en ligne ou en personne, ne doivent pas faire l’objet d’une discrimination en termes d’accès aux prix, de ventes ou de conditions de paiement, sauf si elle est objectivement justifiée par des motifs tels que la TVA ou certaines dispositions légales d’intérêt public.

Le même paquet propose la réglementation des services de livraison transfrontière de colis et le renforcement de la transparence des prix ainsi que l´amélioration de la surveillance réglementaire afin que les consommateurs et les détaillants puissent bénéficier de livraisons abordables et de possibilités de retour pratiques, même à destination et en provenance de régions périphériques.

Enfin, la Commission a proposé l´établissement des règles visant à renforcer le respect des droits des consommateurs et à clarifier, notamment par des lignes directrices, ce qui constitue une pratique commerciale déloyale dans le monde numérique. En la matière, la Commission a également proposé la révision du Règlement du 27 octobre 2004 relatif à la coopération en matière de protection des consommateurs. Cette proposition donnera davantage de pouvoirs aux autorités nationales afin de mieux faire respecter les droits des consommateurs. Elles pourront:

-vérifier si des sites internet pratiquent le blocage géographique des consommateurs ou offrent des conditions après-vente qui ne respectent pas les règles de l’UE (par exemple, les droits de rétractation);

-ordonner le retrait immédiat de sites internet hébergeant des escroqueries;

-demander des informations aux bureaux d’enregistrement de domaines et aux banques afin de déterminer l’identité du professionnel responsable.

En cas de violations des droits des consommateurs dans toute l’Union, la Commission sera en mesure de coordonner des actions communes avec les autorités répressives nationales pour mettre un terme à ces pratiques. Elle assurera une protection des consommateurs plus rapide, tout en économisant du temps et des ressources pour les États membres et les entreprises.

L´approche européenne des plateformes en ligne

A l´instar du projet de loi « pour une République numérique » adopté en première lecture à l´Assemblée nationale le 26 janvier 2016 et au Sénat le 3 mai 2016, les propositions de la Commission visent à renforcer l´encadrement de l´activité des plateformes en ligne (e.g. moteurs de recherche, systèmes de paiement, médias sociaux, sites de partage de vidéos et de contenus)

L´approche de la Commission prévoit des actions dans les domaines suivants:

1 des règles analogues pour les services numériques comparables;

2 une obligation pour les plateformes en ligne d’avoir une attitude responsable, par des actions visant à remédier à des problèmes particuliers tels que les règles en matière d’audiovisuel ou de droits d’auteur, et à combattre les discours haineux en ligne;

3 un renforcement de la confiance, grâce à une coopération transfrontière dans le contrôle du respect de la réglementation concernant les droits des consommateurs;

4 des marchés ouverts dans une économie fondée sur les données;

5 un environnement économique équitable et propice à l’innovation.

Il faut rappeler que le projet de loi « pour une République numérique » impose aux plateformes en ligne une obligation de loyauté : elles doivent délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente sur les conditions générales d’utilisation de leur service et sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement utilisées.

De même, afin de renforcer la lutte contre les abus de position dominante des moteurs de recherche à la lumière des communications de griefs adressées récemment par la Commission européenne à Google[1],  une disposition du projet de loi prévoit que le fait pour les moteurs de recherche qui se trouvent dans une situation de positions dominante « de favoriser leurs propres services ou ceux de toute autre entité ayant un lien juridique avec eux, dans leurs pages de résultats de recherche générale, en les positionnant et en les mettant en évidence indépendamment de leur niveau de performance est constitutif d’une pratique prohibée par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du même code » (article 22 bis A, al.2).

Ces règlementations s´inscrivent dans un mouvement de dimension européenne qui vise à responsabiliser les géants du Web. Dans le même sens, une enquête pour fraude fiscale est actuellement menée à l´encontre de Google en France. D´ailleurs, par une décision du 10 mars 2016, la CNIL a condamné Google à une sanction pécuniaire de 100.000 € pour non-respect d´une mise en demeure antérieure lui ordonnant de respecter le droit à l´oubli pour toutes les extensions du nom de domaine de son moteur de recherche.

Les autres initiatives dans le cadre de la stratégie « marché unique numérique »

Ces nouvelles initiatives de la Commission européenne au titre de la stratégie pour le marché unique numérique ont été présentées parallèlement à l´adoption d´un paquet sur la réglementation actualisée de l´UE sur l´audiovisuel. En outre, le Règlement relatif à la protection des données personnelles du 27 avril 2016, qui est l’autre pilier fondamental de la stratégie « marché unique numérique », est entré en vigueur le 24 mai dernier.

 

[1] COMMISSION EUROPEENNE, Abus de position dominante : la Commission adresse une communication des griefs à Google au sujet du service de comparaison de prix et ouvre une procédure formelle d’examen distincte concernant Android, Bruxelles, 15 avril 2015 ;

COMMISSION EUROPEENNE, Abus de position dominante: la Commission adresse à Google une communication des griefs concernant le système d’exploitation et les applications Android, Bruxelles, le 20 avril 2016.